Recentrer les débats à leur juste valeur (6 ème partie)

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Troisième partie Importance de l’intégrité des puits dans le développement du gaz de schiste, impacts sur la qualité de l’air et sismicité induite

L’intégrité des puits : une question centrale dans la propreté et la réduction des risques dans le développement du gaz de schiste Tout forage constitue une voie potentielle de remontée en surface des fluides piégés dans le sous-sol. Aujourd’hui, les techniques qui ont permis le boom des ressources non conventionnelles semblent relever le défi d’assurer et de maintenir l’intégrité des puits de forage pour prévenir au mieux les fuites des fluides polluants. Des puits non conventionnels, typiquement plus longs et à trajectoires latérales courbes, accèdent à des réservoirs en surpression considérable. Ils doivent résister aux intenses pressions de la fracturation hydraulique et aux volumes d’eau importants pompés en subsurface que ne le font les puits d’hydrocarbures conventionnels. Dès lors, toute défaillance dans l’intégrité du puits peut engendrer des surcoûts importants et impacter négativement la santé humaine et l’environnement. En cas de fuites dans le puits, les fluides peuvent migrer à travers des interstices ou des défauts dans le tubage en acier, les joints de tubage, ou encore, des garnitures mécaniques défectueuses ou le ciment, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du puits. L’accumulation excessive de pression dans l’espace annulaire du puits, dite pression de tubage soutenue (SCP), peut forcer les fluides à s’épancher hors du puits et dans l’environnement. Dans les fuites externes, les fluides s’échappent entre le tubage et la paroi rocheuse du puits là où le ciment est mal appliqué ou absent. Alors, ces fluides peuvent atteindre les eaux souterraines peu profondes ou l’atmosphère. Les opérations de puits et leur âge avancé sont deux facteurs susceptibles d’altérer leur intégrité. Les perforations, la fracturation hydraulique et les tests de pression entraînent parfois des variations significatives de température et de pression capables d’endommager les contacts entre le ciment et le tubage adjacent ou la roche, ou encore, fissurer le ciment ou la roche couverture environnante. La fissuration et les attaques chimiques sont des facteurs potentiels de dégradation du tubage et du ciment à la suite de réactions chimiques avec des saumures ou d’autres fluides qui se transforment en acides corrosifs dans l’eau (acide carbonique ou acide sulfurique à partir de CO2 et H2S). Les déterminants de l’intégrité d’un puits concernent trois étapes : le forage, les opérations, l’obturation et l’arrêt de l’activité du puits. Pendant le forage proprement dit, les phases clés pour préserver l’intégrité du puits consistent à limiter les dommages dans la roche environnante et à prévenir l’incursion dans le puits d’éventuels fluides de formation en surpression. Les techniciens de forage doivent alors équilibrer la surpression des fluides du réservoir avec la pression hydrostatique de la boue de forage dans le puits, l’acier et le ciment afin d’empêcher d’éventuelles éruptions d’horizons aqueux souterrains pouvant être catastrophiques. Cependant, même si ces éruptions peuvent impacter lourdement l’environnement, elles sont très rares et peuvent être rapidement identifiées et maîtrisées. Les gaz emprisonnés dans les pores des formations intermédiaires doivent donc être empêchés d’envahir le puits au cours du forage. L’essentialité de l’intégrité d’un puits est intimement liée aux travaux de complétion du puits, à l’extension de sa durée de vie et de ses performances. Les fluides doivent être maintenus dans le puits et dans la formation-cible à l’aide du tubage en acier, du ciment et des composants mécaniques qui isolent les fluides et scellent les espaces entre le tube de production, le tubage externe et la roche environnante. Lorsqu’un puits devient économiquement non rentable, on doit procéder à son obturation et son abandon dans de bonnes conditions d’étanchéité. Des barrières mécaniques et en ciment sont installées pour en garantir l’étanchéité à différentes profondeurs et prévenir toute migration de fluides vers le haut ou vers le bas dans le puits. Des puits incorrectement abandonnés peuvent constituer des voies potentielles de communication entre les couches les plus profondes et la surface, entraîner des fuites de fluides polluants et la contamination des eaux de surface et de l’atmosphère. Malgré toutes les mesures de précaution, l’intégrité d’un puits peut connaître des ruptures, menant très rarement à des explosions en surface. Comprendre pourquoi et comment surviennent ces ruptures est vital pour l’amélioration de la sécurité des puits fracturés hydrauliquement et la minimisation de la contamination de l’environnement. Les résultats des enquêtes sur les puits offshore et on-shore montrent des disparités dans les proportions de SCP survenues, reflétant l’importance de la géologie et de la construction des puits. Dans le golfe du Mexique, une enquête menée sur 8 000 puits montre que 11 à 12% des puits ont connu des indices de SCP dans les gaines d’étanchéité du tubage externe, avec des taux allant de 2% à 29% selon les sites. En Alberta, les entreprises ont rapporté que moins de 4% des 316 000 puits réalisés accusent des signes de SCP, avec notamment un site à l’est d’Edmonton qui affiche un taux de 15,3% de SCP. Une étude plus récente sur l’intégrité des puits à l’échelle mondiale montre que sur des échantillons de plus de 100 puits, le taux d’indices de SCP se situe dans une fourchette de 3% à 43% à Bahreïn, au Canada, en Chine, en Indonésie, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au large de la Norvège et du Golfe du Mexique. Douze cas sur les dix neuf échantillons étudiés exhibent des taux de SCP dans les puits supérieurs à 10%. Il est à noter que les données officielles disponibles sur les ruptures de l’intégrité des puits sont encore relativement rares et éparses. En Alberta, la réglementation exige des tests sur la migration des gaz dans le sol autour des têtes de puits. C’est ainsi que des mesures effectuées en surface sur l’étanchéité du tubage d’un échantillon de 1 230 puits au Canada révèlent que 23% des puits présentent des fuites de gaz en surface et dans le sous-sol ; ce qui correspond à un volume de 0,01 à 200 m3 de CH4 qui s’en échappe quotidiennement. Une étude similaire menée dans la même région sur une base de données des services de l’industrie a conclu à des occurrences de fuite de gaz pour seulement 0,6% des puits. Par ailleurs, dans une zone-test à l’est d’Edmonton, les analyses de sol montrrny que 5,7% des puits, soit 1 187 sur 20 725 puits, présentent des indices de fuite de gaz. De plus, les forages dirigés sont 3 à 4 fois plus sujets à des fuites de gaz que les forages verticaux avec un taux d’indice de fuite de gaz ou de SCP supérieur à 30% sur les 4 600 puits étudiés. S’agissant de la contamination des eaux souterraines, la compilation des données relatives aux incidents inhérents à l’exploitation des hydrocarbures dans l’Ohio et au Texas, montre que sur une période 25 ans, l’Etat de l’Ohio a connu 185 cas de contamination d’eaux souterraines causés par des ruptures dans les bassins de stockage des eaux usées ou dans l’intégrité des puits. L’Ohio qui comptait environ 60 000 puits en production, exhibe un taux d’incidents de l’ordre de 0,1%, soit environ 5 puits pour 100 000 puits en production, pour cette période. Par contre, le taux pour le Texas était plus faible, avec 211 incidents au total soit environ 0.02% ou encore 1 puits pour 100 000 puits en production pour la même période. Fait intéressant, cette étude comptait aussi 16 000 puits horizontaux de gaz de schiste dans le Texas, et aucun cas associé à la contamination des eaux souterraines n’a été rapporté. Des enquêtes de terrain à large échelle sont également disponibles auprès de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA). Elles incluent les données relatives aux violations des mécanismes de l’intégrité des puits et au respect des exigences réglementaires. Combinées aux SCP et aux incidents souterrains, ces données montrent des taux de défaillances de barrière compris entre 1 et 10% des puits ; cependant, les taux de contamination déclarés pour les eaux souterraines sont plus faibles (de 0,01% à 0,1% des puits). En fait, ces chiffres constituent une limite inférieure pour les problèmes environnementaux, tous les cas d’échecs n’étant pas toujours identifiés. Pour une meilleure approche de la réalité, il est nécessaire de procéder au dépistage systématique de la contamination potentielle des eaux souterraines et des incidents de rupture de l’intégrité de puits afin de compléter les données auto-déclarées de l’industrie. Néanmoins, les conclusions de ces études et enquêtes de terrain montrent que des risques multiples liés à l’intégrité des puits existent toujours avec des disparités entre sites et pays, mais leur limitation relève du possible, pour peu que les procédures en vigueur soient adaptées aux contextes géologiques et observées minutieusement au cours des différentes étapes du développement des hydrocarbures non conventionnels.

(A suivre…) I. A. Z.

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