Un pari risqué, mais réussi !

Partager

Le film a fait un tabac en salle. En famille, entre amis, dans les cafés, dans les rues, il n’est question, cette semaine, que du film Lalla Fadhma N’Soumer.

En effet, ce film réalisé par Belkacem Hadjadj fait revivre cette grande figure de la résistance algérienne non pas telle que nous la connaissons à travers la légende qui s’est tissée autour d’elle, mais telle que le réalisateur la voit à travers les témoignages qu’il a recueillis avant de se lancer dans cette gigantesque entreprise de reconstitution mi historique mi fictive. Un tel travail mérite salaire. Et le réalisateur l’accepte en toute modestie. La presse, dans son ensemble, est dithyrambique à son égard. Elle loue sans réserve le génie de l’artiste et couvre d’épithètes flatteuses les acteurs, notamment la splendide franco libanaise, Leititia Eido, qui tient le rôle de Fatma N’Soumer. Chacun des faits et gestes qu’elle exécute, chacune des paroles qu’elle prononce dans le film nous parle de cette grande femme kabyle née dans notre région et grandit depuis dans notre cœur et notre imagination. C’est que la jeune star épouse à ce point son rôle qu’il peut nous sembler qu’il est impossible que Lalla Fadhma N’Soumer ne soit pas telle qu’elle nous apparaît dans le film : un être d’une simplicité et d’une douceur angélique qui font d’elle un être d’exception. Il semble que le réalisateur s’est d’emblée colleté avec ce problème : séparer de la réalité la part de la légende qui collait à son sujet. Travail colossal, car la légende grandit et embellit les personnages à travers les siècles et magnifie les plus anodines de leurs actions. Comment déboulonner cette statue que la mémoire collective a élevée à cette grande héroïne et en proposer une autre, à la place, sans s’attirer les foudres des moudjahidines qui en ont fait leur égérie, et des historiens qui voit un artiste venir piétiner sur leurs plates bandes ? Pour le moment, il n’y a pas eu de levée de boucliers. Les historiens consultés n’ont pas présenté d’objection et c’est le principal. En l’absence de documents fiables, le réalisateur avait, donc, les coudées franches. Dès lors qu’il se défendait de faire œuvre d’historien, il pouvait faire de son héros ce qu’il voulait. Mais le public, comment allait-il réagir ? Habitué à voir la jeune femme kabyle en guerrière, ne tiendrait-il pas cela pour une mystification, une falsification de l’histoire ? Mettre en scène une femme qui pense beaucoup et agit peu, quand c’est le contraire qui devait se passer, n’est-ce pas un pari risqué en effet ? Or, pour compenser cette période d’inaction justifiée par une vie de méditation et de prières, le réalisateur a fait entrer en scène un autre personnage, un vrai guerrier, celui-là ayant les pieds aussi bien plantés en terre que Fadhma N’Soumer avaient les yeux fixés au ciel. Deux êtres aussi opposés que le jour et la nuit. Deux antagonistes destinés en principe à ne jamais se rencontrer, à ne jamais s’entendre. C’est le tour de force du réalisateur d’avoir pu les rapprocher et même d’imaginer l’ébauche d’une idylle entre eux. Dès l’instant où Chérif Boubaghla, rôle incarné par le marocain, Assad Boub, entre en scène, l’action s’emballe. Le spectateur ne connaît plus de répit. Boubaghla ne fait pas seulement la guerre aux français, mais il poursuit de sa colère et de sa vindicte tous ceux qui trahissent ou se mettent en travers de ses plans. En enlevant la fille d’un village kabyle dont on lui avait refusé la main, il se met à dos non seulement toute la tribu de ce village, mais toutes les autres. Son sort est d’ores et déjà scellé. Mais il était temps : il volait la vedette à Fadhma N’Soumer. Pendant les deux tiers du film, la caméra ne le lâchait presque pas d’une semelle. Le public ne commençait-il pas à se sentir frustré ? La mort de Boubaghla, qui est une autre figure de notre histoire, remet les pendules à l’heure, comme on dit. Fadhma N’Soumer entre dans le film, dans l’action, cette fois, et n’en sort que pour être faite prisonnière. On la voit parler aux chefs des tribus, qui, rassemblées dans une vaste salle après la dernière défaite, ne souhaitent plus qu’une chose : ne plus combattre un ennemi cent fois plus puissant qu’eux, et qui a détruit leurs villages et leurs récoltes. La jeune femme, en quelques mots bien choisis, les gagne à sa cause : ils ne peuvent abandonner leurs terres à l’envahisseur ; ils ne peuvent accepter le déshonneur de vivre enchaînés comme des esclaves, eux, les fils des valeureux ancêtres, morts pour la patrie, morts pour que, eux, vivent libres. L’action se situe alors sur deux plans : on voit Fatma N’Soumer faire la guerre à l’armée française venue occuper la Kabylie, restée jusqu’ici libre, et rallier toutes les tribus autour d’elle sous la même bannière, celle de l’insurrection. Le public serait trop difficile s’il ne se montrait satisfait.

La femme de lettres et d’esprit

Fatma N’Soumer est d’abord une femme, belle et intelligente. En plus, elle est instruite. Ses parents riches et influents ont tenu à ce qu’elle ait de l’instruction. (Tenaient-ils une Zaouïa ? On ne sait pas. Le réalisateur ne le dit pas. Il n’a disposé que de 96 minutes, le temps que dure le film). Mais ses actes mesurés et ses paroles pleines de bon sens retiennent l’attention des personnes les plus influentes. Elle se fait vite une réputation de femme de caractère et de femme de tête. Elle se fait connaître aussi comme une femme de cœur. Son courage commence par l’affranchir d’une tradition qui voulait que la femme se plie à la volonté de l’homme. Elle rejette, donc, cette tutelle encombrante en refusant de partager la vie de l’homme qu’on lui donne. Elle subjugue par ces qualités vertueuses l’homme le plus puissant qui incarne le mouvement insurrectionnel de Kabylie : Boubaghla. Cet homme au caractère aussi trempé que le large cimeterre qu’il porte comme un sabre est littéralement sous le charme de la belle et douce Fatma N’Soumer. Ah, n’était-il pas mort sur le coup à la dernière bataille qu’il a livrée aux soldats français ? Pourquoi Fatima N’Sourmer l’a-t-elle soigné avec ce dévouement dont seules les bonnes et nobles épouses sont capables ? La guerre lui offrait une sortie honorable. Son irascibilité et sa brutalité le perdaient dans le cœur des chefs des tribus ligués contre lui. Curieusement, la jeune femme kabyle ressent de la tristesse à cette disparition brutale. Et pas seulement à cause du vide que laisse l’homme de valeur, mais à cause de celui que laisse l’homme dont elle s’est, peu à peu, éprise. Cet épisode sentimental se referme vite. Comme dans les romans de Balzac, le mouvement de l’action connaît une accélération rapide. L’ennemi arrive. Il rase tout sur son passage, incendiant les champs de blé et les villages, après avoir massacré les habitants, coupé les arbres et bientôt se trouve face aux rebelles. Ils sont peu nombreux. La mitraille les balaie d’un revers de main. La volonté de Fatma reste inflexible après cette défaite. Elle réussit à rallier d’autres tribus à elle. L’ennemi s’inquiète de la tournure que prennent les événements. Il comprend que pour pacifier la Kabylie, il ne reste qu’un moyen : s’emparer du père de Fatma et exiger qu’elle se rende sous peine de voir son père massacrer. L’ennemi a compris la psychologie de l’indomptable femme et a agi sur la fibre familiale. Fatma N’Soumer se rend est elle est envoyé en France où elle meurt en captivité à l’âge de trente trois ans.

La presse enthousiaste

À peine sorti, le film est favorablement accueilli par la presse le saluant comme un chef d’œuvre de l’art cinématographique. Liberté sous le titre «Spiritualité action et émotion», considère le court métrage de «merveilleusement bien structuré». Le quotidien national décèle dans l’action dramatique «deux temps : le temps de Fatma et celui de Boubaghla.» Sous le titre «Le destin d’une femme rebelle», le journal Nation voit dans Fatma N’Soumer, une figure emblématique comparable à Jeanne d’Arc.» Le Soir d’Algérie qui donne longuement la parole au réalisateur qui s’explique sur le rôle effacé de la jeune femme sur une grande partie du film pour mieux mettre en valeur le côté spirituel de la personnalité de l’héroïne, ainsi que les raisons qui l’ont amené à prendre une franco libanaise pour camper le personnage de Fatma tel qu’il le voulait dans son approche, titre, lui, «La flamme sacrée de la résistance». Il donne également la parole à l’actrice qui résume ainsi son coup de cœur pour la jeune femme Kabyle dont elle allait interpréter le rôle difficile : «J’ai lu tout ce que j’ai trouvé sur elle (Fatma N’Soumer). Pour moi, c’est important de parler kabyle». Se confiant eau plus ancien des quotidiens nationaux, en l’occurrence El Moudjahid qui titre «Une héroïne au destin exemplaire», Belkacem Hadjadj note avec satisfaction : «Il a fallu un travail de longue haleine, des efforts considérables pour enfanter (de) ce projet historique. Nous avons travaillé sans relâche pendant un an et demi pour écrire le scénario sous le contrôle des historiens». Alors qu’il esquisse finement les traits de Fatma N’Soumer dans le Soir d’Algérie, qui nous apparaît ainsi fine et spirituelle, il revient ici pour brosser en une phrase le portrait des deux principaux héros : «Le personnage de Chérif Boubaghla est combatif. Il dégage dans l’action, le mouvement, une forte présence, car il est en permanence en confrontation avec l’armée française. Tandis que Fatma est plongée dans la méditation et le spirituel qui forment sa force.» Reporters, le plus jeune des titres consacre un long article intitulé «Fatma N’Soumer» et souligne, lui aussi, le contraste entre les deux principaux personnages, l’un tout en finesse, l’autre tout en force, mais réunis par le même courage et le même combat. La Dépêche de Kabylie, sous le titre «Je suis heureux du résultat», donne l’entretien que le réalisateur Belkacem Hadjadj lui accorde à ce sujet, c’est-à-dire sur les difficultés rencontrées puis vaincues pendant le tournage, et enfin sur l’accueil enthousiaste que le public réserve à Fatma N’Soumer depuis que le film est projeté dans plusieurs salles à travers le pays.

Aziz Bey.

Partager