Amar Imache, un militant de la première heure

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À l’occasion de la commémoration du 56ème anniversaire de la mort d’Imache Amar, la Maison de la culture Mouloud Mammeri de tizi-Ouzou organise une journée d’étude sur son parcours dans le mouvement national.

Pour l’occasion, une série de conférences sont prévues aujourd’hui au petit théâtre de l’établissement. Elles seront animées par des enseignants à l’université Mouloud Mammeri mais aussi par des anciens officiers de l’ALN. Imache Amar était incontestablement l’un des précurseurs du mouvement national. Il est né le 7 juillet 1895 à Aït Mesbah, dans la commune de Béni Douala. En 1924, il est membre fondateur de l’Etoile Nord Africaine dont il était le secrétaire général, sous la présidence de Messali Hadj et rédacteur en chef de l’organe du mouvement «El Ouma» dont Radjef Belkacem était le trésorier et Si Djilani directeur du journal. Parallèlement à ses activités politiques, Amar Imache travaillait dans une usine de savons et parfums «Roger & Gallet» comme ouvrier spécialisé de juin 1926 jusque vers la fin de l’année 1934. Il ne cesse de manifester dans sa démarche politique son attachement à la coutume berbère. Convaincu que ces institutions peuvent donner à l’Algérie indépendante un caractère social et démocratique, il plaide longtemps pour la prise en compte des structures sociales, politiques et économiques berbères : âarch : (communautés des terres villageoises) et tajmâat : (assemblée élue du village). En novembre 1934, l’Étoile est de nouveau dissoute et ses principaux dirigeants arrêtés. Amar Imache sera condamné le 5 novembre 1934, à 6 mois de prison et à 2 000 francs d’amende. Libéré en mai 1935, il reprend sa place au sein de l’Étoile. Il dénonce le projet Blum-Violette de 1936 selon lequel, pour libérer l’Algérie, il faut d’abord la rattacher à la France et pour être citoyen algérien, il faut d’abord être citoyen français assimilé. Il dénonce cette nouvelle entreprise de division, visant cette fois à séparer le peuple algérien de son élite et soutient que : «le premier gouvernement à forme républicaine et démocratique fut institué en Kabylie, pendant qu’en France et ailleurs on ignorait ces mots». Au moment où Messali vit en exil à Genève auprès de Chekib Arslan (décembre 1935 – juin 1936), c’est Imache avec Yahiaoui, Nouira et Radjef qui dirigent l’Étoile. Lors de l’occupation de l’Éthiopie par l’Italie, Amar Imache mène campagne contre cette occupation. «Tous les Africains, sans distinction de religion, doivent manifester contre le fascisme italien, tous les Africains doivent s’unir pour combattre l’impérialisme en Afrique», déclare-t-il le 22 août 1935 dans le journal El Ouma, reprenant ainsi le mot d’ordre de son ancêtre Massinissa : l’Afrique aux Africains. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il dénonce aussi bien la convoitise étrangère que l’attitude française qui ne regarde l’Afrique du Nord que sous l’angle de la défense de leurs intérêts. Il déclare que «les Africains sont intéressés à la défense de leurs pays et dénient aux uns et aux autres le droit de les marchander ainsi que celui de les convoiter» (Journal El Ouma). Au début des années 1940, Amar Imache est déporté en Allemagne comme prisonnier politique. En 1946, il rédige la brochure l’Heure de l’Elite dans laquelle il dénonce les évènements du 8 mai 1945 ainsi que l’attitude des intellectuels algériens (les « zélus ») qui ont accepté de siéger au Palais-Bourbon. Les conditions de vie du peuple algérien (épidémie de typhus, manque de nourriture, de soins…) y sont relatées. Après quelques années de détention dans des camps de concentration, avant de rentrer définitivement en Algérie, il crée avec Si Djilani le Parti de l’Unité Algérienne (P.U.A.) qui se propose notamment de débattre de la religion musulmane et de combattre le fanatisme. Mais, une conjonction d’événements survenus sur la scène algérienne, maghrébine, française et internationale à raison de ce parti. En février 1947, Amar Imache rédige une lettre d’adieu à ses compatriotes et rentre définitivement en Algérie. Cette lettre intitulée : Lettre d’adieu aux Algériens résidant en France est un appel à l’union, à la fraternité mais aussi une mise en garde contre la duperie et le culte de la personnalité (à l’intention des partisans de Messali). Cette mise en garde a fait son chemin à l’intérieur du MTLD, puisque ces propos (culte de la personnalité mégalomanie) seront largement repris par les oppositions à l’intérieur de ce parti. Il disait en substance : «Quand vous lirez ces lignes, je serai déjà loin de vous. J’aurai déjà quitté ce pays, ce pays où nous avons lutté peiné et souffert ensemble. Je vais, si Dieu me le permet, rejoindre enfin mon pays, le nôtre. Ce beau pays dont le sol est pourtant riche et généreux, mais d’où l’égoïsme et la tyrannie des hommes nous oblige à l’exil volontaire. Avant de nous séparer, je pense qu’il est nécessaire de vous dire quelques mots. Je croyais qu’il était facile de griffonner quelque chose sur ce papier, et je l’ai promis. Mais au moment de le faire, je m’aperçois que la tâche est rude. En jetant un regard en arrière, c’est tout le passé qui surgit. Un passé de lutte ardente et d’espoir tenace. Ce sont des visages, les nôtres, ceux de tous nos frères que la tourmente et les nécessités de la vie ont dispersés. Il y a eu ceux qui ont eu la chance de rentrer dans leur famille et ceux que la terre de France a emprisonnés pour toujours. Il y a la situation présente, tous ces événements qui font espérer les uns et déçoivent les autres. Il y a aussi l’avenir, surtout cet avenir qui pose pour chacun un point d’interrogation. Qu’allons-nous faire ? Que faut-il craindre ? Que faut-il espérer ? Le passé nous a exaucés, le présent nous a déçus, l’avenir nous laisse perplexes, intrigués ou indécis. Et maintenant que dois-je vous dire de plus que je ne vous ai déjà dit. Il me faudrait pour être clair, tenir ici deux langages, l’un pour mes amis fidèles, ceux qui m’ont toujours compris et suivi, à tous ceux qui m’ont fait confiance et me l’ont prouvé en toutes circonstances, à ceux qui m’ont aidé soutenu et consolé contre l’adversité l’ingratitude, la méchanceté bestiale et la félonie. Mais ceux-là n’ont plus rien à connaître, ni à apprendre de moi. Ils connaissent toutes mes pensées et tous mes sentiments, mes défauts. Ma vie n’a rien de caché pour eux, car je l’ai passée parmi les plus humbles d’entre eux. Ce qui me reste à leur dire, c’est toute ma reconnaissance et mon admiration (…) Qu’ils le veuillent ou non, notre chemin est le même. Comme me l’a dit Ferhat Abbas : ‘les plus avancés doivent attendre les retardataires’. Certes, je sais que beaucoup d’entre eux commencent à voir clair et font amende honorable, mais il y en a encore qui s’obstinent à se boucher les oreilles et à fermer les yeux. Ils se refusent à entendre l’accent de la vérité et à voir la lumière. Ô peuple vaillant et malheureux, seras-tu donc éternellement victime de la naïveté et de la crédulité ? Tu te trouves égaré alors que ta route est largement tracée ? Tu ne t’aperçois donc pas qu’on t’a fait faire demi-tour ? On t’a tiré du fétichisme, du fanatisme et tu verses dans un autre plus dangereux. On t’a réveillé de l’idolâtrie, on t’a conseillé de tout voir, tout comprendre, tout contrôler et tu tombes à genoux en extase devant de nouvelles idoles ! Tu oses prêter une vertu divine, même aux poils de barbe ? Tu te demandes maintenant pourquoi tout est saccagé démoli, détruit, sans t’apercevoir que c’est toi qui as fourni le matériel aux démolisseurs et monter la garde pour empêcher qu’on les dérange ? Imache a été indubitablement un militant, un homme, un patriote éclairé lucide et conscient de l’inéluctabilité de l’indépendance de son pays et de la justesse de la cause de son peuple. En 1948, Amar Imache s’est marié tardivement dans son village natal. Il rejoint durant la même année l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) de Ferhat Abbas jusqu’en 1951. À la même période, pour pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, il occupe le poste de magasinier dans la société d’import-export «Le Comptoir nord-africain Amal» à Alger. Son état de santé s’étant dégradé son médecin traitant le déclare inapte au travail avec un taux de 100% d’incapacité permanente partielle. Il rentre dans son village natal à la veille du déclenchement de la révolution armée, où il continue néanmoins à prodiguer ses conseils aux responsables de l’ALN qui le sollicitaient. Il est mort le 7 février 1960, pendant le blocus alimentaire imposé par l’armée française à la population du village pour la contraindre à se rallier, laissant cinq enfants en bas âge. Il est parti, léguant aux générations de l’indépendance, un message hautement significatif de ce que doit devenir l’Algérie mais a-t-il été entendu ?

Sadek A. H.

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