«Un musée pour Matoub»

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Matoub Lounès n’est plus à présenter. Le rebelle, le chanteur et le militant mettait du baume au cœur, particulièrement, à la jeunesse. La reconnaissance de son peuple ne tardera pas.

Youcef Lalami lui a consacré un film-documentaire au titre éponyme «Matoub Lounès : La voix d’un peuple», Smail Grin et Yalla Seddiki un livre «Matoub, l’assoiffé d’azur» pour le premier, et «Matoub Lounès, mon nom est combat» pour le second. C’est dans cette lignée que s’inscrit l’action de l’Association Action Artistique Amazigh (AAAA) qui débute ses activités par une exposition-vente de tableaux réalisés par l’artiste Nacer Yanat, au profit du musée Matoub Lounès. Nous avons rencontré l’initiateur de cet événement qui nous a accordé cet entretien.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous nous présenter votre association ?

Nasser Yanat : L’association est encore en cours de formation et de composition. Il est vrai qu’un noyau veille à lui donner un statut et une orientation vers une approche culturelle et grâce à la réalisation de projets artistiques innovants. Nous avons une synergie de compétences et des savoir-faire divers, entre autres la peinture, la musique, la littérature. Le propriétaire du lieu où l’Association est domiciliée est un organisateur d’événements artistiques professionnel. «Chez nous» est un café artistique à Asnières recommandé dans les guides touristiques. Chaque mois, des expositions de peintures, des concerts de jazz ou de blues y sont organisés. Omar, le propriétaire, a accepté d’héberger l’association et de promouvoir la culture kabyle. Ainsi, l’expo Matoub se fera au café artistique «Chez nous».

Les éléments qui la composent sont-ils tous des artistes, et quel est le rôle de chacun ?

Parmi les acteurs clés du projet, il y a Moha, écrivain et rédacteur, Boukhalfa, enseignant et c’est lui qui fera la communication car il est un bon orateur, Zahir, comédien qui s’occupe du réseau de contacts et de la promotion de l’événement et moi-même, scénographe et créateur de projet.

Votre association s’appelle Association Action Artistique Amazigh, cela suppose-t-il que vous vous pencherez aussi sur les autres variantes amazighes autres que kabyles ?

Pour le nom, on voudrait qu’il soit accrocheur et esthétique en plus de sa fonctionnalité et le but de celle-ci. Pour les projets kabyles, il y a déjà de quoi faire. Mais nous restons ouverts, même pour un partenariat avec d’autres cultures minoritaires, telles que Kurde, Arménienne, Catalane et autres. L’essentiel, et c’est l’un des principes de l’association, est l’universalité et une réflexion -ou un concept- pour le traitement du sujet. Loin du culturalisme, du folklore et du dogmatisme culturel.

Avez-vous des projets précis concernant ce dernier point ?

L’association vient de démarrer, on pose à peine pied. Il y a des projets qu’on peut provoquer, d’autres viendront vers nous en partenariat ou en collaboration. Il y a 3 manuscrits d’un écrivain kabyle qui ne trouve aucune maison d’édition pour le publier. Le rôle de l’association est de l’aider et l’accompagner pour en trouver une. Il y a aussi le projet Ait Menguellet. Ce dernier a été contacté et il est d’ accord pour que je fasse des visuels et des images pour le 50ème anniversaire de sa carrière.

Quelles sont (seront) les activités principales de l’association et à quel objectif répond sa création ?

Voilà un projet d’envergure, grandiose, qui s’intitule le « carnaval berbère ». Il est déjà mis sur papier et une cellule de réflexion est à pied d’œuvre pour sa réalisation. Je préfère ne pas m’avancer sur des projets qui sont encore en étude, je peux simplement vous dire que les idées ne manquent pas et que les compétences sont disponibles.

Pour votre première activité vous avez choisi d’organiser une exposition vente de tableauxd’art. Quels sont les artistesparticipants ?

Concernant l’exposition et le travail sur Matoub, je l’ai commencé il y a neuf mois. C’est un projet qui me tient à cœur. L’artiste, le militant de la liberté le symbole et l’idole des jeunes continue à me fasciner. Dans l’un de mes tableaux, je l’ai mis à côté des figures mythiques telles que Jimi Hendrix, Jim Morrison et Victor Jarra. J’ai réfléchi longuement avant de trouver le style et le concept de cette figure emblématique. Mon choix était porté sur la peinture américaine des années 60 et précisément le Pop Art, surtout que Matoub a aimé sa visite aux États-Unis. Tout s’est enchaîné le choix des couleurs, les compositions et les thèmes, sans trop dénaturer ce qu’il était et ce qu’il combattait : l’absurdité et la bêtise humaine. Au fur et à mesure que je travaillais, j’ai trouvé que son visage et sa figure étaient non seulement très esthétiques, mais énigmatiques et tragiques.

Qui est Matoub Lounès et pourquoi faire cette exposition vente pour lui ?

Les artistes pop utilisent le collage, la peinture acrylique, la sérigraphie. Ils emploient des couleurs vives. Je ferai pareil pour les œuvres de Lounès Matoub avec des impressions sur toiles, sur papier, tee-shirts et autres. L’idée est d’en faire un symbole de culture de masse. Et aussi de surprendre le pouvoir central par la diffusion massive, car ce dernier le fait bien à travers la pensée unique et l’idéologie arabo-musulmane. L’exposition va se dérouler à la date anniversaire de sa disparition, en juin 2016. Ce ne sera pas un mouvement artistique ni intellectuel, mais une dynamique faisant appel à toutes les corporations de métiers (artistes, enseignants, architectes, associations culturelles, écologiques et politiques…) pour célébrer, commémorer, idéaliser et mythifier cet esprit de contestation, de refus, de révolte et de résistance. Cela permettra l’émergence d’une culture de la rébellion et le refus de l’ordre imposé par le pouvoir et l’intégrisme islamique. Ce mouvement permettra aussi le développement d’une véritable communauté de citoyens avec des pratiques de partages et des liens sociaux importants. Il permettra aussi la création d’une identité socio-économique et culturelle alimentant une véritable conscience chez les citoyens contre la démission et la corruption de l’esprit.

C’est en effet un projet grandiose. Ne craignez-vous pas une récupération de tout ce travail par l’État algérien, notamment en décidant soudainement de prendre en charge des salariés, en nommant par exemple un directeur, un conservateur et d’autres employés pour ce musée ?

On ne sait pas pour quelle option opter. Moi je pense à un musée virtuel, accessible à tout le monde, conçu avec différents espaces. Exemple, espace art visuel, espace poésie, chanson et espace ludique pour enfants … et en plus le lieu du site et de sa résidence se fera en dehors de l’Algérie. Chaque chose en son temps, on pensera à tout cela en temps voulu.

Quelles sont les différences entre ce que vous envisagez de faire pour Matoub et ce que fait déjà la fondation du même nom ?

La vente de tableaux en solidarité au musée Matoub est lancée après avoir contacté Malika Matoub, qui m’a parlé de son intention d’aménager le musée et de faire des réfections dans les différents espaces. La protection des instruments et la présence de vitrines pour exposer les archives dans de bonnes conditions est également une priorité. Du coup, l’opération vente de tableaux est la bienvenue pour aider au financement de l’aménagement du musée.

Propos recueillis par

Makhlouf Bouaich.

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