L’œuvre de Mohya en débat

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à l’occasion de la commémoration du 14e anniversaire de la disparition du poète-dramaturge Mohya, le cénacle culturel Iflisen U Mellil d’Aït Yahia Moussa a tenu une conférence autour du thème «Le projet d’écriture de Mohya, entre la société et la littérature».

La rencontre a été organisée avant-hier (vendredi) à la maison de jeunes des frères Cherchar du chef-lieu communal. En effet, c’est Amar Laoufi, enseignant de littérature amazighe au département de culture et langue amazighes (DCLA) de Bouira et doctorant en littérature amazighe à l’université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou qui a développé ce sujet devant une assistance nombreuse. D’emblée, le conférencier revient sur le parcours de cet homme exceptionnel depuis sa naissance en 1950 à Azazga, où il fit ses études avant de rejoindre le lycée Amirouche de Tizi-Ouzou, comme élève interne. Après le Bac en 1968, il obtint, en 1972, sa licence en mathématiques à l’université d’Alger. En 1973, il quitta son pays pour la France, précisément à Strasbourg, pour suivre des études en hydraulique. Abandonnant ces études, il rentra à Paris où il développa son don pour la littérature et la dramaturgie. C’est dans le cadre du bulletin d’études berbères (BEB) qu’il écrira ses premiers textes et ses poèmes. Amar Laoufi rappellera à l’assistance qu’il avait écrit son premier poème Ayen bghigh (ce que je veux), à l’université d’Alger, que chantera plus tard le groupe Imazighen Imula. A Paris, il s’intéressera surtout à l’adaptation d’œuvres universelles connues et aux enregistrements. Pourquoi l’adaptation ? «C’était parce que les œuvres qu’il choisissait rapporteront, dans sa logique, beaucoup à la société kabyle. Il voulait une langue kabyle authentique plutôt que d’aller vers des néologismes. Il réunissait dans son arrière-boutique des personnes de tous les horizons, pas forcément des lettrés pour participer à son œuvre et l’aider à sauvegarder la langue kabyle authentique, celle du peuple». Dans cette ville, il aura aussi l’occasion de côtoyer de nombreux berbéristes au milieu des années 70, jusqu’à la fin des années 80, surtout au sein de l’association culturelle berbère (ACB). Il optera aussi pour l’enregistrement sachant que ce moyen permettra une large écoute, contrairement à l’écrit destiné uniquement aux personnes lettrées. Il refusa que ses cassettes soient commercialisées. Il ne cherchait ni la gloire ni l’argent, dira le conférencier. Mohya était exceptionnel, même génial, il donnait beaucoup plus d’importance au texte adapté qu’au texte source. «Il n’imposait jamais sa vision car il était contre tous les autoritarismes. Ses versions adaptées des grands classiques de la littérature, notamment des pièces théâtrales très connues, semblent originales et non des adaptations. Elles portent l’empreinte de Mohya», remarquera-t-il. Le seul recueil qu’il produira à l’écrit est la célèbre compilation «Mazal el kheir ar zdath». D’ailleurs, nombreux sont les artistes qui ont chanté les poèmes de ce recueil. Mohya avait aussi un regard très critique sur sa société et il ne ménageait ni les uns ni les autres», soulignera-t-il. De fil en aiguille, l’orateur donnera de nombreux exemples d’adaptations faites par Mohya jusqu’à la fin des années 90, où il viendra en Algérie pour monter une pièce au Théâtre Régional de Béjaïa (TRB) en 1991 avant de regagner l’hexagone. Il s’isolera durant les dernières années de sa vie pour certaines raisons. «Mohya s’était imposé une vision propre à lui. Il travaillait pour l’unification de la langue notamment kabyle en assurant toute la place qui revient aux variantes linguistiques de chaque région. Il était contre l’aventurisme linguistique», précisera le conférencier. L’orateur plaidera pour une fondation Mohya afin de protéger son œuvre et sa mémoire,car son œuvre est fragmentée depuis sa disparition tragique survenue au moment où Tamazight a besoin de son trésor et de son don. Pour lui, le multipartisme était un cadeau empoisonné parce qu’il sapait la langue amazighe avec des divisions au sein des militants berbères. «C’est le premier à avoir jeté les bases du théâtre et de la littérature contemporaine kabyle. C’était aussi quelqu’un qui refusait d’être sous les feux de la rampe. Il voulait l’anonymat. D’ailleurs, il n’avait accordé que trois entretiens durant toute sa vie», conclura Amar Laoufi. Un débat très serein a été ouvert au sujet de l’œuvre monumentale de ce grand dramaturge, militant de la cause amazighe et poète. De nombreuses études sont attendues autour de son immense travail. Mohya est décédé des suites d’une longue maladie, le 7 décembre 2004, à l’âge de cinquante-six ans, dans une clinique en région parisienne, avant d’être rapatrié dans son pays où il sera inhumé dans son village Ath Rbah dans la commune d’Iboudrarène.

Amar Ouramdane.

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