Pédagogie de projet, enseignement de tamazight et formation

Partager

En en parlant avec des amis enseignants de langues, je me suis rendu compte que ce qui était proposé était en fait un remake des programmes existants. Seules les désignations changeaient. Les unités didactiques se muaient en… projets ! Les projets proposés dans les programmes sont ceux des concepteurs des programmes et des manuels scolaires.

Il n’est même pas question de projets d’enseignants pour parler d’enseignement par projets. Les discussions que j’avais eues avec des amis de longue date, Yahia Bellil (inspecteur de tamazight à Béjaïa) et Djamel Arezki (inspecteur de français et de tamazight à Bouira) à la rentrée 2005 et par la suite m’ont amené à participer à deux demi-journées de formation à la pédagogie de projet organisées à Akbou (par Yahia Bellil) et à M’chedellah (par Djamel Arezki) en février 2006. Une demi-journée était à peine suffisante pour sensibiliser les enseignants à cette approche pédagogique. On ne peut pas former un enseignant à une nouvelle pratique pédagogique en quelques heures. Particulièrement à la pédagogie de projet qui nécessite une expérience d’apprenant avant de la pratiquer comme enseignant. L’idée d’organiser un stage d’une semaine est née. Cette idée s’est transformée en un projet qui a été soumis à Mme Bilek, responsable de l’enseignement et de la formation au HCA, qui a pris en charge ce besoin en formation des enseignants de tamazight.

Le dispositif pédagogique de la formation a été préparé par Annie Couëdel, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’Université Paris 8e, et moi-même. C’est la transposition d’un dispositif conçu par Annie Couëdel qui a pratiqué la pédagogie de projet pendant une trentaine d’années à l’Université Paris 8e où elle exerçait comme maître de conférences en sciences de l’éducation. C’est un cours de Master en didactique des langues et les ateliers de pédagogie de projet assurés par Annie Couëdel qui ont été transposés dans ce contexte nouveau.

La pédagogie de projet place l’apprenant au centre de l’apprentissage. Les projets doivent être ceux des apprenants. C’est ce qui va leur permettre d’être motivés de façon optimale. Les élèves adhèrent plus facilement aux projets de leurs camarades qu’à ceux de l’enseignant lorsque ce choix leur est permis. Certes, la réalisation des projets est importante pour la réussite de l’apprentissage, mais il ne faut pas oublier que les projets sont un moyen d’apprendre et non une fin en soi, sous peine de dérive.

Le projet doit déboucher sur un produit concret et avoir un impact sur la société. Il a pour but de transformer l’environnement social qui exercera à son tour une transformation sur les apprenants qui l’ont réalisé. Lors des processus de conception et de réalisation du projet s’opèrent des apprentissages. Après avoir veillé sur le choix des projets (les projets ne doivent pas être nuisibles sous une forme ou une autre aux élèves), l’enseignant exploitera toutes les phases de conception et de réalisation pour installer les compétences (linguistiques et socioculturelles dans l’acquisition des langues) visées par l’enseignement.

Le dispositif mis en place pour cette formation insiste sur le travail de groupe (les projets doivent être collectifs.) Il est axé sur une articulation grand-groupe/petits-groupes (groupes-projets.) Ainsi se développera une identité qui favorisera l’appartenance à des groupes sociaux et évitera au sujet de s’inscrire dans l’individualisme. De même que se développera chez l’apprenant l’esprit de responsabilité devant le groupe et non seulement devant l’enseignant. D’ailleurs, la disposition des tables proposée est en forme de cercle, de rectangle ou de carré : ainsi tous les membres du groupe se voient et interagissent de la sorte. Il faut dire que la disposition traditionnelle des tables ne favorise d’interactions qu’entre l’enseignant et l’élève, privant ce dernier d’interactions avec ses camarades qui lui permettront de les connaître et d’avoir envie de construire avec eux. C’est dans le travail collectif que se cultivent des valeurs comme la solidarité. Travailler en groupe sur la réalisation de leurs projets permet aux apprenants de développer leur autonomie, surtout si l’enseignant n’intervient qu’à la demande des élèves ou en cas de besoin ou de nécessité. La réalisation d’un projet nécessite diverses compétences et aptitudes : cela permet à un maximum d’élèves de mettre au service du groupe des savoirs et des savoir faire particuliers. Cela intègre l’apprenant tout en le valorisant. C’est ainsi que se développe la confiance en soi qui est indispensable pour la réussite de l’apprenant.

La première formation a eu lieu à Zéralda en janvier 2007 et a concerné une trentaine de stagiaires. Elle a été suivie de deux journées en mars 2007 à Bouira pour les mêmes stagiaires. Ce premier groupe a participé à 60 heures de formation à la « pédagogie de projet et acquisition de tamazight. » Un deuxième groupe (35 stagiaires) a été retenu pour la même formation en mars à Bouira. Cinq inspecteurs de tamazight, qui ont participé à la première formation, ont participé à la seconde en tant qu’encadreurs, en compagnie d’un enseignant et de cinq enseignantes (parité oblige !) Il fallait préparer la démultiplication.

En juillet 2007, les deux groupes qui ont participé aux premiers stages ont été conviés à une formation à la « Pédagogie de projet et enseignement de la littérature » d’une semaine. Cette première session a été suivie d’une autre d’une semaine qui a été consacrée à la formation d’une soixantaine d’enseignants de tamazight à la « Pédagogie de projet et acquisition de tamazight. » Les cinq inspecteurs qui ont participé aux premiers stages ont participé à l’encadrement des nouveaux stagiaires avec le concours d’une vingtaine d’enseignants déjà formés. On pouvait enfin constituer plusieurs équipes de formateurs pour la démultiplication qui devait débuter à la rentrée 2007. C’était sans compter avec les multiples problèmes qui allaient surgir.

A Bouira, Djamel a été déchargé de l’inspection de tamazight à la suite de la nomination d’un des inspecteurs de Tizi Ouzou qui se retrouve dégarnie. Heureusement qu’Ali Lounis a retrouvé sa circonscription à Tizi (tout en continuant celle de Bouira !) Ramdane Merabet, victime de basses manœuvres, a quitté son poste de conseiller pédagogique. Le seul inspecteur de Béjaïa qui a participé à ces formations s’est retrouvé victime d’un feuilleton que seule une bureaucratie aussi vache que celle de la direction de l’éducation de Béjaïa sait mettre en scène.

Yahia Bellil s’est retrouvé chargé d’inspection sans prérogatives de titularisation après avoir assumé une charge totale d’inspection durant quatre ans. Comment se fait-il qu’une personne qui a participé à toutes les étapes de la mise en place de l’enseignement de tamazight en Algérie depuis 1995 (programmes, manuels, formations) se retrouve du jour au lendemain dans cette situation ? Tous ceux qui le connaissent lui reconnaissent des qualités plus que suffisantes pour exercer une telle charge. Son éducation, sa modestie, sa culture et ses compétences linguistiques, didactiques et pédagogiques sont légendaires dans le monde de l’enseignement de tamazight à tous les niveaux. Il ne lui manque que la reconnaissance sociale pour des aptitudes à la bureaucratie et au contrôle : le titre officiel d’inspecteur. Mais on ne veut pas comprendre que le premier rôle d’un inspecteur est celui de formateur et non celui de faire la police auprès des enseignants. Pour les fanatiques de l’inspection-police, il faut rappeler que le système éducatif le plus performant au monde (Finlande) fonctionne sans inspecteurs ! Ce sont les enseignants qui se chargent de s’évaluer entre eux. Il est évident que Yahia Bellil dérangeait et faisait de l’ombre à des « ignares » qui trônent dans des structures de l’éducation. Il est de coutume que ceux qui sont conscients de leur nullité et qui ne croient pas à leur propre progression et développement essaient toujours de casser ceux qui les dépassent et qu’ils ne pourront jamais égaler. Pousser Yahia Bellil à la démission de sa charge d’inspection est un acte de sabotage contre l’enseignement de tamazight.

Je suis convaincu que le sens du devoir et l’esprit de sacrifice que Yahia Bellil a acquis dans son éducation auprès de son père (qui a passé une partie de son adolescence et de sa jeunesse dans les geôles du colonialisme pour l’indépendance de l’Algérie) feront qu’il poursuivra son apport à l’enseignement de tamazight qui a tant besoin de lui.

Avant d’évoquer le dernier stage qui a eu lieu à Boumerdès en décembre 2007, je voudrais revenir sur le stage de Béjaïa. Alors qu’il s’annonçait bien avec des moyens matériels supérieurs à ceux qui étaient disponibles en mars à Bouira, il a été pénible à réussir. On a eu à déplorer l’indisponibilité des moyens de reprographie le premier jour : c’est le système D qui nous a permis de travailler. Dans une formation intensive comme celle-ci même les temps informels sont des moments de travail. La pause-déjeuner était très difficile à exploiter à cause de la présence de personnes étrangères à la formation qui se mêlaient aux stagiaires lors de la prise du repas. On a compté jusqu’à plus de vingt intrus lors d’un déjeuner. Cela se passait en présence des premiers responsables de la formation à la Direction de l’éducation de Béjaïa, lesquels étaient présents sur le site du stage durant les deux semaines. Une présence qui n’a pas été d’un apport positif pour la formation sur le plan pédagogique. Au contraire, cela a perturbé le bon déroulement du stage. A cela s’ajoute une intoxication alimentaire (?) qui a affecté plus de 40 participants lors de la deuxième semaine.

Le dernier stage de décembre a été exemplaire sur le plan de l’organisation. Cela a permis d’optimiser le rendement des stagiaires qui ont eu à travailler sur l’évaluation en pédagogie de projet durant 3 journées (deux sessions de trois journées.)

La Direction de l’éducation de la wilaya de Boumerdès et le proviseur du Lycée où a eu lieu le stage ont œuvré à la réussite du stage sans imposer la présence inutile des responsables de la direction ni celle de personnes étrangères à la formation lors des repas. L’ « appel du ventre » ne nous a pas perturbés comme c’était le cas à Béjaïa. Le groupe a pu travailler sur l’évaluation de projets et des compétences linguistiques et socioculturelles que les élèves acquièrent lors de leurs apprentissages. Accorder toute leur importance au processus dans l’apprentissage et à l’évaluation formative permet d’accompagner les apprenants vers la réussite.

Le cycle des stages qui ont eu lieu en 2007 a totalisé plus de trois cents (300) heures de formation. Si le premier stage a été organisé par le HCA à Zéralda, les autres l’ont été avec le concours du ministère de l’Education qui a mis ses structures au service de la formation et l’hébergement des stagiaires. Cherifa Bilek, la responsable de l’enseignement et de la formation au HCA, a été présente en permanence à tous les stages. Cela a été apprécié par les stagiaires qui étaient rassurés par sa disponibilité et son efficacité à agir pour assurer les meilleures conditions de travail possibles.

Ce qui apparaît lors des synthèses et des bilans c’est beaucoup de transformations chez les enseignants. Ce qui m’a le plus impressionné c’est l’abandon de la violence sous toutes ses formes par nombre d’enseignants et sa nette diminution chez les élèves qui vivent quelques espaces de ce dispositif pédagogique. Il y a aussi le plaisir de travailler dont ont fait part plusieurs enseignants qui parlent aussi du plaisir d’étudier qu’ils ont noté chez leurs élèves. L’école ne doit pas être un espace de torture et de souffrance mais un lieu où les enseignants doivent exercer un métier qu’ils ne doivent pas ressentir comme une corvée et où les élèves doivent étudier avec plaisir tout en s’épanouissant. Cela n’est pas possible en soumettant les élèves à un flot incessant de leçons sous la contrainte alors que la notion même de leçon a pris sa place dans les musées de la pédagogie dans les pays où les systèmes éducatifs sont performants. La notion de programme prend aussi le même chemin.

Ces formations ont aussi apporté d’autres satisfactions et ouverts des perspectives. Djamel Arezki a entamé la formation des enseignants de français de sa circonscription (Bouira) à la pédagogie de projet. Ils pourront ainsi travailler avec les enseignants de tamazight. Des équipes de formateurs se dégagent pour entamer la démultiplication dans les wilayas de Tizi Ouzou et de Bouira dans un premier temps. Des cercles pédagogiques verront le jour et permettront aux enseignants d’échanger et de travailler ensemble. Un centre d’études et de recherches pédagogiques se met en place pour travailler à la mise en place d’une pédagogie « authentique » qui émane de nos réalités socioculturelles. La mauvaise copie d’une mauvaise école (française) a largement eu le temps de montrer ses limites. Une autre grande satisfaction : la motivation extraordinaire des enseignants qui ont participé à ces stages. Mis à part le stage de Zéralda en janvier 2007, tous les autres ont eu lieu en périodes hors temps scolaire. Il y a eu des enseignants qui ont consacré plus de six semaines de leurs congés à se former et à former ! On a travaillé même les week-ends pendant les vacances ! Cette motivation est pour beaucoup dans la réussite des formations.

Nasserdine Aït Ouali, enseignant à l’université Paris 8e

Partager