Cet Amazigh peu connu des siens

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Par S.Ait Hamouda

Parler d’Apulée (Afulay  en Tamazight) de Madaure (Mdaourouch dans la wilaya de Souk Ahras) le précurseur du roman c’est quelque part titiller la mémoire collective dans ce qu’elle a de plus intime, c’est errer sans boussole dans les tréfonds de notre histoire, pour découvrir un homme qu’on n’a pas voulu nous faire connaître. Un monument qui était Amazigh et pensait, agissait, vivait, écrivait comme tel. Apulée est né vers 123 dans une famille aisée de Madaure, son père était duumvir de la cité et devait laisser à son frère et à lui un confortable héritage de 2 000 000 de sesterces. Bien que totalement romain par sa culture et son œuvre, Apulée resta toujours attaché à ses origines, n’hésitant pas à se revendiquer plus tard «mi-numide et mi-gétule ». Saint Augustin a dit de lui : « Chez nous, Africains, Apulée, en sa qualité d’Africain, est le plus populaire». Son degré d’adhésion à la romanitas fait l’objet d’un débat. Il étudie la rhétorique et la littérature à Madaure, puis à Carthage, et enfin à Athènes, où il s’intéresse à la philosophie néoplatonicienne et au sophisme. Doué d’un talent d’orateur, il devient avocat à Rome avant de mener une carrière de conférencier itinérant dans son pays natal. Parlant aussi bien le latin que le grec, il peut même passer sans problème d’une langue à l’autre au cours du même discours. Au cours d’un de ses voyages, il rencontre à Oea, aujourd’hui Tripoli eb libye, une riche veuve, Emilia Pudentilla, qu’il épouse, en 156. Accusé par sa belle-famille d’avoir usé de magie, il plaide sa propre cause lors d’un procès à Sabratha en 158 (avec succès : il sera acquitté) et consigne sa plaidoirie dans une Apologie. De son temps, Apulée a été considéré comme un adepte de la magie, voire comme un thaumaturge. C’est surtout un homme doué d’une curiosité exceptionnelle, dans tous les domaines, initié à plusieurs cultes orientaux (dont celui de la déesse Isis) et qui fut peut-être prêtre d’Esculape. Il meurt vers 170. Apulée a écrit de nombreux ouvrages en latin, dans une langue jugée « précieuse », mais avec une expression claire. On peut distinguer les ouvrages « rhétoriques » (Métamorphoses, Apologie, Florides) et « philosophiques » (De Deo Socratis, De Platone et eius Dogmate et De Mundo). L’un d’eux, l’Apologie, est une œuvre de circonstance. Il a traduit du grec en latin une Introduction à l’arithmétique du néopythagoricien Nicomaque de Gerasa, mort en 196. Parmi les ouvrages conservés, le plus connu est Les Métamorphoses, également connu sous le nom de L’Âne d’or : c’est le premier grand roman en prose de langue latine, en onze livres, et le seul qui ait été conservé intégralement. Le héros est transformé en âne à cause de sa curiosité pour la magie. On y trouve le conte d’Amour et Psyché et, à la fin, une glorification de la déesse Isis. Les Florides (Florida) contiennent plusieurs de ses discours et conférences, sur des thèmes variés. Apulée a par ailleurs rédigé plusieurs dizaines d’opuscules sur des thèmes aussi variés que la philosophie, la religion, la vulgarisation médicale ou encore les sciences. Une grande partie de ces textes sont perdus, mais ceux que nous possédons seraient les plus intéressants. Le De deo socratis (Sur le « démon » ou dieu de Socrate) est un exposé des doctrines platoniciennes concernant les dieux et les démons. Le De mundo (Sur le monde) adapte librement un traité cosmologique et métaphysique faussement attribué à Aristote. Hassan Banhakeia (Université d’Oujda) nous présente l’homme et son oeuvre ainsi « L’œuvre d’Apulée est immense, elle traite de la philosophie, de la rhétorique, de la magie, de l’histoire, de la théologie et de la cosmologie. Bien que son unique chef-d’œuvre reste le roman “L’Ane d’or” écrit aux environs de 161, il est important de citer les autres textes : L’Apologie (Apulei Platonici pro se de magia) est un texte rédigé lors de son procès pour crime de magie. L’auteur se défend magistralement devant le proconsul Claudius Maximus. Selon L’Encyclopédie Berbère, ce texte est d’un grand intérêt historique car il « offre quantité de renseignements sur son auteur, la magie et la vie en Afrique au II siècle. » (L’Encyclopédie berbère, p.822). Egalement, trouve-t-on dans l’Apologie une source biographique. Les Florides sont publiées en 160. Il s’agit d’un répertoire de conférences réunies par un élève d’Apulée. Il y est question surtout des impressions et des réflexions de l’écrivain voyageur. Le narratif, le descriptif et le purement doctrinal s’immiscent donc dans tous les essais/récits (au nombre de vingt-trois). Ce texte est également important pour connaître maints aspects de la réalité en Afrique du Nord. De deo Socratis (Sur le dieu de Socrate) est un texte de magie : il parle sur l’univers des démons. Ces êtres mystérieux sont présents simultanément dans le monde divin et le monde humain. Ils sont de trois groupes : démons captifs de corps, démons libérés du corps et des démons qui n’ont pas connu de captivité physique. Bien que le texte recherche le côté démoniaque chez Socrate, il invite le lecteur à retrouver la sagesse. De Platone et eius dogmate est un traité philosophique sur l’éthique et la physique chez Platon. Il s’agit d’une lecture faussée du philosophe grec au moment de traiter la question de la morale. De mundo traite de la cosmologie et de la théologie. Apulée y expose l’idée que Dieu est à l’origine de la vie de tout.

Présence de l’auteur

L’art, en général, tend à extérioriser l’être de l’artiste à travers la pratique de l’écriture. Qu’en est-il alors de la présence de l’auteur dans “L’Ane d’or” ? Apulée, loin de « réfléchir » son être dans le texte, manifeste sa présence derrière des mécanismes romanesques et des figures, en ayant pour objectif d’exercer une certaine maîtrise sur le personnage, et par là sur le lecteur. Ainsi, tout passage se réfère, de façon explicite ou implicite, à un système de pensée. L’Ane d’or se meut dans ce sens ; le roman devient une entreprise, sous forme d’une recherche infinie de la conscience « maternelle ». Apulée, en récrivant l’histoire grecque, rajoute librement des passages authentiquement amazighs. Il nous revient de saisir la parole de l’écrivain au sein du roman, et de souligner que distinguer le discours de l’auteur au sein d’un texte ou d’un passage est une tâche critique aventurière, qui pourrait être source d’un jugement erroné. De là les difficultés de discerner clairement les propos de l’auteur des différents discours des personnages, des situations, des descriptions qui forment l’œuvre, ne sont pas à démontrer. Dans L’Ane d’or, la voix auctorielle est souvent explicitée dans la construction de la fiction ou dans le choix des idées et des motifs, sinon sous-entendue par le biais de correspondances établies entre sa culture nord-africaine et les autres cultures, au sein du texte toujours…A ce propos, nous lisons : « j’ai trop bonne opinion de toi et de ta culture ; je sais que, non seulement la noblesse innée de ta condition, non seulement l’élévation de ton esprit mais le fait que tu as été initié à un grand nombre de religions t’ont enseigné à observer scrupuleusement le devoir du silence. » (P.81) C’est Photis, une bonne, qui parle. Ici, nous avons la condition de l’Amazigh ( à rattacher à « noblesse innée »). De même, une explication de la perte de l’identité de l’Amazigh : la diversité des cultes…Rappelons aussi qu’il existe des textes qui sont faciles à lire dans la mesure où le message de l’auteur passe directement ou clairement ; dans d’autres au contraire, le point de vue de l’auteur reste inconnu. Les textes d’Apulée sont complexes au moment où le lecteur se pose la question suivante : Que veut-il dire par là l’auteur ? Où pourrait-on saisir la présence / l’ombre du point de vue de l’écrivain dans les Apologies ? La présence d’Apulée n’est pas plus ostensible dans L’Ane d’or du fait que le protagoniste dévoile ses déambulations pour rejoindre notre univers des métamorphoses. D’ailleurs, dans les Apologies, de son propre aveu, l’auteur essaie d’exposer tous ses idéaux et convictions. Le lecteur découvre enfin le vrai Apulée même si la présence de l’auteur s’avère camouflée derrière un ensemble de techniques et de procédés de rhétorique qui défont le texte classique. Sa conscience se trouve enfin dévoilée : en tant qu’Amazigh, il s’oppose à la tradition latino-grecque. « J’obtins quelques petits profits au barreau en plaidant dans la langue des Romains » (p.282) » Ce qui veut dire qu’Apulée révèle non seulement son identité amazighe mais aussi sa  personnalité de grand érudit que les Algériennes et les Algériens gagneraient à connaître et à sortir de son cloisonnement, dans le cercle fermé et tout autant étroit des érudits, qui a été batti autour de nos hommes de lettres et de pensée tel que lui, Saint augustin, Marcus Minicius, Simon de Cyrène et tant d’autres. C’est en fait rendre justice à l’Histoire, à la culture, à l’identité des Algériens en particulier et au Maghreb en général.

S.A.H

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