«Timest» triomphe à Bouira…

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Avec «Timest», (Le feu), sa troisième grande pièce tragique jouée mercredi dernier à la Maison de la culture de Bouira, l’auteur et metteur en scène Lyes Mokrabe signe son troisième succès consécutif dans le genre.

La générale a eu lieu la veille au théâtre régional Kateb Yacine de Tizi Ouzou, et l’accueil qu’elle a reçu a été des plus enthousiastes. Cependant, programmée pour 14 heures, elle n’a pu commencer qu’à quinze heures passées. Les vivats et les applaudissements l’ont accompagnée jusqu’au baisser du rideau. C’était un triomphe. Et c’était mérité car c’est un vrai chef-d’œuvre littéraire.

La genèse 

Présent, avant midi, dans la salle de spectacle où il aidait à la plantation du décor, Lyes Mokrabe, l’auteur et metteur en scène de « Timest », a bien voulu nous parler de sa pièce et comment l’inspiration lui en était venue. C’était en lisant une histoire de Mouloud Mammeri que l’idée d’écrire une pièce de théâtre lui est venue à l’esprit. C’est un chant à la gloire du feu qui assure la prospérité du village. Le forgeron a ruiné le village en mettant le feu. « J’ai fait quelques emprunts au récit de Mammeri. Le reste est de mon invention », confesse notre interlocuteur. Notre génie s’emparait ainsi des éléments de ce poème, de ce chant, et de leur brassage sont nées, ô miracle, les premières ébauches de ce que sera un jour, Times. Mais comment donner corps et vie à un tel projet ? Comment lui assurer l’originalité nécessaire qui ferait dire un jour au jeune dramaturge, comme Flaubert à propos de Mme Bovary, Timest, c’est moi ? La tâche n’était pas simple. A force de se mesurer à elle, il a fini par constater la vanité de ses efforts. D’ailleurs, Melpomène, la Muse du théâtre, pour le consoler de son échec, lui offrait quelque chose d’aussi beau et d’aussi grand dans le même style : Tifi. Ce poète, ce dramaturge de langue amazighe natif de Larbaa Nath Iraten a vite compris qu’il ne perdait rien au change. Tifi, cette Iphigénie kabyle, aussi bien par le style relevé que par l’action dramatique, allait, pendant deux ans, lui faire oublier Timest. Ce n’était, d’ailleurs, que partie remise, car cette pièce terminée, il revenait à l’ancien projet. Quelques mois plus tard, la pièce est achevée et le Théâtre Kateb Yacine, à Tizi Ouzou, l’accueillait pour la générale. Avec Massinissa et Tifi, Timest forme une trilogie -Lyes rejette le mot-. Une trilogie, c’est lorsque les trois pièces se tiennent par un fil. Mais, la langue amazighe, la terre amazighe où se passe l’action, les personnages typiquement amazighs, ne sont-ils pas des liens assez forts ? Au reste, au sens où Sophocle lui-même, cet auteur tragique grec prend le mot, ces trois pièces semblent bien former une trilogie, chacune d’elle étant indépendante de l’autre. Ce qui frappe en revanche chez notre auteur, c’est ce sens du tragique qui lui fait chercher si loin ses sujets. Massinissa, Tifi et Timest sont trois œuvres qui plongent profondément leurs racines dans le temps. « J’aime l’Histoire », nous confiait ce classique qui semble marcher sur les traces des grands auteurs français et grecs. « L’essentiel de notre patrimoine culturel y est enfoui », ajoutera-t-il. Mais si Massinissa est une peinture assez exacte de notre époque, Tifi et Timest semblent n’être que des légendes. N’empêche, le génie de l’auteur a su leur inculquer assez d’épaisseur aux différents personnages qui y figurent pour que la vraisemblance soit parfaitement respectée.

Dans la pure tradition grecque

Le décor est planté pour une grande tragédie. C’est la nuit. Un foyer éclaire la scène et rayonne. Au fond, le palais avec un grand portique. A droite, une tribune. A gauche, la caserne et la prison. Le rideau se lève sur un groupe d’adorateurs de feu. C’est une secte de Zoroastres. Prosternés devant le feu, ils prient, tandis que loin d’eux, une Vestale, dont la fonction est de l’entretenir en permanence, hurle des paroles magiques. Ces incantations n’ont d’autres intentions que de faire acquérir au feu plus de force. « Brûle, ô feu, brûle et lance tes rayons au loin ». La prêtresse sort alors qu’entre le forgeron. Il est beau et grand (Il a joué dans Tifi et était amoureux de la fille du roi). Il accuse l’étranger, devenu conseiller du roi, d’avoir introduit au royaume la nouvelle religion. Et il promet de l’en chasser. Enfin, il avoue sa flamme : « A la Princesse, j’ai donné mon cœur, mais je ne suis qu’un forgeron ». Le soldat, armé d’un javelot, l’incite à travailler davantage. Le forgeron se tourne vers lui et lui lance : « Tu ne sais pas ce qui t’attend un jour ». Le soldat se retire. Le forgeron en profite pour s’adresser à la population et lui montrer la vanité de la nouvelle religion qui n’avait d’autres objectifs que de maintenir tout le royaume dans une étroite sujétion vis-à-vis du roi et de l’étranger. Enfin, bravant l’autorité du monarque, il va au temple et éteint le feu avec un seau d’eau. Alerté le roi ordonne l’arrestation du forgeron. Le peuple connaît alors une vie plus misérable. L’étranger, de plus en plus ambitieux, demande la main de la princesse et l’obtient. Tout semble perdu. La princesse qui aime secrètement le forgeron révèle à son père l’ampleur de sa passion. Mais le roi a engagé sa parole et force sa fille à accepter le mariage. La princesse se plie à la volonté de son père. Ses prières qui l’adjurent, cependant, de libérer son amoureux finissent par le toucher. Il ordonne la libération du jeune artisan. Libre, le forgeron n’a rien de plus pressé que de brûler le palais. Tout le monde périt, sauf la princesse qui a le visage défiguré. La vue de sa bien-aimée dans cet état pousse le forgeron à se donner la mort (Comme dans Tifi). La scène de la résurrection est, nous semble-t-il, inutile. Quoi qu’il en soit, le public l’a adorée. Les acteurs, dont nombre sont de la wilaya de Bouira, de l’Est précisément, ont donné la pleine mesure de leurs talents. Le public les a encensés.

Aziz Bey 

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