«Tamazight a emprunté et empruntera sinon elle disparaîtra»

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Féru de livres et de recherche, notamment dans le domaine amazigh, Brahim Ben Taleb trouve ainsi du plaisir à glaner des mots amazighs disparus ou en voie de l’être. Auteur et militant infatigable, il revient cette fois avec un dictionnaire dont les travaux ont été entamés depuis les années 70.

Plusieurs années de recherche et de persévérance pour enrichir le monde de l’édition amazighe avec un dictionnaire de 40.000 mots qu’il a recueillis auprès des Amazighs de toute l’Afrique du nord. Plus de dix parlers amazighs ont été scrupuleusement étudiés pour en faire un ensemble cohérent. Il revient, dans cet entretien, sur ses projets dans le domaine. Ses choix de graphie pour transcrire Tamazight, les emprunts, l’édition…

La Dépêche de Kabylie : Vous venez d’éditer un dictionnaire, Tamazight-Français, Français-Tamazight, qui contient 40.000 mots, comment avez-vous recueilli tous ces mots ?

Brahim Ben Taleb : Ce recueil de mots, je l’ai commencé depuis les années 70. D’abord, auprès de mes proches, parents et grands-parents, puis auprès de mes frères Imazighen que j’ai rencontré au cours de mes études et dans ma carrière professionnelle dans presque toutes les régions de mon pays, ainsi que dans quelques provinces de Djerba en Tunisie et de Ghadamès en Libye. Mais le gros de l’activité c’est dans la lecture de différents auteurs d’articles, livres, lexiques ainsi que lors de conférences &hellip,; traitant de la question amazighe. Tous mes informateurs de l’oralité comme tous les auteurs de ces écrits (quelque soient leur pays, sexe ou religion). Au passage, je tiens à les remercier vivement pour n’avoir jamais cesser de répéter des mots, pour les uns, et pour m’avoir appris la richesse de notre culture amazighe, pour les autres.

Est-ce que tous ces mots appartiennent au vocabulaire amazigh ?

Comme toutes les langues du monde, Tamazight a emprunté à toutes les langues des envahisseurs occupants. Parmi ces mots empruntés, il y a aussi bien ceux de la religion, que de la science et technique. Mais quel qu’il soit, le mot ne sera intégré que s’il respecte les règles de grammaire de la langue d’accueil (Tamazight). Mais en règle générale, l’emprunt se fait au féminin. Comme exemple, El kitab (le livre) devient Taktabt en Tamazight. Autre exemple, le mot français crayon donne akeryun (kabyle de Tamazight), comme qalam en arabe qui vient du grec qalamus. Alors, même l’anglais, première langue du monde a emprunté à plus de 130 langues écrites ou parlées du monde. Ainsi Tamazight a emprunté et empruntera, sinon elle disparaîtra.

Comment choisissez-vous les mots dans le dictionnaire, quand on sait que vous avez travaillé sur plus de dix variantes et parlers amazighs ?

Je n’ai effectué aucun choix. Mon travail consistait d’abord à recenser les mots de chaque parler amazigh. Puis, je procède à leur classement par ordre alphabétique, tel qu’il a été établi par Mouloud Mammeri dont une de ses règles est que « un signe simple graphique ou lettre pour un son et un son simple pour un signe unique ». Après, j’ai fait la même chose à l’ensemble de tous les parlers amazighs, sans aucune distinction, y compris pour l’arabe parlé (algérien), lequel, est pour moi, un dérivé des deux langues, arabe et amazighe.

Pourquoi avez-vous utilisé le Latin pour transcrire la langue amazighe ?

Mon premier objectif était de faire l’inventaire des mots de ma langue maternelle pour mieux la connaître, la défendre et la développer. Grâce à l’Aberc1 qui m’avait appris son alphabet Tifinagh (plus exactement Tafut nnegh, notre lumière, ou Tifin nnegh, notre découverte), n’en déplaise à ceux qui prétendent que le mot Tifinagh viendrait de finiqiyin (Phéniciens). Pour ce faire, j’avais commencé à écrire des mots avec les caractères Tifinaghs auxquels l’Aberc a rajouté 15 signes graphiques dont leurs son kabyle n’existent pas en Tifinagh, ce qui porte leur nombre à 37. Mais au cours de mes travaux et découvertes de notre glossaire- mots rares ou mal connus- il y avait d’autres sons encore que Dda Lmulud n’avait pas inventoriés (et cela ne veut nullement dire qu’il ne les connaissait pas). Tandis que moi, j’en avais besoin pour transcrire, le plus fidèlement possible, tous ces mots de toutes les langues parlées de Tamazight. Alors, j’ai complété la liste que Dda Lmulud avait arrêtée à 44 pour la porter à 50 lettres/sons différents et la liste n’est pas terminée. Pour toutes ces raisons. J’ai opté pour le latin ou plutôt pour l’Api2. Lequel, à ma connaissance, est celui qui a répondu le mieux et le seul à pouvoir répondre efficacement à la transcription et à nos besoins. Quant à l’arabe, avec ses 28 caractères alphabétiques, il est impossible d’y transcrire Tamazight, sauf pour les parlers dont le son a été nettement arabisé. Dans ces parlers, on ne trouve pas de lettres V, ni 2J, 2L, 3Z, 4G, 4K &hellip,; mais la lettre â est fortement présente. Le G est remplacé par Y ou par J.

Avez-vous d’autres projets dans le domaine amazigh ?

Le mot « retraite » n’existe pas en Tamazight. Un proverbe me l’avait appris très jeune. Il dit « Ma te3yid, jjma3 azru », ce qui veut dire : dés que tu te fatigues, ramasses les cailloux. Alors, après avoir ramassé des mots, maintenant j’essayerai de les construire ou de les écrire. En ce moment, je prépare un documentaire sur les sources qui sont dans un piteux état et je vise à les restaurer. Un autre ouvrage portant sur l’éducation des enfants, tâche nécessaire des parents qui doivent jouer leur rôle pour développer les qualités morales, intellectuelles et artistiques&hellip,; de notre progéniture.

Pour terminer, quel constat faites-vous de l’édition en Tamazight ?

Encore un proverbe d’autrefois qui dit, à peu près, ceci « quelque soit le temps, le berger sortira ses mouton ». Alors, les problèmes d’édition ou d’impression ne se posent pas seulement à la langue, aux enseignants et à l’enseignement de tamazight, mais à tous ceux qui ne caressent pas dans le sens du poil. Autrement dit, impression, édition, publication&hellip,; veut dire commerce, lequel signifie argent. D’où, qui veut publier, n’a qu’à montrer pattes blanches et retirer ses gants…

Propos recueillis par M. Mouloudj

Académie berbère d’échange et de recherche culturelle de feu M. A. Bessaoud et Ahardane

Alphabet phonétique international créé en 1888

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