«Impliquer l’écrivain dans la promotion de la lecture»

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L’auteur du roman Le temps des grandes rumeurs, paru l’année dernière aux Editions Frantz Fanon, Amar Ingrachen, livre sa conception de l’écriture romanesque.

La Dépêche de Kabylie : Y a-t-il toujours des personnages importants et d’autres moins importants dans un roman ?

Amar Ingrachen : Tout dépend en fait du rôle que l’auteur assigne à ses personnages. Dans mon roman, par exemple, il y a cinq personnages principaux. Je raconte cinq histoires différentes. Des histoires qui s’entrecroisent et s’enchevêtrent. Des histoires qui peuvent aussi exister chacune toute seule. C’est pourquoi je parle de cinq personnages principaux. Kacem Fercha est un personnage important, même s’il intervient très peu dans le roman. Il est l’un des deux narrateurs et trace une sorte de voie qui traverse en filigrane le roman. Il intervient à travers des chroniques qu’il publie à l’entrée d’un café qui s’appelle Jéricho. Ses chroniques sont aussi une sorte de mise en exergue au début de certains chapitres du roman.

Votre texte est constitué de fragments de vie racontés de manière intime. Pourquoi cette manière d’écrire ?

Dans mon roman, je raconte plusieurs histoires, plusieurs fragments d’histoire. Je dis fragments parce que ces histoires n’ont pas de début ni de fin. Quand on lit mon ouvrage, on n’a pas d’idées précises sur les personnages. Pour répondre à votre question, je considère que raconter une histoire ou écrire un roman qui raconte une histoire ayant un début et une fin est une arnaque philosophique. Enfermer un personnage dans une histoire, c’est le figer dans une posture, c’est lui imposer une identité. C’est donc l’asphyxier. C’est le tuer. Or, l’homme est pour moi un mouvement, un mouvement vers autrui, comme dit à juste titre Frantz Fanon. L’homme est un processus d’essences, comme disait Emmanuel Auvinet. L’homme n’est jamais complètement accompli. Il est toujours en train d’être. L’homme, à mon sens, n’est saisissable dans sa vérité que dans son présent le plus intime. Le ‘’ici et maintenant’’ du personnage. C’est cela qui compte pour moi. C’est cette présence immédiate du personnage qui m’intéresse et que je raconte dans le roman. Il y a des flash-back sans doute, il y a des allers-retours entre des faits d’histoire, etc. Mais ce sont des faits d’histoire qui sont revisités à travers un discours, à travers un dialogue, c’est-à-dire que celui qui a vécu les moments est en train de les revivre, de s’en souvenir. C’est ainsi que j’en parle dans ce roman.

Quand un roman quitte-t-il l’univers intime de l’auteur ?

A mon avis, dès qu’il est publié. Dès qu’il est entre les mains d’un lecteur, un roman n’appartient plus à l’auteur.

Partagez-vous le point de vue selon lequel un roman peut ne pas être l’œuvre exclusive de l’auteur, mais revêtir un caractère collectif ?

Un auteur appartient à son milieu. Son livre est nécessairement l’expression d’une conscience collective. Un livre quel qu’il soit, un roman particulièrement, a toujours un ancrage social. Me concernant, je suis peut-être un chargé de mission.

L’écrivain, dont la mission est d’écrire, devrait-il s’impliquer dans la promotion de la lecture?

Je pense que oui. Je pense même que c’est urgent que l’écrivain soit impliqué institutionnellement dans la promotion de la lecture. Dans le cadre du système éducatif par exemple. Un peu partout dans le monde, en France par exemple, les écrivains sont régulièrement invités dans les écoles pour animer des ateliers d’écriture, des conférences etc. Le but est de faire aimer aux enfants la lecture, leur faire découvrir certains aspects de leur culture… Je pense qu’il serait judicieux de faire la même chose chez nous. Je pense aussi que les médias doivent s’impliquer sérieusement dans la promotion non seulement de la musique, comme, apparemment, unique expression artistique chez nous, mais aussi de tous les arts. Il faut cesser de réduire l’art à la seule dimension musicale. Il y a d’autres expressions artistiques et la littérature en est une qu’il va falloir prendre en considération.

Djemaa Timzouert

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