«Mon père était plus révolutionnaire qu’artiste»

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Larbi Belkacem, le fils de Moh Saïd Oubélaid, de son vrai nom Larbi Mohand Saïd, l’une des icônes de la chanson kabyle des années 50 à 70, nous raconte certains faits que personne n’a rapportés auparavant. Il nous fait part, également, du projet de réalisation d’une stèle commémorative à la mémoire de son père, dans son village natal dans l’Aârch des Ath Smaïl (Bounouh).

La Dépêche de Kabylie : Qui est Moh Saïd Oubélaid ?

Larbi Belkacem : Tout d’abord, je vous dirais que j’ai lu sa biographie et j’ai constaté qu’elle est incomplète. Moh Saïd Oubélaid, mon père, est né le 19 février 1923 à Bounouh et est décédé le 3 mars 2000 dans des conditions difficiles. Mon père a été un révolutionnaire avant d’être un artiste.

C’est-à-dire ?

Certes il a commencé à chanter dès l’âge de 15 ans, alors qu’il fréquentait Dahmane El Harrachi à la fin des années 40 à Alger avant de s’exiler en France, mais une fois là-bas, il s’est engagé dans les rangs du PPA. Au fil des années, il deviendra révolutionnaire par sa chanson. Je vous citerai sa chanson «A yithvir sawdha sen slam iwarach ak tmurth iw». Durant sa carrière, il n’a enregistré que 34 chansons. S’il avait consacré sa vie à chanter, il aurait un grand répertoire, parce qu’il faisait partie de ce genre d’artistes qui avait un don particulier.

Expliquez-nous comment a-t-il été révolutionnaire ?

Une fois il m’a raconté qu’il avait approché Krim Belkacem pour l’envoyer au maquis. Mais Krim lui avait répondu qu’il était important de lutter avec le verbe parce qu’il avait beaucoup de capacités. En France, alors qu’il avait un restaurant, il cotisait des fonds pour le FLN et s’occupait même de la logistique en hébergeant des militants à titre gracieux.

Avez-vous une confidence à nous faire à ce sujet ?

À la fin des années 70 alors que Mohamed Khider était en prison à Fresnes (France), mon père reçut la visite de deux femmes. Il s’agissait de l’épouse de Khider et de sa mère. Ces deux femmes ne trouvèrent personne pour les héberger le temps qu’elles passeraient en France. Mon père les prit en charge durant deux mois. Ainsi, elles purent chaque semaine rendre visite à ce prisonnier politique.

Voulez-vous ajouter quelque chose ?

En 1960, il a été condamné à mort avec le regretté Slimane Amirat. D’ailleurs, au lendemain de l’indépendance, il milita au sein du MDRA, créé dans la clandestinité par Krim Belkacem. Il resta au sein de ce parti jusqu’à l’assassinat de Krim.

Pensez-vous créer une fondation qui portera le nom de votre père ?

Une fondation ? Ce n’est pas à l’ordre du jour. Mais je vous informe que le comité de village d’Amalou est en train de se préparer pour ériger une stèle commémorative à sa mémoire, tout près de la zaouïa de Sidi Abderrahmane (Bounouh).

Avez-vous essayé de compiler toutes ses chansons dans des CD ?

Bon, il y a un éditeur qui le fait à Béjaïa mais je vous assure que nous n’avons eu aucun sou. Par contre, nous recevons les droits de l’ONDA parce que les chansons de mon père sont à la radio nationale et elles sont enregistrées à l’ONDA. Mon fils qui est percussionniste essaie de reprendre quelques unes de ces chansons. Je souhaite qu’il prenne la voie de son grand-père d’autant plus que c’est lui qui a hérité de son banjo.

Un mot pour conclure…

On ne doit pas oublier ces pionniers de la chanson kabyle en particulier, et de la chanson algérienne en général. Ce sont des monuments. Chacun de nous a le devoir de préserver leur mémoire. Celle-ci appartient à tout le peuple algérien. Il faudrait aussi que notre État réfléchisse au moyen de regrouper leurs œuvres qui serviront de supports pédagogiques dans les manuels scolaires, afin que la langue amazighe enseignée à l’école soit diversifiée et que cette histoire soit transmise fidèlement aux futures générations.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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