Sortir de l’assistanat de la pensée et de la réflexion

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Ce n’est ni par hasard ni par brigue que le cinéma est devenu parlant. Mais c’est par un long progrès. Cela étant, il reste la part du travail qui est considérable. Et ce travail repose essentiellement sur les épaules : a lui de trouver ou d’écrire le bon scénario ; à lui de mettre la main sur le bon comédien, et une fois qu’il a tous les ingrédients, à lui, encore de faire preuve pour réaliser le chef-œuvre qui remplira les salles de cinéma et qui fera béer d’admiration les spectateurs.

 

Le mot et l’image

 

Pour Belkacem Hadjadj qui était, ce mardi, à Bouira, à l’invitation du HCA à l’occasion de la projection de son film Fathma N’Soumer, dans le cadre du 9ème du livre Amazigh, le cinéma donc est rapport à beaucoup de choses et d’efforts : rapport aux moyens financiers, rapport à un bon scénario, rapport aux comédiens qu’il faut savoir tenir en main, mais surtout rapport à la langue. La langue qui est à la base de toute réussite en ce domaine. C’est elle, selon l’ancien élève de l’Institut cinématographique de Paris qui permet de faire de bons scénarios. C’est encore elle qui permet d’obtenir de bons, d’excellents dialogues. Au scénariste de dire en quelques photos bien prises ce que peut dire une trentaine de pages réservées à la description d’un paysage. Mais aussi au dialoguiste de trouver les mots qu’il faut pour faire parler les personnages dans une langue qui ne déparerait pas celle d’un Corneille ou Racine. Car si l’art consiste à créer quelque chose à partir du vrai, tout en restant le plus possible dans la vraisemblance, il reste qu’une scène réelle et une scène fictive diffèrent énormément par l’habileté du comédien qui transcende le réel et par la beauté et la justesse des répliques. En d’autres termes, le personnage ne parle pas comme la personne dont il joue le rôle. Car, au cinéma, les choses ne se passent pas réellement comme dans la réalité. Bien qu’il reconnaisse que le cinéma en France, par exemple, reste une tradition, et qu’il se félicite d’avoir étudié dans cet institut et qu’il a eu pour prof un grand spécialiste français, il reconnaît que le cinéma aux Etats Unis a beaucoup évolué et où le geste et l’attitude du comédien demeure aussi essentiels  que les paroles qu’il prononce. « Même vu de dos, on sait dans quel état est un Marlon Brando. » souligne-t-il. Le talent et même le génie sont bien sûr indispensables. Et le conférencier qui en a jusqu’au bout des ongles accorde autant d’importance à l’un et à l’autre. C’est le talent, c’est le génie qui vont chercher l’idée, le thème qui fera plus tard « événement ». C’est le talent, c’est le génie qui ira chercher le comédien qui incarnera tel personnage avec brio. C’est encore l’un et l’autre qui permettront de découvrir les répliques qu’ils mettent avec bonheur dans la bouche du comédien !  A propos du comédien, l’orateur s’est prononcé pour une prise en main ferme et habile par le réalisateur afin qu’il reste strictement dans son rôle et qu’il ne fasse pas de l’improvisation pendant le jeu. C’est à force de laxisme, d’après lui, qu’on a fait de bons comédiens de déplorables cabotins.

 

La langue et les néologismes

 

Les langues évoluent, comme les hommes. Et en évoluant, certains mots meurent, d’autres entrent dans l’usage et s’imposent. Le conférencier reconnaissait que Tamazight dans lequel est écrit le scénario dans un souci de promotion, comme les autres langues peut n’avoir pas d’équivalents, et ne voyait pourquoi, comme elles, elle ne pourrait pas légitimement recourir aux emprunts. « Les choses évoluent très vite » dira-t-il à ce propos. Pendant les débats s’est posée la question des néologismes et Hadjadj qui est pour l’enrichissement et la modernisation de Tamazight, fidèle en cela à son crédo d’évolution, est pour qu’on fabrique de nouveaux mots. Mais attention : ne s’improvise pas néologiste qui veut. Ce travail revient à l’Académie. Le poète, l’écrivain ne peuvent que proposer les mots ou les expressions qu’ils forgent. A l’académie de décider s’ils passent à l’usage ou non. C’est pourquoi, la nécessité de la création d’une Académie en langue Tamazight s’est fait sentir dans ses débats. Le conférencier a également exhorté les amis du cinéma-les cinéphiles- à se constituer en association pour faire en sorte que le cinéma retrouve toute sa place dans la culture des masses et les salles de cinéma tout leur faste d’antan. Il s’agissait, pour lui, de créer des ciné-clubs pour palier à l’absence ou fermeture des salles de cinéma. Un débateur venait  justement de faire savoir que sur les 407 salles de cinéma recensées à travers le pays, il n’a pas pu voir une seule à Alger ou à Oran. Le cinéma devient dès lors l’affaire de tous, du producteur, du réalisateur et du spectateur. Il est temps que là aussi les choses doivent bouger, selon Hadjadj, car il est impensable que l’on rentre en rade du progrès alors qu’ailleurs, le monde évolue très vite. Soulignant la « mécanique de déshumanisation » à l’œuvre qui « atomise les sociétés et les empêche de réfléchir », il plaide pour que le cinéma soit introduit à l’école afin de le faire connaître et aimer, persuadé que c’est là qu’il y a un travail pédagogique à faire et que c’est là qu’il commence vraiment. S’insurgeant contre l’assistanat  qui sape la réflexion et les efforts, et plaidant, lui aussi, pour la création d’une Académie de Tamazight, afin de « prendre en charge les problèmes de notre langue », il invite à « réagir » à « s’organiser » en vue « d’éduquer », de former, « chacun à son échelle » pour former l’homme de demain ouvert sur toutes les cultures et sur le monde. Interrogé sur son prochain film, en marge de cette conférence-débats, notre interlocuteur » a répondu qu’il n’avait pas pour habitude de parler de ses prochains projets.

Aziz Bey.

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