La mort de la presse amazighe au Maroc

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Par Rachid RAHA Editeur du journal «Le Monde Amazigh»

Le ministre de la Communication du royaume du Maroc, Mustafa Khalfi, nous rappelle à chaque fois qu’il y a une dizaine d’années, il y avait dix titres de la presse amazighe et que maintenant il n’en reste plus qu’un seul, à savoir «Le Monde Amazigh», depuis que «Tawiza» a cessé de paraître au mois d’août dernier !

Effectivement, «Le Monde Amazigh» lui aussi est menacé de disparaître, ou au moins de s’arrêter momentanément : pourquoi ? Car, comme tous les titres amazighs, à cause des graves problèmes financiers qu’il traverse !!!

En raison du militantisme des journalistes amazighs, le Ministère de la Communication marocaine a été obligé de reconnaître enfin l’existence d’un troisième type de presse écrite, «la presse amazighe» à côté de la presse arabophone (nationaliste arabe et islamiste) et francophone. La presse amazighe était généralement trilingue (Arabe, français et Amazighe) et concernait tous les aspects se rapportant à l’homme, à la société à l’identité à l’histoire et à la civilisation de peuple autochtone de Tamurt n Yakuch (Maroc) et de Tamazgha (Afrique du Nord). En 2006, le ministère précité avait dénombré un bilan de 282 titres en langue arabe, ce qui constituait 70,86%, 107 titres en langue française avec 26,88% de la totalité de la presse écrite, et juste 9 titres pour la presse amazighe, ce qui constituait à l’époque un pourcentage infime, soit 2,26 %. Malheureusement, maintenant ce pourcentage s’approche inéluctablement de zéro %. Pourquoi ? Les raisons sont bien connues et elles sont exposées à chaque fois dans de nombreux colloques et conférences se rapportant à la question de la communication de l’amazighité où on sort avec de jolies et bonnes recommandations de fort bonne foi, mais jamais tenues, ni exécutés sur le terrain. Par exemple, les dizaines de recommandations du colloque national organisé par l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM) sur «l’état des lieux et perspectives d’avenir de la presse amazighe» les 13 et 14 décembre 2003 à l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication (ISIC) de Rabat sont restés lettres mortes. Les raisons qui poussent à la fermeture des «ighmissen» (journaux amazighs), sont simples et se réduisent fatalement au manque de moyens financiers, au manque du professionnalisme, à la mauvaise distribution des sociétés de distribution de journaux (SAPRESS et SOCHEPRESS), à l’exclusion manifeste des insertions publicitaires à l’encontre de la presse amazighe, à cause bien sûr de la discrimination raciale des grandes entreprises marocaines.

A propos de ce dernier point, vous avez, par exemple, de grandes entreprises marocaines dirigées par des hommes et femmes d’affaires amazighs, comme le cas des hydrocarbures Afriquia, qui offrent généreusement leurs publicités aux journaux arabophones et francophones alors qu’elles l’interdisent carrément à la presse amazighe. Le pire c’est que par le moyen de la publicité qui joue un rôle essentiel au développement et au maintien de la presse écrite, des hommes et femmes d’affaires amazighs contribue au financement des journaux qui sont parfois totalement racistes envers leurs semblables, une certaine presse qui s’oppose profondément à changer de ligne éditoriale et au moins de la terminologie, par exemple du Grand Maghreb qui devrait se substituer à celle de «Maghreb arabe», une presse totalement acquise au baâthisme arabiste et à l’islamisme politique proche-oriental, et qui bombardent tout le temps le lectorat marocain de contre-vérités, de clichés et de faux stéréotypes à propos des imazighen et des militants amazighs, traités injustement et de manière vergogne de collaboration avec l’Etat d’Israël, de manipulation avec les services français, d’être à la solde de l’impérialisme américain, d’athéisme religieux, de séparatisme régionaliste, d’extrémisme politique, de fanatisme ethnique…

Prenons le cas du traitement du conflit de l’Azawad : la presse francophone marocaine est devenu presque le porte parole de la nouvelle colonisation de l’armée française en Afrique et la presse arabophone n’exprime que sa sympathie envers les mouvements djihadistes comme si les populations et les révolutionnaires touaregs n’étaient ni africains ni musulmans, comme la majorité des imazighen du Maroc. Eh ben oui, la majorité écrasante des capitalistes amazighs financent la presse qui les insulte, qui leur inculque ce complexe d’infériorité à l’égard de ceux qui se disent «Arabes», alors qu’au fond la presse amazighe, indépendante et libératrice, ne fait que défendre un projet de société basé sur des valeurs propres aux siens, aux communautés amazighes, qui se rapprochent de celles des pays développés d’Occident, à savoir la laïcité l’égalité des sexes, la démocratie, la solidarité des peuples, la diversité religieuse, sociale et linguistique. En définitive, la presse amazighe a pour objectif fondamental la promotion de l’amazighité en faveur d’une société démocratique, plurielle et moderne, d’une monarchie constitutionnelle au Maroc et en faveur d’un «Etat de régions», surtout que notre langue et notre culture amazighes ont été reconnues en 2001, et que la langue amazighe a été définitivement consacrée comme langue officielle dans la nouvelle constitution du pays du 1 juillet 2011.

Si l’unique support médiatique de la presse amazighe qu’est «Le Monde Amazigh» continue à exister jusqu’à ce jour, c’est parce qu’il a eu l’avantage, par rapport aux autres titres amazighes, de compter avec la publicité de certaines grandes sociétés qui sont ouvertes envers le «fait amazighe» et qui font bénéficier de leurs campagnes de communication, à part la presse arabe et française, la presse amazighe. Aussi, nous saluons eternellement la contribution à la promotion et au développement de la presse amazighe, par la banque BMCE BANK, MAROC TELECOM, le Groupe de MILOUD CHAABI (qui a nommé son holding au nom de sa mère YNNA HOLDING) et RMA WATANYA.

Depuis quelques années, et du fait que la société éditrice de notre journal, en l’occurrence «Les Editions AMAZIGHS» accomplit les critères d’une vraie société médiatique et de communication (la déclaration de ses salariés à la CNSS, le payement de ses impôts,…), elle reçoit un modeste financement de la part du ministère de la Communication d’une valeur de 200.000 dirhams par an.

A propos de ce dernier point, ce petit montant offert à la presse amazighe par rapport au budget alloué à toute la presse écrite par l’Etat marocain, et qui s’est établit à 50 millions de Dh, constitue un pourcentage infime et dérisoire de 0,04%. C’est-à-dire, que des impôts que tous les citoyens amazighs, vivant au Maroc ou à l’étranger, donnent à l’Etat, ils ne reçoivent en contrepartie en ce qui concerne le financement de leur propre presse écrite que zéro virgule zéro quatre pour cent (0,04%).

En conclusion, le principe d’égalité des chances des langues et des identités officielles du Maroc en ce qui concerne la politique de communication écrite des gouvernements marocains sont très fort lointaines, sans parler ni de la politique de discrimination positive qui devait s’imposer depuis que le chef d’Etat avait reconnu l’amazighité lors de discours d’Ajdir à partir d’octobre 2001, ni de la dette historique que nous devons exiger vu que l’Etat marocain avait privé la dite presse amazighe de toute aide matérielle et financière depuis plus de cinquante ans, depuis l’indépendance du pays en 1956.

Même si le mouvement amazigh est arrivé à arracher la reconnaissance de la langue amazighe en tant que langue officielle, la presse amazighe sera fatalement toujours condamnée à la mort, à moins que les citoyens et citoyennes amazighs se réveillent de leur profond sommeil et se convertissent en vrais «nationalistes amazighs». Mais c’est quoi un «nationaliste amazigh» ? C’est simple, un «nationaliste amazighe» c’est celui qui quand il va acheter des journaux ou des revues, pense avant tout à sa propre presse avant de regarder et fouiller les autres titres arabes et français. Un «nationaliste amazigh» c’est ce vendeur de journaux, fier de son identité expose à la vue de tout le monde sa propre presse et ne la cache pas au fond des caisses. Un «nationaliste amazigh» c’est aussi ce propriétaire de café qui n’oublie jamais d’acheter la presse amazighe pour ses clients. Un homme ou une femme d’affaire «nationaliste amazighe», c’est celui ou celle qui lorsque il pense à une campagne de communication des produits et services de sa société pense premièrement à la formuler et à la conceptualiser à travers «sa langue maternelle» et à penser aux artistes, sportifs ou chanteurs amazighes à jouer dans ses spots publicitaires et à la publier prioritairement sur les colonnes de «sa» presse amazighe et à la diffuser sur les chaînes de «ses» radios et de «ses» télévisions amazighes comme TV8. Lorsqu’on aura cette conscience nationaliste, comme l’ont les «nationalistes arabes», les «nationalistes turques», les «nationalistes israéliens», les «nationalistes catalans»&hellip,; alors, et soyez sûr de cela, on aura plus un seul titre mais plusieurs titres journalistiques, de revues et pourquoi pas des radios et télés privées 100% amazighes et des centaines de journalistes professionnelles amazighes y trouveront des emplois !

En définitive, il n’est pas du tout normal qu’au Maroc où il y a au minimun plus de 17 millions de citoyens amazighophones, les citoyens et citoyennes autochtones ne disposent que d’un seul titre de presse, avec une périodicité mensuelle et un tirage honteux de 10.000 exemplaires, et qui de plus, est en voie de disparition.

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