Un Algérien de haut vol

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“Je suis de ce monde et je visles souvenirs d’une autre vie.” Djamel Amrani.

Djamal Amrani ménestrel radical, il rime comme il respire. La poésie fuse de son regard, de ses mains, de ses pores et la voix qui souvent, à la radio ou devant un auditoire, la porte, des fois en compagnie de Azedine Madjoubi, Leila Boutaleb ou Ghafria Guedouche, est faite de granit. Il est venu à cet art majeur avec la ferveur et la magnificence d’un prophète portant son Algérie en viatique, en habit inextinguible. Il est pour nous qui l’avions connu un homme qui a effeuillé les douleurs les plus intenses, les tortures les plus abominables et cela autorisait à nos yeux toutes les extravagances, ou ce que nous prenions comme telles. En effet, c’est quoi un poète sans ces excentricités ? Ce sont justement des détails que l’on ne peut  séparer de la vie et des vécus des gens inspirés. Tahar Djaout le décrit ainsi dans un article publié dans « Algérie Actualité » du 8 au 14 juillet 1982 « De tous les « poètes de la Révolution », Djamal Amrani est celui qui a le plus tenu ses promesses. Non seulement, il a imposé une heureuse continuité alors que tant de souffles se sont éteints, mais il a, à l’image de ces autres grands poètes que sont par exemple Mohamed Dib et Jean Sénac, exploré de nouvelles voies, mettant à profit d’autres cordes sensibles, une somme de richesses langagières et de trouvailles oniriques » Quant à Régines Deforge elle se souviendra de sa rencontre avec le poète dans sa chronique  « Les bâtisseurs de liberté » parue le 2 mai 2001  dans le  journal français l’Humanité : « À Alger, je rencontrai un poète, Djamal Amrani, lui aussi très éprouvé par la mort de Jérôme Lindon qui fut son éditeur. Fin 1959, Pierre Vidal-Naquet – ainsi qu’il le rappelle dans ses Mémoires (3) – avait remis aux éditions de Minuit le manuscrit d’un jeune Algérien,  » presque un enfant « , « le Témoin »,  récit des sévices que son frère et lui avaient subis de la part des parachutistes. Dès sa parution, en mai 1960, le livre de Djamal Amrani fut saisi. Le jeune homme a grandi, il est devenu un poète unanimement respecté dans son pays.». De son coté Mouloud Belabdi, en tire le portrait poignant que voici dans « Djamal Amrani, un poète algérien »  C’est l’un des grands poètes algériens de graphie française selon l’expression de Jean Sénac dont il a été un ami intime et un compagnon de route pour faire connaître la poésie et, notamment la poésie de combat. C’est un poète qui a recouru à la poésie en tant qu’arme de combat avant de l’élever aux Jours Couleur de Soleil. C’est un immense poète dont on s’accorde à penser qu’il a été l’initiateur à l’entrée en poésie de toute une génération de jeunes après l’indépendance de l’Algérie en 1962. Certains lecteurs ont trouvé la poésie de Djamal Amrani difficile d’accès. Pour qui sait fréquenter ses textes, vient un moment où se révèle, au-delà ou en deçà de la douleur de l’homme inscrite à la surface, une sensualité aux marges de la Beauté de l’espace vide et lointain de ce qui nous ressemble, l’Amour. Pour qui sait lire attentivement, il y a en effet, un aspect vertigineux dans la poésie de Djamal Amrani. C’est ce qui donne naissance à soi dans la résistance, le rejet ou l’acceptation. C’est ce qui surgit à l’aube du questionnement de la vie à l’adolescence et qu’on traîne parfois dans l’âge adulte. C’est quand on se frotte à ce questionnement que la vie acquiert un sens. Le pays du poète est immense. Il n’a pas de frontière. Il est Amour qui rassemble, Joie que l’on partage, Eau purificatrice dont on prend plaisir à s’y mirer et à observer ce qui pulse en nous, Force qui nous soulève viscéralement. Son laboratoire, son atelier d’écriture, c’est Alger, la ville qui, dans sa splendeur avait accueilli à bras ouvert le Ché Nelson Mandela, Giap et tant d’autres qui avaient cru à l’utopie d’un monde plus humain. C’est dans cette ville que chantaient Albert Camus, Anna Gréki et tant d’autres amoureux des mots que le poète trouve son inspiration; même si, au détour d’un nuage, il regarde vers l’ailleurs qui est tout aussi proche parce que d’autres peuples tentent de briser leurs chaînes. C’est la raison pour laquelle la poésie de Djamal Amrani est toujours une nouvelle aube. Il y a un dévouement à la vie que ne sauraient mentir les quelques brouillards crépusculaires au détour des mots. C’est dire que tant que demeure la poésie, l’espérance est permise pour l’individu comme pour le genre humain présentement à la croisée des chemins — à moins qu’il ne soit déjà trop tard. Espérons que ce n’est point le cas. Nous sommes en tout cas parés pour affronter le désenchantement du monde. » Et dans ce foisonnement de souvenirs on ne peut occulter celui de l’écrivain Wassini Laredj : « Depuis que j’ai commencé la réalisation de la série Diwan, depuis trois ans, j’ai vu partir des hommes irremplaçables : Dib est mort alors qu’on était en plein montage de son émission. Il disait cela : « A un moment donné il faut savoir fermer les yeux pour ne voir que la vie toute nue, elle est belle sans l’habillage de mensonges. » Abou Laïd Doudou, savant et grand traducteur, connaisseur de plusieurs langues dont le latin et traducteur du roman fondateur l’Ane D’or d’Apulée vers l’arabe, il est mort alors qu’on venait d’envoyer son émission à la diffusion. Tout le monde a parlé de lui et des autres. Le lendemain, ils sont retombés dans l’oubli. Comme si notre mémoire collective est faite de brouillard et d’ombre. Il y aura beaucoup de fêtes et de rencontres pour immortaliser la mémoire de Djamel Amrani, la suite tout le monde la connaît, on l’oublie, et on se prépare cyniquement pour fêter la mort du prochain. Pourtant, un poète ne meurt jamais, il fait ce que font les étoiles, il s’éteint pour laisser rejaillir la lumière du cœur de la nuit et caresser ce grand silence qui nous entoure et qu’on nomme sur le bout des lèvres : la mort. Il rejoint cet espace sacré des passeurs de rêves où seuls les poètes, demi-dieux, ont droit de cité Homère, Virgile, Ronsard, Abou Al Aâla Al Maârri, Al Moutanabbi, Kateb Yacine, Safia Kettou, Benhaddouga, Djaout, Sadek… Ce jour-là il pleuvait, mais quelque part son regard était triste. Trop triste. Un sentiment profond de gâchis. »

 

Le triomphe qui s’érige en certitudes

L’altération des alibis

Nos frissons combustibles

jusqu’au rituel

de nos remparts

et les rumeurs qui propagent

l’équarrissement

de la cité nouvelle

Au-delà la dissolution

d’astres bleus

sur paysage fécondé.

Djamal Amrani est né le 29 août 1935 à Sour El-Ghozlane  et décédé le 2 mars 2005, est un écrivain algérien d’expression française. Djamal est scolarisé en 1952, à l’école communale de Bir Mourad Raïs. Le 19 mai 1956, il participe à la grève des étudiants algériens. En 1957, il est arrêté torturé et incarcéré par l’armée coloniale. En 1958, à sa sortie de prison, il est expulsé vers la France. En 1960, il publie son premier ouvrage aux Éditions de Minuit, Le Témoin. Cette même année, il rencontre Pablo Neruda et crée le journal « Chaâb ». En 1966, il devient producteur d’une émission maghrébine à l’ORTF, et entame une carrière radiophonique aux côtés de Leïla Boutaleb à la radio algérienne. En 2004, il reçoit la médaille Pablo Neruda, haute distinction internationale de la poésie qui lui a été remise par l’ambassadeur du Chili en Algérie M. Ariel Uloa. Bien que parti rejoindre « l’armada ancestrale » Djamal  demeure parmi ceux qui l’ont aimé un poète monumental, un écrivain génial, un journaliste éclairé un homme à la sensibilité indescriptible et un algérien de haut vol.

S.A.H

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