L’anthropologie et l’histoire du Maghreb revisitées

Partager

Durant deux jours, des chercheurs et enseignants de différentes universités ont analysé et se sont interrogés sur la transmission des savoirs et savoir-faire traditionnels dans la société berbère en général et kabyle en particulier.

Basée sur des approches anthropologiques, la majorité des communications traitaient le triptyque histoire, mémoire et identité. Dans sa communication intitulée «Arch, taddart, tufiq : Le politique comme facteur constitutif de la communauté dans la Kabylie précoloniale», Hugh Roberts (Tufts University, USA) qui abordait les systèmes politiques berbères, remet en cause la théorie de la segmentarité, avancée par Boudieu et Favret, selon laquelle la parenté était un facteur constitutif de la communauté dans la société villageoise kabyle. «Or, ces auteurs n’ont pas tenu compte de la variété des formes de la communauté kabyle. En dessous du niveau du Arch, elle n’existait pas une seule, mais trois formes bien distinctes de collectivité villageoise : taddart, arch et tufiq, ensemble de hameaux associés dans une unité politique gouvernée par une tajmaât (…). C’était la politique et non la parenté qui était le facteur constitutif non seulement du tufiq kabyle et de la grande taddart des Igawawen, mais aussi du arch», soutient l’intervenant. Toujours dans le même sillage de la problématique de la parenté en Kabylie, Anaris Mohand de l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou aborde, pour sa part, les reconfigurations et les mutations dans le système de parenté en Kabylie à l’aune de la globalisation. «La parenté conserve aujourd’hui son actualité et constitue un domaine par excellence où peuvent s’observer les dynamiques des transformations sociales en Algérie. Il faut, cependant, noter que les mutations en cours sont difficilement qualifiables en raison de leur variabilité, de la cadence selon laquelle elles se produisent et du peu d’études consacrées à cette problématique», note-t-il. Le conférencier mettra en lumière, par ailleurs, les nouvelles matrices participant à l’orientation des stratégies matrimoniales, leurs effets et leurs corrélations avec les façons de vivre et d’exercer la parenté, les structures familiales, les rapports intergénérationnels, les logiques résidentielles ainsi que les mobilités sociales par le mariage. Pour sa part, Salhi Karim de l’UMMTO parlera de l’émergence d’une forme de citoyenneté dans de nombreux villages kabyle. S’appuyant sur une enquête de terrain dans un village des Ait Idjeur, le conférencier développe les raisons et les implications de cette citoyenneté qui «émerge dans le sillage des difficultés posées par la vie quotidienne et qui s’adosse à la fois aux structures de parenté et à la définition moderne de l’action citoyenne», selon l’orateur. Pour étayer ses propos, l’intervenant présentera la façon dont la citoyenneté se «reconstruit» en zone montagneuse. «Elle mobilise les villageois afin de réaliser des projets d’intérêt général (chemins, conduites d’eau, etc.) et lutter contre la pollution de l’environnement à travers la gestion des déchets ménagers et le nettoiement des espaces», dira-t-il. «L’organisation sociale d’un village kabyle en mutation : pour quelles approches anthropologiques ?» était le thème traité par Kinzi Azzedine de l’UMMTO qui s’interroge sur les nouvelles approches anthropologiques susceptibles d’appréhender, aujourd’hui, les formes d’organisation sociale d’un village kabyle en mutation permanente. «En effet, la nature complexe des structures sociales du village kabyle, tant dans le passé que dans l’ère contemporaine, a mis en épreuve des nouvelles perspectives et de nouveaux paradigmes anthropologiques», relèvera l’orateur. À partir des exemples pratiques de quelques villages de Kabylie d’aujourd’hui, le conférencier tente de mettre en perspective anthropologique la dimension dynamique de leur organisation sociale. «Pour se faire, les approches dynamiques et interactionniste feront dans notre cas le choix opératoire de méthodes et de paradigmes permettant de saisir les changements, les ruptures et les continuités des structures sociales, villageoises en Kabylie», soutient M. Kinzi. «La fontaine en Kabylie : un patrimoine en mutation», en tant qu’espace destiné, en général, aux femmes a fait l’objet, également, d’une communication présentée par Halit Sadjia de l’Institut d’architecture et d’urbanisme, université de Blida. «En plus de sa fonction autant que point d’acheminement de l’eau, la fontaine ou la source en Kabylie, est un espace destiné aux femmes, à leur regroupement et à la pratique de certaines tâches ménagères qui ont disparus, à une certaine époque, et que beaucoup de villages tendent à se les réapproprier, ces dernières années», explique la conférencière. Sur ce soudain retour, l’intervenante s’interroge «Est-il un besoin ou juste une prise de conscience de l’héritage culturel». Pour elle, «la réincarnation de cette pratique et ce retour aux fontaines est le fruit de plusieurs facteurs socio-économiques, culturels et environnementaux qui se complètent entre eux». En ce qui concerne «les déterminants socio-historiques de l’emprunt linguistique du kabyle à l’arabe», Rabah Kahlouche, université Mouloud Mammeri, soutient que 46% des lexèmes d’un locuteur kabylophone unilingue sont d’origine arabe. Et qu’aucun champ lexical n’aurait été épargné «y compris ceux réputés pour être réfractaires à la pénétration de mots étrangers comme les parties du corps, la vie des champs…»

Farida Elharani

Partager