Accueil Culture “C’est la misère et la douleur qui forgent le poète”

Chanson : Entretien avec Cherif Hamani : “C’est la misère et la douleur qui forgent le poète”

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Dans cet échange sincère, Chérif Hamani évoque son tout dernier album qu’il vient de commettre et plein d’autres sujets relatifs à son actualité, à sa carrière passée, présente et à venir… Il en parle à cœur ouvert !

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La Dépêche de Kabylie : Votre actualité oblige, il y a ce nouvel album que vous venez de mettre sur le marché. Le produit est dominé par la tristesse des sujets abordés, la séparation, le deuil… Pourquoi autant de mélancolie dans une période de fête ?

Chérif Hamani : C’est une partie de moi. Le temps passant, c’était dans les fêtes qu’on se remémore, le plus, les deuils. C’est même à ces moments-là qu’on revit de manière intense les événements douloureux qui nous ont fait très mal. Et là je ne parle pas des convives mais de la veuve qui célèbre la circoncision ou le mariage de son fils. Fatalement, elle pense au papa qui n’est plus là. La tristesse et les regrets montent alors vite à la surface à vous inonder et vous étrangler. Heureusement qu’il y a les pleurs pour dégager toute cette angoisse qui vous prend d’un coup lors des cérémonials. Généralement, ça vous prend au moment du Heni alors que les vieilles entonnent leurs chants empreints de solennité. C’est très intense, et vous avez tout de suite les poils qui se hérissent et des larmes qui jaillissent… C’est comme ça, c’est nous et c’est notre particularité. Ca fait partie de nos traditions, de notre humanité de notre attachement à la famille. C’est cela le Kabyle. Il n’oublie pas d’où il vient. Le moindre bonheur le renvoie à ce qu’il a enduré pour y arriver.

Est-ce que ce dernier album est de votre vécu exclusif ? Les mots, le ton et la passion mis le suggère, en tous les cas, fortement…

Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous dites. Franchement, je l’ai tiré de mes entrailles. Et au bout, je me dis encore que je n’ai rien sorti. Je suis loin de dire que j’ai été rassasié. Si je dois faire une comparaison, je dirai que c’est comme si vous mettiez un petit robinet à un château d’eau pour le vider…

Ce n’est pas pour vous cataloguer dans tel ou tel registre, mais à voir votre réussite, on a commel’impression que vous chantez mieux les malheurs, la tristesse, tout ce qui symbolise le noir…

Vous savez, la joie est facile à provoquer et à dissiper. Je dirais même qu’elle est furtive. Une simple blague vous fait tordre de rire et puis ça s’en va tout de suite après. Un moment de bonheur, aussi grandiose soit-il, on ne le sent pas long, ce qui fait qu’on ne trouve pas vraiment le temps pour le savourer. Du moins, c’est le genre de moments qui nous paraissent les plus courts de la vie. Tout le contraire des moments de douleurs qui nous paraissent interminables. Quand un malheur vous prend, il vous isole, vous étrangle et vous fait mouliner comme un grain de blé… Parfois, le supplice n’est pas loin. C’est alors tout naturel que ca marque plus, et chez le poète, ça fait sortir les choses les plus profondes. Et on dit mieux les choses quand on les a vraiment senties, subies et vécues profondément. Ce n’est pas du cinéma, c’est du réel. Quand vous prenez une claque, la douleur est tout de suite sur le visage, pas besoin de faire un effort pour vous tirer les traits ou simuler une souffrance.

C’est un peu le cas des artistes anciens. Mais pas des jeunes d’aujourd’hui qui arrivent… Vous partagez cet avis ?

En tous les cas, me concernant, c’est généralement le mal qui me fait m’exprimer… Et il y a une belle brochette dans mon cas. Et je pense sincèrement que nous devons un pan de notre réussite à cette galère que chacun de nous a subie un jour. C’est la meilleure école. S’il n’y avait pas de souffrance, de peine, d’anxiété ou de tourments, je ne pense pas qu’un artiste trouverait quoi dire. C’est au contraire dire ces choses qui nous soulagent, même si elles relatent malheur sur malheur. Et si le message passe c’est par ce qu’on a chanté du réel qui ressemble à celui du voisin ou du fan qui est à des kilomètres de nous.

Revenons à ce dernier album où la tristesse est omniprésente. Mais vous restez quand même très généraliste dans la description. Que chantez-vous exactement ? Un divorce ? Une maman perdue ou un idéal qui vous a fui …?

Waouh ! Là vous me poussez vraiment à bout. C’est sûr qu’il y a toujours cet événement qui vous brusque pour entamer quelque chose, mais après il y a l’artiste qui intervient pour dire les mots de manière poétique, plus agréable je dirais, et surtout de telle sorte à toucher le maximum de gens possible. Je vous cite un exemple tout bête : quand vous chantez la trahison d’un être cher, vous touchez en même temps celui qui a été trahi par un frère, un fils, un ami, un proche…et j’en passe. Mais si vous chantez la trahison d’un ami, ça se limite à ce cas de figure. La chanson a une bien meilleure portée quand elle véhicule un thème ou une histoire la plus ouverte possible. Pour ce dernier album, c’est aussi loin d’être une petite parenthèse, mais le fruit d’un long travail. Il y a des chansons que j’ai composées depuis une dizaine d’années. C’est le cas du titre ‘’Amek Ara Medhlegh Thabourt’’ (Comment pourrais-je fermer la porte) que j’ai écrite en 1994. Par contre, ‘’Nehthath’’ (Les soupires), je l’ai composée récemment. Ca retrace notre vécu à nous, une génération d’un certain âge, comment on a grandi, comment la situation a changé au fil des années…

Êtes-vous du genre à transmettre un message codéà travers des chansons ?

Non, non, je ne fais pas ça. Je dis ma tristesse, mes malheurs et forcément, il y a un entourage avec qui je partage ça, mais je ne vais pas jusqu’à adresser un message personnel à un sujet particulier. J’essaye à chaque fois d’en faire une leçon qui touche le plus de personnes possible. Et là je ne parle pas que des déceptions amoureuses comme pourraient le penser certains, mais des tas de sujets qui touchent la société de manière générale. Maintenant, pour être vraiment franc avec vous, j’avouerai toutefois que pour la chanson ‘’Our Dha Seqar Djighkem’’ (Ne te dis jamais que je t’ai abandonnée), c’est là un texte que ma propre femme m’a inspiré. Il y a d’autres titres où on pourrait penser de même, mais ce n’est pas le cas. Pour ‘’Amek Ara Medhlegh Thabourt’’, on pourrait bien supposer que je chante une séparation, un amour qui se déchire, or il y est question de l’amitié de l’union, enfin tout ce qui peut rassembler… Dans la troisième chanson, je chante la séparation. Tout le long du texte on pourrait s’imaginer qu’il s’agit d’amour perdu, de plein de personnages à qui je m’adresserais. Et ce n’est qu’à la fin que je fais ressortir qu’il s’agit de l’ultime séparation avec ma défunte mère. Voilà un peu en ce qui concerne ma manière de chanter.

Mais sinon, pourquoi cette longue absence ? 

Ce n’est pas de ma faute, ni de ma volonté. Il n’y a eu aucun producteur qui est venu me solliciter et je ne suis pas du genre qui irait se proposer. Mais pendant ce temps je n’ai pas arrêté de produire.

On ne vous a pas proposé de galas non plus ? Car vous vous êtes également fait rare sur scène ?

Si si. On a toujours fait appel à moi, et au passage je remercie toutes les personnes qui ont pensé à moi. C’est avant tout une reconnaissance de leur part pour ce que je fais. Même si je n’ai pas toujours pu répondre présent, surtout ces dernières années, depuis que je me suis installé en France. Mais chaque sollicitation reste pour moi un réconfort, un encouragement pour continuer.

Et ça ne vous manque pas de retrouver votre public ?

Mais bien sûr que si. Vous ne pouvez pas imaginer ma frustration d’avoir raté l’occasion du Ramadhan. Je voulais tant faire au moins une soirée à Tizi-Ouzou, mais mon planning de travail ne me le permettait pas. Alors je me dis que ce n’est que partie remise.

 

Vous pouvez être un peu plus précis. Une date proche réjouira sans doute les nombreux fans qui vous attendent ?

Une chose est sûre, c’est qu’il y a une tournée en vue et c’est normalement pour bientôt. Je sens moi-même un urgent besoin de me rapprocher du public. On verra, ça sera d’ici la fin de l’année ou au plus tard au début de l’an prochain. Une tournée au printemps ça serait bien à travers toute la Kabylie et même au-delà.

Peut-être un mot sur l’évolution de la chanson Kabyle ?

Sans cibler tel ou tel artiste, je dirais que c’est la misère et le mal qui contribuent beaucoup à forger le poète. Après, c’est vrai qu’il fallait bien avoir un certain don, être doué pour placer ces mots qui vous tombent dans la tête pour faire ressortir une belle chanson. Mais maintenant ces paramètres  ne sont plus là. A notre époque, des fois, il fallait passer des jours entiers avant d’être surpris par une apparition de la bien-aimée à la fenêtre, quand elle habitait déjà dans une maison qui en avait une. Or maintenant, il y a le portable, Facebook, Skype… C’est des amourettes de luxe. Il est où le charme d’un amour servi à table ? C’est aussi le cas de l’émigration d’aujourd’hui. Avant, les gens étaient contraints d’abandonner leurs familles pour aller chercher quoi manger. De nos jours, la motivation est autre… Vous voyez donc, les temps ont changé aussi. L’inspiration n’est plus la même. Et puis, combien même on pourrait dire que tel ou tel est un chanteur léger, d’occasion, saisonnier ou que sais-je encore, mais s’il est suivi, ‘’consommé’’, peut-on vraiment l’accabler ? Toute la question est là. C’est pour cela que moi je préfère parler de mon souhait de voir une prise de conscience de tous pour rehausser davantage la chanson kabyle.  

Entretien réalisé par

Djaffar Chilab

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