En marge de la vente dédicace de son livre Djamel Allam, de Urettru au youyou des anges à la maison de la culture de Tizi-Ouzou, Abdekrim Tazrout parle dans cet entretien de sa passion pour le travail de mémoire et de préservation du patrimoine musical et cinématographique de l’Algérie.
La Dépêche de Kabylie : Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire un livre sur Djamel Allam ?
Abdelkrim Tazrout : Je suis fan de Djamel Allam, je l’aime en tant que chanteur, parolier, interprète et en tant qu’acteur. J’ai toujours aimé son court métrage fiction «banc public» j’étais heureux qu’il ait reçu l’olivier d’or alors que j’étais président du jury. C’est tout ça qui a fait que je fasse le livre sur lui, il est vrai que c’est Arezki Larbi qui m’a dit un jour «Pourquoi tu ne fais pas un livre sur Djamel ?» Je lui ai dit que j’aimerais bien, mais qu’il faudrait qu’il soit d’accord. Il a dit que c’est justement lui qui veut que tu fasses un livre sur lui, tu as publié sur Guerouabi, Lamari, «elles, des voix algériennes», pourquoi pas sur lui. J’ai rencontré Djamel, on a discuté, mais il ne m’a pas parlé du livre, c’est un peu l’ego des artistes, mais il a commencé à me raconter un peu son parcours, des anecdotes et des étapes de sa vie artistique. J’avais enregistré tout ça. Il m’a surtout parlé d’un projet sur un livre CD sur les poètes algériens. Il a choisi une vingtaine de poèmes qu’il a déclamé sur fond de musique qu’il a signé avec la complicité de Bazou, un grand arrangeur et musicien. Après, il est malheureusement, tombé malade et la mort l’a emporté.
Le livre a été publié environ deux mois après le décès de Djamel Allam ?
Il a été publié juste après le quarantième jour et le début du SILA. J’aurais aimé qu’il le voit. Je continue un eu mon travail de mémoire en hommage aux artistes qui nous font aimer la musique, le théâtre, les arts plastiques, la poésie… pour garder une trace pour qu’on ne vienne pas nous dire que l’Algérie n’a pas de patrimoine, la preuve, aujourd’hui on va voir une pièce théâtrale consacrée à El Hadj Mohamed El Anka qui a ouvert la voie à un nombre important de chanteurs du genre Chaabi dont il est le Maître incontestable et incontesté.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu du livre ?
Il y a son parcours artistique, des gens qu’il a connus et comment il a commencé à chanter en reprenant les chansons à textes de Brassens, Moustaki et Léo Ferré. Il était animateur à la radio et directeur artistique à la voute de Moretti, où il chantait chaque soir, et parmi les clients, il y avait M’hamed Issiakhem, l’artiste peintre, et Kateb Yacine. Un jour, il a été violemment interpelé par Issiakhem qui lui a dit : «Chante dans ta langue». ça l’a tellement vexé qu’il avait écrit toute la nuit dans sa chambre les paroles de «Urettru». Le chanteur est né à Moretti, à partir de là tout s’est accéléré : Idir était venu le voir avec Ben Mohamed pour lui dire: «J’ai écrit une chanson, j’aimerais bien que tu la chantes». Il lui a répondu : «Pourquoi ce n’est pas toi qui la chantes ?», «Même si je voulais la chanter, je ne le pourrais pas parce que c’est écrit en tamazight dure». Si ce n’était pas quelqu’un de généreux, il aurait dit c’est un concurrent je vais lui bloquer la porte. Idir est devenu une star, Djamel l’était déjà. Par la suite, il a fait des musiques de film. Il a aussi joué dans des dizaines de films comme acteur. Il a réalisé lui-même un court métrage et il a fait aussi un long métrage avec Benallen. Il est hyper actif, il a constamment des projets. Ce livre parle de ses parents, de son frère et de son enfance à Béjaïa. Vous trouverez des anecdotes racontées par des personnes qui l’ont connu. Dans ses chansons, il y a le vécu et une relation ombilicale avec l’Algérie, «urettru» parle de la guerre de libération par laquelle il a été marqué. Dans le quartier Acherchour de Béjaïa qui était constamment bouclé par l’armée française, il a fait une chanson en hommage aux moudjahidines. Il a acquis l’oreille musicale dans un quartier de Chaabi pas loin du mausolée de Sidi Aissa où les femmes allaient chanter avec le bendir, il interprète une sublime chanson intitulée «Tiziri» avec cet instrument. Son répertoire est un curseur du développement de l’Algérie indépendante. Il a fait également durant les années du terrorisme une sublime complainte qui s’appelle «awid afus-im», une chanson d’une extrême beauté. Il a rendu un superbe hommage à El Hachemi Guerouabi avec la chanson «khuya l’Hachemi». Il était d’une générosité et d’une ouverture d’esprit extraordinaires. Il ne pouvait pas manger seul, à chaque fois, il invite quelqu’un, c’était un excellent cuisinier, j’ai mangé chez lui un poulet à la sauce mexicaine, c’était succulent.
Vous avez publié un livre sur le cinéma algérien ?
C’est un hommage que je rends aux acteurs et actrices. Je précise que c’est consacré uniquement aux acteurs de cinéma. C’est ma façon de marquer, de préserver la mémoire et de rendre hommage à ces gens qui font ce métier difficilement. En Algérie, on n’accepte pas que quelqu’un soit chanteur ou acteur, encore moins pour les femmes, comme notre grande Keltoum qui quitte sa famille et prend ses responsabilités pour devenir chanteuse, danseuse et comédienne. C’est une grande dame, elle a ouvert la voie à d’autres femmes. J’ai remarqué en faisant ce livre que quatre actrices qui ont eu les premiers rôles dans les films : Houria, une femme pour mon fils, Rachida … ont disparu de la circulation, elles ont certainement eu des problèmes avec leurs parents, ou ont dû quitter le pays ou n’ont plus fait de cinéma. Celles et ceux qui continuent à faire ce métier d’acteurs et d’actrices, méritent qu’on leur rende hommage. Ils ont eu leur temps de gloire mais souvent, ils sont dans la solitude et parfois, dans le besoin financier, pourtant quand ils sont à l’extérieur, ils sont dignes et font bonne figure pour garder leur prestige et encourager d’autres générations à s’engager dans le cinéma.
Quels sont vos projets ?
Mon prochain livre sera sur Brahim Izri, auteur compositeur. C’est une grande figure de la musique algérienne, une personne que j’ai connue et que j’ai beaucoup appréciée. Dans un mois et demi son livre sera publié et je serai content de faire une vente dédicace à Ath Yenni.
Entretien réalisé par S. I.