«Taqvaylit n’est pas seulement une langue, mais…»

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Le chanteur kabyle Kamel Yahouni, connu sous le nom d’artiste Kamel Ath Hsyen, en hommage à son village Aourir Ath Hsyen dans la municipalité d’Akfadou, a entamé sa carrière artistique en 1981, avant de se retirer de la scène en 2005. Après une longue absence, le chanteur revient avec un nouvel album intitulé «Tasusmi», sorti récemment. Dans cet entretien, Kamel Ath Hsyen revient sur les causes de son retrait de la chanson qui, selon lui, «ne faisait pas vivre» et parle de son dernier album et d’autres points aussi.

La Dépêche de Kabylie : À quand remontent vos débuts dans la chanson ?

Kamel Ath Hsyen: J’ai fais mes débuts dans la chanson en 1981. Il faut dire que déjà lycéen au technicum de Sidi Aïch, je participais à la chorale en reprenant des chansons de Hamidouche, Agraw, Aït Menguellet. Et avec le temps, je commençais à jouer de la guitare et à composer des chansons.

Quand avez-vous composé votre première chanson ?

C’était en 1984. Le titre de la chanson est «Taghawsaw», que je n’ai d’ailleurs jamais enregistré. Ensuite j’ai composé «Nek illan dameris» (un travailleur) entièrement en tamazight pure de bout en bout, que j’ai enregistré en 1986. Il y avait ensuite «Miss tadart-iw» (l’enfant de mon village), un tube que j’ai aussi enregistré dans l’album sorti en 1990. Dans mon premier album, il y avait Athmane Mohamed qui m’a accompagné pour la voix. Après son départ, Salim Idir a pris sa place toujours pour la voix. C’est le temps du groupe Ath Hsyen en 91 avec l’album intitulé «Anfass Anfass». Salim s’est aussi retiré du groupe par la suite et j’ai continué en solo en reprenant sous le nom par lequel j’ai commencé en 85, Kamel Ath Hsyen.

Quels sont les styles de musique que vous affectionnez le plus ?

Vous savez, la chanson kabyle c’est de la musique chaâbie modernisée, mais moi j’essaie de toucher aussi au slow, au folklore, au disco… J’ai même composé en rock’n roll avec l’aide de Karim Abranis. Sur un air que j’ai composé, Karim Abranis m’a conseillé d’en faire du rock’n roll kabyle avec aussi l’aide de mes enfants bien sûr, Elyes et Missipsa qui sont aussi très doués en musique. Elyes est guitariste, alors que Missipsa est technicien du son. J’ai fait du chaâbi, du barwali… Pour chacune de mes chansons, c’est un style différent. J’aime la diversité. Une musique, c’est elle n’est pas belle, l’habillage ne changera rien. Tout est dans la beauté de la mélodie. Après bien sûr les arrangements et les instruments utilisés contribueront à son amélioration dans le studio. Mais une belle musique restera toujours aussi belle.

Parlez-nous de votre dernier album ?

Pour ce nouvel album, je me suis un peu fatigué pour le faire, mais je peux vous dire que je me suis retrouvé avec l’aide de mes enfants dans la composition des mélodies. C’est, au passage, grâce à mes enfants que j’ai composé la chanson charqi «Tasusmi». Missipsa s’est chargé du choix des sons et Harid Harfi des arrangements. On a entamé l’enregistrement en 2015 et ce n’est que fin 2017 que l’on a bouclé le travail pour enfin sortir sur le marché l’album intitulé «Tasusmi». Pour cette chanson «Tasusmi», il y avait aussi la participation de Tarik et Idir Akfadou qui n’est plus à présenter, deux personnes qui m’ont vraiment aidé pour le vocal. La chanson «Usend» est un live sur scène avec une mandole qu’on a aussi peaufiné en studio. Karim Abranis m’a conseillé de la faire dans le style rock’n roll. Karim Abranis et mon fils Elyes ont joué de la guitare, alors que Boudjemaa Agraw m’a aidé dans le vocal. Dans cet album, il y a aussi une chanson «Vava», dédiée à mon défunt père, paix à son âme, décédé au moment où je composais cette chanson. Elle décrit tout le bien que peut faire le père à ses enfants. C’est bien très difficile d’accepter la perte d’un être cher, mais faire le deuil et continuer à vivre c’est aussi le libérer pour qu’il puisse se reposer dans son eternel sommeil. Il y a aussi un autre titre intitulé «Taqvaylit», dédié à la femme kabyle. J’ai choisi ce thème parce que «Taqvaylit» représente tout pour moi. Je suis fière de la femme kabyle. Une femme kabyle c’est toutes ces valeurs sacrées qu’elle porte en elle, Taqvaylit se sacrifice pour le seul intérêt de ses enfants, de son foyer et de son mari. Taqvaylit est ancrée dans le plus profond de notre âme, c’est notre identité. Je veux aussi souligner que Taqvaylit, ce n’est pas seulement une langue, ce sont toutes ces valeurs sacrées. Il y a aussi d’autres titres comme «Hnined», «Tameghra», ou encore «Hemlagh» que je laisse le public découvrir.

Pourquoi cette longue éclipse de 2005 à 2018 pour sortir un nouvel album ?

Ce sont les moyens et puis dans la chanson, il faut dire que ceux qui ont un nom peuvent vivre de la chanson mais pour les autres, c’est très compliqué. Il ne faut pas attendre les rares galas de circonstances pour gagner sa vie. Et puis même pour les galas, c’est pour faire plaisir aux associations. Il m’est arrivé de payer de ma poche les musiciens et je me suis rendu compte que ce n’est pas évident de continuer ainsi à dépenser de sa poche le peu d’argent qu’on gagne durement ailleurs. J’ai alors décidé d’arrêter et de continuer juste par passion la chanson pour moi et mes proches. Pour moi, c’est juste une passion comme d’autres aiment le foot, le jeu de domino, la pèche… J’aime la musique et la chanson, j’ai continué à composer des chansons. J’ai composé pour mon fils et d’autres chanteurs que je ne citerai pas. J’ai composé la musique et les paroles de chansons pour de nombreux chanteurs rien que pour rendre service sans que mon nom ne soit cité. Mais je dois signaler que mon retour à la chanson est grâce au grand chanteur kabyle Idir Akfadou qui est aussi un parent. C’est lui qui m’a encouragé à revenir à la chanson et enregistrer de nouveaux albums. J’étais totalement déconnecté du milieu de la chanson et Idir Akfadou m’a convaincu d’y revenir. Il m’a dit que les choses ne sont plus comme avant, tu as de belles mélodies et de beaux textes et un bon chanteur peut toujours vivre de la chanson avec les droits d’auteurs qui aident aussi énormément les artistes. Et les échos qui me parviennent suite à ce bon accueil du public constituent un encouragement pour continuer et essayer de faire encore mieux dans les prochains albums.

Avez-vous déjà fait de la scène et participé à des galas par le passé ?

Oui bien sûr. J’ai participé à des galas avec Boudjemaa Agraw, Idir Akfadou, j’ai chanté avec Takfarinas et Aït Menguellat. Je me rappelle du premier gala, c’était le 12 janvier 1989 au stade Benallaouche, à l’occasion de la célébration de Yennayer. Il y avait aussi Tagrawla, Idhourar, c’était la première fois que je chante devant une telle foule impressionnante bien que j’ai déjà participé à des galas à l’université de Sétif, Alger, Tizi-Ouzou. Dans les années 1990, j’y participais souvent, mais après je me suis retiré de la chanson pour les raisons évoquées.

Comment envisagez-vous votre avenir dans la chanson ?

Je vais poursuivre mon chemin dans la chanson en espérant être à la hauteur des attentes de mon public. Actuellement, je suis en train d’enregistrer un autre album.

Pouvez-vous nous donner un petit aperçu ?

Déjà j’ai plusieurs chansons prêtes pour l’enregistrement. C’est moi qui compose la musique et les paroles, mais il arrive de demander de l’aide à d’autres compositeurs, d’autres paroliers comme pour la chanson «Islamden N tmazight» (les enseignants de tamazight) à titre d’exemple, dont j’ai composé la moitié et Khellaf Oudjedi, qui est un très grand parolier, a fait la suite. La même chose pour la chanson «Naniyid maden tastroud», une chanson composée en 2005, à moitié et c’est encore Khellaf Oudjedi qui l’a terminée. Des fois je perds l’inspiration et je demande de l’aide. Mais dans la majorité des chansons, c’est toujours moi qui compose paroles et musiques. J’ai deux chansons dédiées à deux enfants décédés de mon village, il y a aussi une chanson sur les équipes phares de la Kabylie, la JSK le MOB et la JSMB. J’ai de nombreuses chansons au frigo, comme on dit, prêtes pour être enregistrées.

Toujours dans le même style que le dernier album ?

Oui mais ma touche on peut toujours la deviner. Moi j’aime toucher à tous les styles comme je l’ai déjà dis. J’essaie de m’améliorer à travers les conseils d’autres artistes. Je n’ai aucun complexe à demander conseil pour apprendre et évoluer. Avec l’aide de mes enfants, j’espère qu’on fera toujours mieux que le précédent album.

Quels thèmes choisissez-vous pour vos chansons ?

Je fais de la chanson sentimentale. J’aime chanter aussi mon identité, c est important. Pour l’anecdote, à l’école, je me rappelle, l’enseignant d’arabe te dit que sa langue est la meilleure, la même chose chez le français, l’anglais, et bien moi aussi je réponds que rien au monde ne pourra égaler ma langue ‘Taqvaylit’ avec toutes les valeurs qu’elle véhicule.

Entretien réalisé par Dalil S.

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