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Édition Hadj Ali Mustapha publie son premier ouvrage : Les bagnards algériens de Cayenne en vente

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«Les histoires d’hommes déportés me passionnaient beaucoup», dit Hadj Ali Mustapha, auteur de cet ouvrage. Rencontré à la bibliothèque communale de Draâ El-Mizan, lors de la vente-dédicace de son opus, cet écrivain de 57 ans, natif des Ouadhias, réalise enfin son rêve d’enfant : rendre hommage à ces héros déportés à Cayenne entre 1852 et 1938, avant la grande déportation d’autres Algériens à la Nouvelle Calédonie, entre 1864 et1921.

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Enfin, le voilà cet ouvrage qui relate cette période où des colonisés, parfois, pour un simple petit vol parce qu’ils avaient faim, étaient envoyés au bagne, sans retour, à des milliers de kilomètres de leurs familles. Dans cet ouvrage de près de 180 pages, l’auteur revient sur cette époque douloureuse de l’Histoire de l’Algérie sous le joug colonial.

La Dépêche de Kabylie : pourquoi avez-vous songé à écrire l’histoire de ces bagnards ?

Hadj Ali Mustapha : Je vous avoue d’abord que ce n’est qu’un rêve d’enfance. Quand j’avais six ou sept ans, j’écoutais mon grand-père à la fin de chaque dîner (généralement du couscous) nous raconter les histoires de ces hommes déportés à Cayenne. Qui n’a pas entendu de la bouche de nos vieux et vieilles cette curieuse phrase « ils sont à Cayenne » ? J’écoutais toujours avec émotion et attention ses récits. Je retenais incroyablement ces récits parce que ces hommes étaient pour moi des héros. Leurs histoires me passionnaient énormément. S’évader d’un bagne et parcourir tant de milliers de kilomètres pour tenter de revenir au bled à travers des océans sur des radeaux de fortunes confectionnés généralement était de la bravoure. C’étaient des histoires passionnantes d’évadés. Pour moi, c’était un mythe qu’il fallait percer et le temps est arrivé. Donc, je devais le faire par devoir de mémoire et faire aussi avancer le débat à ce sujet.

Pourquoi avez-vous choisi Cayenne ?

Si vous suivez bien cet épisode de notre histoire, vous allez remarquer que beaucoup a été écrit aussi bien par les autres que par les nôtres (essais de ces dernières années) sur les déportés à la Nouvelle-Calédonie. A mon sens, il n’y a aucun ouvrage du moins algérien qui évoque ces bagnards de Cayenne. Donc, à travers ces pages, j’ai essayé après plus que quatre ans de recherches de leur rendre hommage et de faire connaître leur histoire au grand public.

Pouvez-vous nous dire justement comment vous avez reconstitué cette histoire ?

Effectivement, j’ai lu, j’ai fait des recherches sur internet et je me suis documenté à ce sujet. Parce que ce n’est pas facile d’écrire cette page d’histoire sans témoins. Parfois, j’ai approché des personnes à ce sujet. Certaines n’ont pas souhaité conter cette période douloureuse pour une raison ou une autre. Alors qu’autres récits sont incohérents, c’est pourquoi je n’en ai pas tenu compte.

Pourquoi ?

Tout d’abord, parce que certains craignent de réveiller des rancunes et de vieux démons et déterrer la hache de guerre entre des familles. Vous devez savoir que ces déportés étaient accusés de « droit commun ». Souvent, on dit qu’ils étaient condamnés pour vols qualifiés, meurtres, tentatives de meurtre et parfois mêmes on les appelait « les bandits d’honneur ».

Justement, est-ce qu’on peut dire que parmi ces bagnards, il n’y avait pas de déportés politiques ?

Ce sont des justifications données par le colonisateur. Mais, nombreux parmi eux sont condamnés pour leur rébellion à l’égard de la force coloniale. Donc, on ne peut qu’affirmer qu’il y avait des déportés politiques.

Pouvez -vous nous donner un aperçu du nombre de déportés entre ces périodes ?

J’ai reconstitué une chronologie des décès. Il y en 4000 personnes. Il y a même des fiches de chacun d’eux sur lesquelles mais aucune affiliation. Vous aurez par exemple : âge au moment du décès, année de condamnation, N° matricule car une fois au bagne ils perdent leur identité en faveur du seul numéro. Si quelqu’un perdait celui-ci, il passera 15 jours en cellule. On y trouve aussi la situation familiale (marié, veuf, célibataire), décédé le, camp de travaux forcés et parfois la condamnation à mort. Au total, j’ai une liste de 316 bagnards que je n’ai pas inséré dans cet ouvrage sinon celui-ci aurait plus de quatre cents pages. Parfois, en observation, il était écrit : arrêté après tentative d’évasion, repris et reconduit au bagne, récidiviste, ayant fait deux bagnes Cayenne et Guyane, évasion échouée, repêché noyé dans le fleuve…

Après avoir conçu cette chronologie, qu’avez-vous ressenti ?

Tout d’abord de la pitié pour ces hommes parce que, vraiment, c’était passionnant d’écrire une telle histoire. Ils étaient les damnés de la terre. Ils avaient trop souffert d’injustice et de mépris. Je crois avoir fourni au lecteur une chronologie et un outil pour découvrir cette époque douloureuse vécue par nos ancêtres. Pratiquement, dans chaque village, il y eut un déporté notamment là où il y eut les insurrections populaires à l’exemple de la révolution de 1871 et bien d’autres.

En écrivant «Les bagnards algériens de Cayenne», n’est-ce pas une façon d’interpeller les autorités à revoir l’épopée de ces oubliés de l’Histoire ?

Je ne vous cache rien. Ils sont oubliés tout comme ceux déportés à la Nouvelle-Calédonie. Il est temps que les historiens se penchent sur cette période parce qu’elle a été à l’origine de décoloniser notre pays. Ces hommes déportés s’opposèrent à un moment ou un autre à l’ordre établi. Sur la quatrième de couverture, j’ai repris les propos d’un ancien magistrat qui officiait dans la région de Mila en disant : « en pareille occurrence, la justice pouvait se demander s’il était légitime de frapper ceux que la faim rendait inconscients de leurs gestes ».

Quel message voulez-vous passer aux hautes autorités de l’Etat ?

Il est temps de réhabiliter ces hommes qui combattirent l’occupant avec tous les moyens dont ils disposaient à cette époque-là. En écrivant cet ouvrage, je pense avoir ma carte d’auteur. Celle-ci me permettra d’accéder aux archives. Mais, aller en France pour les consulter coûtera trop cher. Nous interpellons nos autorités à « rapatrier » toutes les archives non seulement de 1954 à 1962 mais depuis 1830 jusqu’à l’indépendance.

On vous laisse le soin de conclure…

Tout d’abord, je vous remercie de m’avoir ouvert les colonnes de votre journal pour parler un peu de mon ouvrage qui vient de paraître à l’occasion du 38° anniversaire du Printemps amazigh. Que le Printemps algérien ne soit que plus beau ! Je n’oublierai pas aussi tous ceux qui m’ont encouragé et m’ont aidé dans mes recherches. Et puis, je dirais que cet ouvrage est disponible dans les librairies : « Les Bagnards algériens de Cayenne », 176 pages, édité par les éditions El Amel. Et je souhaite encore continuer dans cette voie parce que j’ai un autre projet qui sera la suite de ce modeste travail de recherches.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane

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