«L’affaire Al Jazeera est derrière nous»

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Tewfik Khelladi dirige, depuis 18 mois, l’Établissement public de télévision (EPTV) et donc les cinq chaînes nationales. Dans cet entretien, accordé à nos confrères de TSA (Tout Sur l’Algérie) il revient sur la qualité des programmes, les conditions de production et évoque la censure.

Les Algériens ne sont pas contents de la qualité des programmes de la télévision publique…

Effectivement, je suis moi-même, parfois, mécontent. Mais c’est très facile de parler de la télévision quand on est à l’extérieur. Les conditions de travail ne nous permettent pas d’offrir la qualité de service que nous souhaiterions offrir aux Algériens. Je crois que c’est un vrai miracle que nous puissions produire pour les cinq chaînes avec très peu de studios. En tout, nous avons quatre studios dans lesquels on tourne plus de 64 émissions ! C’est très peu. En plus, nous sommes dans un pays où il n’y a pas encore d’école de formation de personnel spécialisé dans le son et l’image.  Cette situation empêche l’EPTV de remplir convenablement sa mission de service public et de répondre aux besoins et attente des populations. Je répète que c’est un problème de moyens et non d’ambitions. Nous avons monté des projets et nous avons la confiance des autorités qui se sont engagées à améliorer ces conditions. Et je pense que les choses vont aller de mieux en mieux.

Pourtant, la presse évoque souvent les budgets faramineux attribués par l’État à la télévision publique…

Ces budgets sont évoqués par des experts de bistrots ou de café. Mais en réalité le budget est nettement insuffisant pour produire les programmes de qualité pour les cinq chaînes. Lorsqu’on fait deux heures de musique en direct sur une chaîne publique par exemple, on a besoin d’avoir un beau plateau et de beaux décors. Nous n’avons pas de studio de plus 600 m2, donc il faut bien louer pour une longue période. Il faut faire venir des musiciens des différentes régions du pays pour qu’ils puissent répéter ensemble pendant sept ou huit jours et les prendre en charge. Les chanteurs, c’est la même chose. Le budget d’une émission de musique présentée à la fin de l’année dernière se situait aux alentours de 35 millions de dinars.

Quel était le budget de l’ENTV en 2012 ?

Tout est dans la loi de finances 2012. La télévision publique a trois types de financements : l’État, la publicité et la redevance qui demeure ridiculement basse. Elle est de 50 DA tous les trois mois (pour un niveau de consommation moyen d’électricité) par foyer pour regarder la télévision et écouter la radio. Nous avons soumis des propositions pour l’augmenter et nous avons bon espoir.

Il y a très peu de débats politiques à la télévision nationale. Pourquoi ?

Il n’y a pas très peu de débats politiques. Nous avons trois émissions de débats politiques. Je suis contre ces débats où on retrouve de la violence verbale dans le discours. Et si vous voulez voir à la télévision des émissions où on va taper sur le président Bouteflika, comme c’est devenu une grande mode, et bien il n’y en aura pas ! Toutefois, nous reconnaissons que dans la production du magazine d’informations, nous ne sommes pas encore bons. Ce sont des questions de moyens, de formation, de présence sur le terrain. Nous sommes obligés de rendre compte du territoire complet.

L’une des critiques qui revient souvent au sujet de l’ENTV est la censure…

Qu’est-ce que vous appelez la censure ? Il n’y a pas de censure. Maintenant il y a des problèmes de réflexion sur les émissions, nous y travaillons et nous promettons du nouveau pour très bientôt.

Par exemple, le patron du FLN, peut-il évoquer à la télévision les derniers changements au sein du DRS ?

Non ! Il y a des sujets sur lesquels je n’estime pas qu’il soit du rôle de la télévision de rajouter de l’huile sur le feu.

C’est de la censure…

Non, je pense que c’est une forme de responsabilité à l’égard de son pays. Nous ne sommes pas dans une situation où on peut se permettre de petites coquetteries de cette nature. J’ai encore peur pour mon pays. Je n’ai pas envie qu’on retombe dans ce que nous avons vécu ou qu’on sombre dans ce que beaucoup de pays arabes sont, malheureusement, en train de vivre pour de petites coquetteries.

La presse a évoqué une liste de personnalités interdites d’antenne…

Je n’ai reçu aucune liste.

La télévision nationale n’a jamais interviewé le président Abdelaziz Bouteflika…

Nous n’avons pas demandé. Cela ne nous a pas traversé l’esprit

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Est-ce que vous commencez à ressentir la concurrence des chaines privées algériennes ?

C’est très difficile à dire. Nous sommes dans un pays où il n’y a pas de mesure d’audience. Des études ont été faites pendant le mois de ramadan. Elles ont, toutes, placé la télévision publique en première place, particulièrement la A3. Mais je ne crois pas qu’elles soient suffisamment précises du point de vue scientifique. En fait, on ne ressent peut-être pas la concurrence au sens scientifique du terme. Mais on la ressent dans le sens où il est devenu compliqué de trouver un technicien, des scénarios par exemple. Je pense qu’avec la loi sur l’audiovisuel, il faudrait que ces chaînes répondent à un cahier des charges précis, comme cela se fait dans tous les pays. Et là on aura une meilleure visibilité. Il faut se féliciter de ce foisonnement mais après il faut que la régulation joue aussi son rôle.

Des journalistes et des techniciens quittent les médias publics pour rejoindre ces chaînes privées…

La télévision ne deviendra pas stérile. Elle continuera à former des techniciens, des ingénieurs et des journalistes de qualité. La seule appréhension que j’ai c’est que la télévision publique n’arrive pas à opérer cette transformation stratégique. C’est une nécessité absolue.

Est-ce que de nouvelles chaînes seront lancées par la télévision publique ?

Pour l’instant, non. Consolidons et structurons ce que nous avons. Améliorons la qualité des contenus, des programmes et pensons, ensuite, à autre chose.

Avez-vous des projets avec le lancement de la 3G ?

L’arrivée de la 3G nous permettra de remonter l’image rapidement de l’intérieur du pays. Nous sommes en train de nous préparer techniquement pour ça. Pour les plateformes mobiles, nous avons commencé les discussions avec les opérateurs de téléphonie mobile afin placer le service public dans les contenus.

Allez-vous retransmettre le Mondial 2014 en cas de qualification des Verts ?

Sans aucun doute ! Nous acquerrons les droits en faisant ce que nous avons à faire en tant que diffuseur public.

Nous allons entamer les démarches nécessaires pour acquérir les droits de diffusion de la Coupe du monde. Même si notre équipe n’est pas qualifiée, ce que je ne souhaite pas évidemment, les Algériens verront la Coupe du monde sur leur télévision nationale. Que nous soyons qualifiés ou pas.

Avez-vous commencé à négocier ?

Non pas encore. Nous attendons d’abord le match retour. Les bases des discussions seront différentes si nous sommes qualifiés.

Al Jazeera a accusé la télévision algérienne d’avoir piraté le match Burkina Faso…

La télévision a fait son travail de façon professionnelle. Elle (Al Jazzera) nous a demandé 1,5 million de dollars et l’ouverture d’un bureau à Alger. Ce qui est énorme ! Mais cette affaire est derrière nous. La télévision nationale a toujours pu acquérir les droits de diffusion des grandes compétitions internationales à l’exception d’une seule fois. C’était en 2006.

Est-ce que cela peut se reproduire cette année ?

Je ne crois pas.

 Que feriez-vous au cas où Al Jazzera poserait les mêmes conditions ?

N’anticipons pas ! Je pense que nous réussirons à avoir des relations commerciales, éthiques, morales avec les détenteurs des droits de la Coupe du monde.

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