«Merci pour la Civilisation» projeté

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La Direction de la culture de Béjaïa a organisé, à la Maison de la culture Taos Amrouche mercredi dernier, la projection d’un film documentaire intitulé «Merci pour la Civilisation», qui retrace les premiers jours et les quatre premières années de la colonisation française qui débuta le 05 Juillet 1830.

Ce film a été réalisé par Nazim Souissi et Zineb Merzouk. Il commence par l’explosion des réserves de poudre de l’armée du Dey, commandée par son beau-frère. Les stocks d’armes et de munitions de l’armée de l’époque se trouvaient entassés à Fort l’Empereur, sur les hauteurs des Tagarins à Alger. Privé de son armement, le Dey capitule et des négociations sont entamées, par l’intermédiaire du consul Britannique, avec le Général de Bourmont, commandant de l’armée française. Le lendemain, cinq Juillet, les Français prenaient possession d’Alger. Le film propose de jeter un certain regard sur ce qui s’est passé durant les quatre premières années de l’occupation. Les premiers contacts entre l’armée d’occupation et la population algéroise, la fuite et l’exil de ceux qui ne pouvaient pas se résigner à cohabiter avec l’occupant, le comportement de l’armée coloniale, … Une histoire poignante, que les historiens Dahou Djerbal, Fouad Soufi, l’universitaire Brahim Senouci, ainsi que l’architecte Ghanem Laribi ont commenté le long du déroulement du documentaire. On s’attendait à une affluence nombreuse, puisqu’à Bougie, la population est férue d’Histoire. Malheureusement, il n’y avait qu’une trentaine de personnes qui se sont déplacées pour le regarder. Mais cela ne semblait pas déranger outre mesure Nazim Souissi, présent dans la salle. Il était content d’avoir à faire à cette poignée de gens, réellement intéressée par le sujet. Nazim a découvert, à l’âge de quarante ans, que l’«histoire de l’Algérie, telle qu’apprise à l’école, ne correspondait pas à la réalité». Il a donc lu près d’une centaine de livres. Il y a découvert «Une autre face de notre histoire, totalement absente des livres et programmes scolaires». Il s’est donc proposé de se concentrer sur une courte période de notre histoire, en relation avec la colonisation française à qui il reproche avec ironie, le côté civilisation qu’elle se proposait de nous amener. Plusieurs sources donc ont été utilisées pour confectionner le scénario de ce documentaire, qui a nécessité neuf mois pour sa réalisation. Nazim Souissi le reconnaît d’emblée. Il n’est pas lui-même historien. Il s’est placé en tant que simple citoyen qui s’interroge sur l’histoire réelle de son pays. Et ça se sentait dans le documentaire qu’il n’était pas historien. Le film en question a mis l’accent sur un certain nombre de détails assez contestables, et en a négligé d’autres, pourtant très importants. Par exemple, Il semblait ignorer le fait que les colons Français avaient chassé d’autres colons, Turcs. Le Dey d’Alger n’avait rien d’algérien. Il roulait pour la Sublime Porte, Constantinople, capitale de l’Empire Ottoman. Nazim Souissi présentait, par la bouche des historiens interviewés, un pays relativement prospère, à l’instar des autres pays de la région du même acabit. Ce qui était vrai pour l’Etat représenté par la Régence d’Alger ne l’était pas du tout pour le peuple qui vivait dans une grande pauvreté. L’idée même de l’existence de grandes écoles à Alger, sept selon ces historiens, de rang universitaire, est des plus contestée. L’existence d’une élite intellectuelle, à Alger, à l’époque, prête à discussion. Qui étaient-ils ? Quels étaient leurs noms ? Qu’ont-ils produits ? Le documentaire n’avance aucun nom à ce sujet. Les seuls lettrés de l’époque étaient les personnes affectées au service du Dey et de son administration, à l’instar de Hamdane Khodja, qui était un des secrétaires du Dey, et qui avait fini par servir l’administration coloniale. Il avait écrit un des rares livres de l’époque sur la période incriminée (1830-1834). L’histoire d’Alger, telle que racontée par Mahfoud Kaddache, Diego de Heido, Pierre Péan, et d’autres, donne une autre version de la réalité historique. Si élite il y avait, où sont ses produits ? Ou sont les livres, études et rapports qu’elle est sensée avoir produit pour mériter ce titre ? On nous rétorque sans cesse que l’armée française a détruit les archives du Dey. Soit, et cela correspond à une certaine réalité mais peut-on avancer l’idée qu’il n’existait pas (peut-être même encore aujourd’hui) d’autres archives rapatriées en France, pour raison d’Etat, et d’autres directement à Istambul dont dépendait le Dey ? Certes, il y a encore beaucoup à découvrir dans notre histoire, mais peut-on adhérer à l’idée avancée dans le documentaire que le peuple de cette terre vivait convenablement avant l’arrivée de l’armée française, et que la France est responsable de la misère du peuple à cette époque ? Faudrait-il rappeler la série de livres édités par « Alger Editions », relatifs à la présence ottomane en Algérie ? Le comportement des Janissaires, cette armée turque, n’avait pas d’équivalent, en termes d’exactions et de massacres. Le documentaire est passé trop vite sur les débats vifs et violents qui avaient secoué la France, entre les Colonialistes et les Anticolonialistes. La France elle-même était secouée par d’incessants troubles et allait de guerre civile à coup d’Etat, du renversement de la Monarchie à l’instauration d’une dictature…Il ne s’agit nullement d’absoudre la France de ses crimes. Les massacres, les viols, les dépossessions de biens sont une réalité historique indéniable. On n’en a peut-être pas assez parlé. Mais pour éviter le risque d’absoudre l’occupant turc et toutes les exactions qu’il a commises, il aurait fallu aussi insister que pour la population locale, que le documentaire disait relativement résignée, regarde l’installation de l’occupant français avec détachement, un envahisseur était en train d’en remplacer un autre. Le traité de capitulation du Dey (qui n’avait cependant pas été respecté) garantissait un certain respect pour le peuple, ses biens et sa religion. Le documentaire n’avait pas assez insisté sur le livre de Pierre Péan. Dans son livre intitulé «Main basse sur la Casbah», (et qui avait secoué la France à sa sortie, il y a de cela une quinzaine d’années environs), il y révélait que les comptables du général de Bourmont, lorsqu’ils firent l’inventaire des trésors laissés par le Dey en quittant Alger, avaient trouvé une somme équivalente à quarante fois le trésor de toute la France. Pourquoi alors n’y avait-il aucune route pavée à Alger, à l’exception de celle reliant le Palais du Dey au port d’Alger. Pourquoi il n’y avait pas d’hôpitaux, d’écoles, d’universités, d’imprimeries, d’industrie, …alors que l’Europe vivait en pleine Révolution Industrielle, où étaient les usines d’Alger sous le règne du Dey ? Hussein Dey, après bien d’autres, avait sucé les richesses du pays jusqu’à la moelle. Des bateaux entiers, remplis de toutes sortes de richesses et de trésors, partaient chaque année d’Alger vers Istambul pour rétribuer la Sublime Porte et la remercier pour sa «protection». Les Français n’ont pas été les premiers à nous piller et nous priver de nos biens. Le documentaire a ainsi pris parti de montrer une autre «vérité», tout aussi contestable que les autres. Il aurait fallu, par exemple, interroger, dans le film, un autre historien qui aurait pu apporter la contradiction pour amener le spectateur à se poser des questions pour qu’il puisse continuer ses recherches, et ne pas se contenter d’un seul avis d’historiens, allant tous dans le même sens. Ce que Nazim Souissi assume complètement, puisqu’il invite tout un chacun à approfondir la question. Il dit qu’il n’a fait qu’aborder une part infime du problème et qu’il faudrait que d’autres continuent ce travail, apportant leur contradiction ou approfondissant le sujet. Il faut saluer le courage de l’auteur qui s’est investi personnellement avec ses propres moyens, prenant même le risque de filmer sans autorisation, sans faire appel à un parrainage politique, ni un sponsor économique. D’ailleurs, l’objectif du film n’est pas de gagner de l’argent, puisque le documentaire sera bientôt disponible gratuitement sur Internet. C’est ce qui est plaisant dans la rencontre de l’auteur, chez qui nous sentons beaucoup de sincérité avec une pointe de naïveté.

N. Si Yani

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