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CHEIKH SIDI BEMOL, auteur, compositeur et interprète : «La musique m’aide à revisiter notre Histoire»

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La Dépêche de Kabylie : C’est un peu déroutant de voir un cheikh qui se cache derrière un artiste si jeune, on s’attend à voir un vieux monsieur emmitouflé dans son burnous…

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Cheikh Sidi Bémol : Peut-être un jour…. Mais l’idée c’est ça. Il faut dire qu’à l’époque, quand j’ai créé le groupe Sidi Bémol, c’était la vague du Raï et tous les chanteurs s’appelaient cheb. Moi, je voulais me démarquer de ce mouvement. J’ai donc choisi de m’appeler cheikh et j’ai ajouté Sidi Bémol pour que ça fasse moins sérieux. C’est parti comme ça, pour rigoler.

Ça vous va comme un gant…

Oui, c’est lui qui m’a adopté !!

Vous êtes un artiste qui a baigné depuis longtemps dans l’art, avec un profil et un style un peu particuliers qui vous distinguent du lot. Pourquoi ce choix ?

Non, ça vient comme ça. Ce que je fais, ce sont plus des envies, de l’inspiration. Je n’ai jamais voulu suivre un style particulier ou une route toute tracée. Je trouve qu’il y a beaucoup trop de choses qui m’intéressent dans la musique comme dans d’autres domaines que j’aimerais bien explorer. C’est vrai aussi que quand on pratique un art, on risque de s’ennuyer au bout d’un moment. Moi, je pense qu’il faut changer pour retrouver une force d’expression, diversifier son style et ses sensibilités.

En parlant d’explorer, vous replongez dans le patrimoine à la recherche de cette richesse que vous travaillez et transformez en redonnant vie à des choses du terroir…

Dans le dernier projet, l’Odyssée de Fulay, je trouve qu’on a vraiment un patrimoine très riche et qui n’est pas très connu, un peu sous-estimé. Il n’y a pas que le folklore, il y a de la musique qui va au-delà de tout. J’aimerais bien que tout le monde le découvre. Dans le dernier travail que j’ai fait, je voulais parler de la profondeur historique de notre pays, de la relation qu’on a depuis toujours avec tous les pays du pourtour méditerranéen en utilisant la musique et le conte.

Dans beaucoup de vos productions, on trouve des thématiques qui touchent à la société, mais plus au groupe qu’à l’individu…

Oui, nous avons aussi un pays marin, avec une côte immense. L’histoire de l’Algérie est liée à la mer, avec la période des corsaires, la période de l’Andalousie… Il faut un travail de recherche, étudier tout ce pan de l’Histoire. Moi, je l’aborde du côté artistique. Je le prends avec beaucoup de fantaisie. C’est aussi une façon de s’intéresser à la mer, à la vie des marins. C’est un travail que j’ai fait avec Améziane Kezzar, qui a aussi les mêmes préoccupations que ce que je viens de vous dire, aussi bien par rapport à l’histoire de l’Algérie que par rapport à la mer. C’est vrai que la préoccupation, c’est d’ouvrir un peu la réflexion sur des questions de ce genre : sur notre vision de la mer, sur la profondeur de notre Histoire. Avec des travaux comme ça, on essaye de mettre l’accent sur ces questions-là en espérant qu’il ait de plus en plus de gens qui s’y intéressent, qui continuent à développer ces thématiques.

Beaucoup fonctionnent en solo, ce n’est pas souvent qu’on a des collaborations de ce genre, avec Améziane Kezzar, le binôme semble

bien fonctionner sur plein de projets…

Oui, tout à fait. Par exemple sur les chants marins, il y a eu un hasard tout à fait extraordinaire. Je suis un grand amoureux des chants marins bretons, américains, anglais, français et bien d’autres. Ce sont des chansons que j’écoutais quand j’étais au lycée, puis à la fac. Je suis tombé sur des disques de chants marins et à l’époque, c’est ‘’Chants du Monde’’ qui publiait ça et c’est resté dans mon esprit. Et puis un jour, ils m’ont parlé des traductions de chants marins. J’ai sauté sur l’occasion. Dans les enregistrements qu’on a faits des chants marins, je voulais qu’ils ressemblent à ceux que j’écoutais dans ma jeunesse, enregistrements pas en tant que morceaux arrangés ou orchestrés, mais plus comme des chants de travail. C’est ça qu’il fallait faire ressortir pour que ça ait plus d’impact. Quand on entend la musique, on voit des images de gens en train de travailler sur un bateau, de naviguer et de ramer. L’aspect purement musical ne m’intéresse pas plus que ça. Alors que l’aspect imagé m’intéresse beaucoup. Avec Améziane, on voulait que les gens qui écoutaient ça aient l’impression d’être sur un bateau avec des Kabyles qui naviguent. Il fallait que ça ressorte.

Comment se passe justement cette collaboration avec Améziane Kezzar ?

Et bien, c’est lui qui m’a présenté et expliqué les textes. Il a un vocabulaire beaucoup plus étoffé que le mien en langue kabyle. Avec son travail très minutieux, il m’a même appris à prononcer certains mots au cours de plusieurs séances de travail. On a travaillé aussi en collaboration sur le projet de l’Odyssée de Fulay. Il m’avait parlé de cette thématique de chants païens, antiques et cela m’a beaucoup intéressé. C’est un chantier qu’il fallait prendre en charge. On était sur la même longueur d’onde, en symbiose. Une fois les chants enregistrés, je ne voulais pas les sortir juste comme un album de musique. Il fallait trouver autre chose. J’ai fait une autre rencontre avec le directeur du théâtre d’Irvy à qui j’ai fait part de mon projet. Il m’a aidé à monter ce spectacle en pièce de théâtre en mettant à ma disposition une équipe composée d’un metteur en scène, un éclairagiste, un ingénieur du son pour une résidence de 6 mois. Le projet était donc un conte musical ce qui lui a donné plus d’impact qu’un produit plus classique.

Le spectacle a-t-il été bien accueilli, aussi bien en France qu’en Algérie ?

Oui, le public a bien aimé. Toutes les représentations se sont terminées avec des applaudissements nourris, des ovations. En discutant avec le public, j’ai vu que beaucoup de gens étaient étonnés, peut-être un peu désarçonnés au début, mais au fil du déroulement du spectacle, ils ont aimé l’histoire, voyagé durant un moment, une sorte d’évasion dans le temps. Au cours de ces échanges, j’ai vu que le public était ravi, ce qui m’encourage encore pour voir d’autres dates de programmation pour la pièce.

Dans votre dernière tournée en Algérie, les villes de Kabylie comme Tizi-Ouzou et Béjaïa n’ont pas eu la chance de voir le spectacle. ça sera pour quand ?

La tournée avait été organisée par les instituts culturels français respectifs des villes d’Alger, Constantine, Annaba, Oran et Tlemcen. Pour Tizi-Ouzou et Béjaïa, ces instituts ne sont pas ouverts dans ces villes. Pour l’instant, je n’ai pas les contacts nécessaires dans ces villes pour pouvoir faire des représentations. Ceci étant, moi je ne demande que ça, pouvoir jouer à domicile comme on dit, partout dans les villages et m’adapter aux conditions locales. Dans le spectacle, on est trois personnes, 2 musiciens et moi-même. Je pense que je peux même envisager une formule un peu dépouillée, sans les musiciens, quand il n’y a pas les conditions optimales pour présenter le spectacle.

Cheikh Sidi Bemol ne tirera pas sa révérence de sitôt, vous êtes au summum de la création, n’est-ce pas ?

L’âge avance, j’arrive dans des zones où on peut dire cheikh, mais j’ai encore beaucoup de projets à réaliser. Là je suis en train de bosser sur un nouvel album qui sera rock, blues-rock, ça va parler beaucoup d’Alger. C’est un peu un retour au gourbi rock, pour reprendre l’appellation donnée par le journaliste animateur Aziz Smati.

Suivez-vous un peu ce qui se produit dans le domaine musical kabyle ?

Je suis en effet attentif à ce qui se fait. Quelqu’un comme Ali Amrane, c’est un artiste que j’aime. L’autre fois, j’ai participé au concert de AmZik, des jeunes qui ont le souci de bien faire. Ils vont aller très loin.

Un dernier mot…

La Dépêche de Kabylie est un journal qui nous suit, il nous a consacré la Une lors de notre spectacle «El Bandit» à Alger, je les salue tous et on se reverra.

Entretien réalisé par Tahar. Yami.

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