L’art de cristalliser un instant de la vie

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L’Établissement Arts et Culture de la wilaya d’Alger a lancé un concours national de la meilleure nouvelle, depuis le 20 août dernier et jusqu’au 20 octobre. Ayant pour thème fédérateur « mémoire et souvenir », les nouvelles peuvent être rédigées en arabe littéraire, en arabe derdja, en tamazight et en français. Créé en 2003, ce concours a pour objectif de «promouvoir l’action culturelle et la création et d’encourager de nouveaux talents». Il est heureux d’apprendre que des instances culturelles de notre pays s’intéressent à la promotion d’un genre littéraire comme la nouvelle, qui plus est, dans toutes les langues de l’Algérie, y compris celle qui fait polémique depuis plus d’un mois, à savoir l’arabe dialectal. À notre connaissance, c’est une entreprise inédite, aussi bien en tamazight qu’en arabe algérien. Déjà dans les langues « consacrées » par l’école, l’arabe classique et le français, le nombre d’auteurs qui ont excellé dans l’art de la nouvelle et dont le nom a dû sa réputation à ce registre de la littérature se compte sur les doigts d’une seule main. Parmi les fondateurs de la littérature algérienne de langue française, ceux qui ont pu prendre en charge ce genre littéraire, tout en s’imposant par le roman ou la poésie, seuls Mohamed Dib et Mouloud Mammeri ont réussi à créer l’ambiance, le style, le rythme et l’événement propres à la nouvelle. Si Mammeri, happé par la recherche en anthropologie culturelle, n’a produit qu’un seul recueil de nouvelles sous le nom d’ « Escales », en plus de la sottie intitulé « La Cité du soleil », Dib, versé complètement dans la création littéraire (romans, théâtres, poésie) s’est adonné à l’art de la nouvelle avec une certaine constance. « Au Café », « Talisman », « La Nuit sauvage », « L’Arbre à dire » (ce dernier est un essai sous forme de nouvelles), sont les quelques titres où Dib a porté à son sommet l’art de la nouvelle, en plus des textes qu’il a publiés dans plusieurs revues littéraire, dont la prestigieuse « Europe ». La génération qui a succédé aux classiques algériens a vu des tentatives de se placer dans le genre nouvelle; mais, incontestablement, c’est Mouloud Achour qui a émergé dans les années soixante-dix du siècle dernier, principalement avec les deux recueils de nouvelles « Le Survivant » et « Héliotropes ». Kaddour M’hamsadji, lui, publie un recueil de nouvelles sous le titre « Fleurs de novembre » (1969. Plus tard, viendront Tahar Djaout, avec le recueil « Les Rets de l’oiseleur », et Rachid Mimouni, avec « La Ceinture de l’ogresse ». Il apparaît, à travers l’histoire littéraire, que le genre nouvelle est moins abondant que le reste des genres: roman, poésie, théâtre. Cependant, la nouvelle a ses adeptes et ses promoteurs. Ils tiennent à y mettre du récit, qui anime souvent l’âme du roman, de la poésie- qui ne signifie pas nécessairement la rime et le rythme des vers- et, parfois aussi des éléments de l’art dramatique. Mais, cela ne signifie pas que la nouvelle est diluée dans tous les genres et qu’elle ne possède pas d’identité propre. Cependant, c’est moins à la description des éléments fondateurs de la nouvelle que l’on doit son identification, qu’à la lecture elle-même, à l’immersion dans le monde et l’ambiance du récit porté par le texte de la nouvelle.

Une architectonie complexe et un art d’économie de mots

Un certain nombre de nouvellistes ont fait cette appréciation, donnée en 1953, par le grand écrivain américain William Faulkner : «Une nouvelle, c’est la cristallisation d’un instant arbitrairement choisi où un personnage est en conflit avec un autre personnage, avec son milieu ou avec lui-même». L’on a pour tradition, pour la commodité de l’identification littéraire, de présenter la nouvelle avec quelques repères ou points d’appuis schématiques. Par exemple, en annonçant dès le départ que la nouvelle est un récit, œuvre de l’imagination, qui bénéficie des ressources littéraires que l’on rencontre ailleurs (figures de style, des formules narratives). De même, le temps de la nouvelle est « limité ». Le récit s’étale sur quelques pages; on peut en terminer la lecture d’une traite en l’espace d’une demi-heure ou d’une heure approximativement. L’action, brève, se focalise sur un événement ou une action unique. Les personnages sont très limités. Souvent, la nouvelle fait jouer un seul personnage. Ce dernier reçoit une description physique et psychologique sommaire. Il y a même des nouvelles où on ne donne pas son identité complète, la limitant au pronom relatif (je, il, elle,…). C’est le cas de la nouvelle de Tahar Djaout intitulée « L’Attente du désert », publiée dans la revue « Les Temps modernes », de Jean Paul Sartre, en 1986. Les péripéties et les intrigues sont limitées. À la situation initiale, se présente le personnage principal, ainsi que les repères spatiotemporels et le décor. Ces derniers bénéficient d’une description sommaire, à peine esquissée, mais qui revêt son importance dans le récit. L’élément déclencheur ou perturbateur modifie cette situation initiale en la faisant évoluer en péripéties (le personnage principale se métamorphose psychologiquement, créant une certaine tension dramatique). Le temps prédominant est le passé simple. Le dénouement met fin aux actions et entraîne un effet de surprise chez le lecteur. Ce sont là des phases et des situations qui, à petite échelle, tiennent de l’architecture du roman, sans que la nouvelle puisse se superposer au roman. Le critique littéraire Pierre Gamarra donne sa vision de la nouvelle dans la revue « Europe » en ces termes : «L’art de la nouvelle est un art d’économie : dire le plus avec le moins. De deux mots, le nouvellier choisit le moindre. Cela donne des œuvres courtes ou assez courtes. On peut convenir d’appeler conte un récit de quelques pages et nouvelle proprement dite une œuvre plus développée. En vérité ce n’est pas seulement par le nombre que la nouvelle se distingue d’une narration plus étendue, du genre du roman. C’est- entre autres choses- par la brièveté et l’acuité de sa dramaturgie, par un nombre réduit de personnages, par la suppression fréquente ou l’abréviation de certains moments ou éléments d’un récit : introduction, présentation, digressions, conclusion. La nouvelle entre vite en matière, sa chute est souvent rapide, saisissante». Pour les élèves algériens, la nouvelle ne signifie pas grand-chose. Dans les anciens livres de lecture des années 1970, on retrouve la nouvelle de Mohamed Dib « Au Café », par laquelle l’auteur intitule son recueil entier paru dans les années 1960. Aujourd’hui, les textes de lectures subissent une sélection anarchique et arbitraire. On ne forme plus au goût de la lecture, ni en arabe ni en français. Tamazight vient de défricher son chemin dans le domaine. Il convient de lui donner les meilleurs outils pour prendre en charge tous les genres littéraires et les autres registres de la langue pour en faire un instrument fonctionnel de développement. Dans cette méconnaissance de l’art de la nouvelle, de son manque d’ancrage dans le paysage littéraire algérien, comment sera géré un concours de nouvelles ? La compétition est toujours la bienvenue; mais encore, faudrait-il avoir les repères nécessaires: des critères clairs et connus de tout le monde. L’entreprise paraît revêtir un peu plus de complexité lorsqu’elle est organisée en quatre langues.

Amar Naït Messaoud

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