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IDIR BELLALI, auteur, poète et compositeur : «Tamazight a besoin d’une réelle prise en charge»

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Idir Bellali est auteur, poète et compositeur. à son actif, des recueils de poèmes, des traductions et trois albums audio Asefru, Valentin et Valentine et Tawekka et un recueil de poèmes en langue française : Perle d’Ineda. En outre, il a traduit deux recueils de poésie de la poétesse équatorienne Rocio Duran-Barba en tamazight. Dans cet entretien, il livre sa vision sur l’importance de la traduction de belles œuvres littéraires vers la langue amazighe.

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La Dépêche de Kabylie : après vos albums audio, des nouveautés pour cette année ?

Idir Bellali : Tout d’abord, je rappellerai que j’ai en plus des albums évoqués, les recueils en tamazight Ajgagal et la traduction de «Collier d’idées» en tamazight (tazlagt n tikta) d’Ahcène Mariche. Bon, je viens d’éditer Acqerri (Le défi). Pour cette fois-ci, j’ai poursuivi mon chemin en traduisant des œuvres d’autres écrivains. Je me suis intéressé à une poétesse de l’équateur : Rocio Duran-Barba. Dès que j’ai lu ses deux ouvrages «Le verbe du désert» et «Qu’est-ce que le sacré ?», je suis persuadé que les écrits de cette écrivaine avaient une similitude avec notre culture et notre mode de vie vus de manière plus poussée et des idées nouvelles du monde.

C’est-à-dire ?

Ecoutez par exemple, quand cette poétesse décrit la «Cordillère des Andes», une chaîne montagneuse de son pays, je me retrouve dans le texte «cette chaîne est comme le Djurdjura» ou encore «la culture des Incas», aborigènes du continent américain, c’était exactement comme la culture amazighe. Si j’ai choisi ces deux recueils, c’est surtout pour dire aux lecteurs qu’il faut avoir une nouvelle vision sur le monde et sortir du traditionalisme. C’est cela à peu près qui m’a poussé à faire ces traductions. Notre langue a besoin de s’abreuver des autres cultures. La seule voie pour lui donner ce sang nouveau, est le recours à la traduction d’œuvres universelles notoirement connues dans le monde entier.

Avez-vous en projet d’autres traductions ?

Bien sûr. J’ai déjà traduit cinq ouvrages de l’auteur libanais Gibran Khalil Gibran, dont deux pièces théâtrales, alors que les autres sont des paraboles. Ils seront présents au 23e Sila d’Alger.

Lesquels ?

Aderghal (l’aveugle), pièce théâtrale, Aderwich (Le fou), pièce théâtrale, Lazare akkd tmaâchuqt-is (Lazare et sa bien aimée), Amenzu (Le précurseur), Imenjli (L’errant).

Pourquoi Gibran Khalil Gibran ?

C’est aussi pour une similitude entre ce que vivent les Libanais et ce que nous vivons, nous, les Imazighen. Je citerai par exemple «Li lubnani lakoum loubnanoukoum», (j’ai mon Liban et vous avez votre Liban). C’est clair comme l’eau de roche. C’est génial comme réflexion. Nous devons aussi imiter la façon de voir le nouveau monde comme le fait ce grand auteur. Notre culture a besoin, donc, de toutes les cultures du monde.

Revenons au volet de la production. Quel constat faites-vous à ce sujet ?

Aujourd’hui, l’offre dépasse la demande. Dans chaque village de Kabylie si petit soit-il, il y a au moins un écrivain ou un poète (homme, femme). Combien de villages y a-t-il en Kabylie ? Il y a des milliers d’écrivains et de poètes qui produisent. Mais, cela reste insuffisant sur le plan de l’édition.

Vous voulez dire que les éditeurs ne s’intéressent pas à éditer des ouvrages en tamazight ?

C’est exactement cela. Il faut que tout le monde sache que les éditeurs ne s’intéressent surtout qu’au côté commercial. Ils ne sont pas nombreux à accepter d’éditer des ouvrages dans cette langue. Ils la fuient. D’ailleurs, dès qu’on leur parle de Tamazight, ils sont réticents. Ils doivent revoir leur vision de cette langue. Pourtant, avec son introduction dans le système éducatif, son champ est toujours vierge. C’est sur ce terrain qu’ils doivent aller.

Pour vous, où est la solution ?

à mon avis, il faut une politique nationale pour la promotion du livre amazigh. C’est-à-dire de la présidence jusqu’aux responsables locaux. Il faudrait encourager l’édition dans cette langue pour rattraper tout le retard accusé par Tamazight. Bien sûr, pour atteindre cet objectif, il faudrait une volonté politique afin de concrétiser dans la société la place qu’occupe, désormais, Tamazight avec son statut de langue nationale et officielle.

On croit savoir que cette volonté de la promouvoir manque toujours. N’est-ce pas ?

Evidemment. Quand on voit les budgets consacrés pour les bibliothèques des écoles, des collèges, des lycées et même des universités, force est de constater, que leurs responsables n’achètent pas le livre amazigh. C’est un désert. Chaque commune a une bibliothèque communale. Mais, on ne voit pas de rayons consacrés au livre amazigh comme ceux réservés aux langues arabe et française. Donc, je reviens à mon idée de tout à l’heure : ce ne sera qu’avec une volonté politique que le livre amazigh sera promu.

On vous laisse le soin de conclure…

Ecoutez, certes, Tamazight a fait un grand pas, mais beaucoup reste à faire, même si les auteurs ne ménagent aucun effort à produire. Le jour où ce seront les éditeurs qui iront à la recherche des auteurs, on pourra dire que Tamazight n’aura rien à craindre. Cependant, il ne faut pas se laisser influencer par tous ces aléas, car, il faudra produire davantage et être à l’avant-garde de la promotion de Tamazight.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane.

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