Accueil Entretien Lounis Aït Menguellet comme dans un confessional

Exclusif - Le sage ouvre son cœur : Lounis Aït Menguellet comme dans un confessional

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A la veille de l’entame de sa série de concerts à Tizi-Ouzou (les 1er, 2 et 3 juin à la Maison de la culture Mouloud Mammeri), Lounis Aït Menguellet a reçu notre journaliste, hier matin, chez lui, sur les hauteurs de Kabylie, à Ighil Bouamas. Il se livre sans retenue, comme il l’a rarement fait par le passé. Il remonte son parcours et sa vie. C’est exclusif !

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La Dépêche de Kabylie : Si on remontait un peu dans vos souvenirs et évoquait vos débuts dans la chanson…

Lounis Aït Menguellet : Ah, le début (soupire) ! L’amour de la chanson m’est venu de ma famille. C’était une famille ouverte, j’étais entouré de femmes. Ma mère, ma grand-mère, au fait j’ai eu quatre grands-mères. Mon grand père s’est marié trois fois. On a tous vécu dans la même maison. Toutes ces bonnes femmes ont su me transmettre l’amour de la chanson. Elles étaient ouvertes et intelligentes, je les entendais chanter, c’était extraordinaire, elles aimaient réciter la poésie, elles en faisaient aussi d’ailleurs. C’est cette atmosphère qui m’a prédisposé. Après la fin de la guerre, je suis parti à Alger avec ma famille. Tout a commencé là-bas, en découvrant la radio, la télévision, où je commençais à découvrir les chanteurs du moment, comme Sliman Azem, Chikh Arab Bouyezgaren, Allaoua Zarouki, Taleb Rabah… Ce dernier m’a marqué. Je n’ai jamais pensé que j’allais devenir chanteur, c’était par hasard. Ma première chanson, je l’ai écrite en 1966, c’était «Mathroud Oula Dhnek Akthar». L’émission de Cherif Kheddam était le déclic «Ighenayen Ouzekka». Mon frère, à l’époque, a ramené une guitare à la maison, de temps en temps j’y jouais, j’essayais de tirer des sons, ce n’était pas évident, y’avait personne pour m’apprendre. Mon cousin, un jour, m’a entendu chanter une chanson de Taleb Rabah et m’a demandé d’aller à l’émission, comme j’étais timide et désintéressé j’ai refusé. Mais il a insisté et c’est lui qui m’y a conduit. Moi au début, c’était plus par curiosité de voir comment est la Radio et de rencontrer Cherif Kheddam, c’était en 1967.

La rencontre avec Cherif Kheddam, comment l’avez-vous vécue ?

J’ai été très impressionné par sa gentillesse et sa simplicité. J’ai découvert son professionnalisme, il m’a mis très à l’aise. Il avait Achrof Idir et Mehenni comme assistants, ils étaient tout aussi gentils.

C’est de là que démarrent les 50 ans de carrière…

J’ai chanté «Aqliyi Am Tir Lqefs» de Taleb Rabah, il fut tout de suite conquis et il m’a demandé de revenir. C’est là que j’ai chanté ma toute première chanson. J’ai pu enfin l’enregistrer et décoller.

Aujourd’hui, avec le recul, comment évaluez-vous ce parcours ?

Avec le recul (long silence), c’est un peu compliqué. Ma vie ne diffère pas de la vie des gens de mon âge à l’époque. Ceci dit, je n’ai aucun regret ! Au contraire, je suis content, j’ai fait ce que j’aimais faire. J’ai été à l’école, j’ai fait un métier, celui de l’enseignement technique, je suis ébéniste de formation. J’aurais pu pratiquer ce métier et rester inconnu, j’aurais peut être fabriqué des guitares, mais pour les autres. Je serais vraiment ingrat si je regrettais ce que j’ai vécu.

Arriver au sommet de la pyramide c’est peut être facile, y rester c’est sans doute difficile, c’est quoi le secret de votre longévité ?

La vie est pleine de surprises ! Ceux qui brillent puis tombent dans les oubliettes, ce sont souvent ceux qui veulent absolument arriver, réussir. Ce n’était pas mon cas. Je voulais juste faire mes chansons et du mieux que je pouvais. Je voulais exprimer ce que la vie m’inspirait.

En parlant d’inspiration, d’où puise Aït Menguellet son inspiration ? Quelle est votre muse ?

En 50 ans de carrière, je vous assure que je n’ai jamais cherché l’inspiration, elle venait d’elle même. D’ailleurs, je n’ai jamais su s’il allait y avoir un nouvel album. J’attendais, et il se trouve que ça venait. Il suffit d’écouter les chansons pour comprendre.

Quand vous chantez l’amour alors, doit-on comprendre qu’une femme vous a inspiré ?

Pas forcément ! Les gens pensent que j’ai vécu une histoire d’amour.

Et ce n’était pas le cas ?

Non, c’est faux ! Je crois être un très bon observateur. La vie des autres m’inspire, il y a aussi une part d’imagination. Un poète ne peut vraiment en être un sans imagination !

Aït Menguellet n’a pas connu l’amour alors ?

Si ! Mais il y a des choses et des pans de ma vie que je ne voudrais jamais partager, ils m’appartiennent.

Passons alors au combat identitaire. C’était aussi un engagement pour vous. Comment avez-vous vécu l’époque du déni identitaire ?

A ce moment-là chanter en kabyle relevait du militantisme. C’était opprimé. Si je parlais de ma propre expérience, je dirais que j’ai vécu la période de la jeunesse, caractérisée un peu par l’insouciance. Un jeune ne pense pas tellement aux problèmes profonds de la vie ! Cette insouciance m’a permis de franchir des obstacles. Je me suis focalisé sur le sentimental, car ça correspondait à mon âge et à mes préoccupations du moment, à ce que je ressentais à ce moment-là. Puis avec le temps, je ne pouvais ne pas remarquer la marginalisation du kabyle. On nous demandait dans la rue de parler en arabe «sinon on va nous entendre». J’ai constaté cette anomalie et je me suis posé la question : pourquoi n’ai-je pas le droit de parler ma langue ? Il n’y avait pas d’interdiction claire, mais on le vivait. Ensuite, ça a nourri la conscience de tout un chacun et on a milité chacun comme il pouvait ! Pour ma part, c’était avec la chanson. A ce moment-là la priorité était la sauvegarde de la langue. Tant qu’on produisait, qu’on chantait et qu’on écrivait, la langue ne risquait pas de disparaître. C’était une forme de résistance.

C’est de là que vous avez donc commencé à chanter des chansons engagées ?

Moi, j’ai commencé dans la chanson. Après, chanter engagé, c’était un concours de circonstances. J’ai toujours dit que je n’aimais pas faire de la politique. Pas la politique partisane en tout cas. Je n’appartiens à aucun parti, mais je suis conscient que je fais de la politique au quotidien ! Cette politique là c’est la vie.

Ce sont aussi des positions qui influencent vos milliers de fans…

Influencer, je ne sais pas, mais ça contribue à frapper les consciences, c’est sûr, comme je suis un personnage public. Mais je ne le fais pas sciemment. Je ne le fais pas d’une manière ciblée. Ma seule position tranchée c’est qu’on ne m’empêchera jamais d’être ce que je suis, parler ma langue et aimer mon histoire, la vraie ! Je ne considère pas cela comme étant politique, c’est un droit inaliénable, celui qui veut l’aliéner je le combattrai de toute mes forces. Personne n’a le droit de m’imposer sa langue, j’ai du respect pour toutes les langues, je suis pour le multiculturalisme, la diversité et les échanges entre les peuples, mais qu’on ne me renie pas.

Aujourd’hui, pensez-vous que les choses ont changé ? Tamazight langue officielle, on a même vu des hommages et une reconnaissance à l’éternel Mammeri…

Ce n’est que justice. C’est un Algérien, c’est sa patrie ! S’il n’est pas reconnu, c’est que la colonisation n’est pas finie ! Le contraire aurait paru normal au temps de la colonisation.

Oui mais cette reconnaissance est toute récente…

Oui et c’est pour ça qu’il y a eu un combat et une lutte. C’est la continuité d’un combat pacifique et légitime, c’est la consécration si vous voulez.

En parlant du combat, aujourd’hui, le MAK se dit la seule voix légitime des Kabyles, qu’en pensez-vous ?

Là j’userai de cette citation : «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire». Il est vrai que je n’adhère pas à ces idées. Je ne fais pas de politique, comme il n’y a pas de parti idéal. Il faut prendre ce qui est bon de chacun, faire une sélection. Mais je suis pour les libertés et que chacun assume et prenne ses responsabilités, je ne me suis érigé ennemi de qui que ce soit. Je dénonce les injustices quand elles se montrent, mais je ne peux interdire à quelqu’un de s’exprimer, ça serait renier mon propre combat.

La chanson kabyle a changé d’orientation, ne pensez-vous pas que c’est révélateur d’une mutation culturelle de la société ?

C’est une mutation oui, mais elle est aussi normale. La société évolue, en bien ou en mal. Il y a du bon et du mauvais comme avant. Mais le nouveau nous fait peur, ça nous paraît bizarre. Cela ne m’inquiète pas pour autant. Pourvu que nous continuions à nous exprimer dans notre langue.

Justement, aujourd’hui, ce n’est pas complètement le cas, cela ne serait-il pas un danger pour la survie de cette langue à long terme ?

Je ne le crois pas, pour une raison très simple : c’est un phénomène qui se passe dans le monde entier et ce n’est pas pour cela qu’il y a danger. Ce qu’il y a à faire, c’est donner les moyens à Tamazight de s’épanouir, créer des institutions pour l’étude de Tamazight. C’est le travail des intellectuels et de l’élite.

Que pensez-vous de la nouvelle génération de chanteurs ?

Ils font leur chemin. J’espère qu’ils continueront à s’exprimer. Il faut juste gérer. Je veux dire par là régler le problème des éditeurs, pour permettre aux jeunes d’éditer.

Votre nouvel album, sorti en avril dernier, suggère des messages lancés à travers certaines chansons. Vous confirmez cette impression ?

Il n’y a pas forcément de messages, chacun interprète à sa façon, moi je m’exprime. La chanson Tudert-ni, ce sont des passages de ma vie, ça me représente et me concerne à 100%.

Pourquoi refusez-vous d’écrire votre autobiographie ?

Parce que je le fais à travers mes chansons, je chante ce que j’ai envie de révéler.

Loin de l’artiste que vous êtes, parlons un peu de l’homme. Qu’est-ce que vous aimez faire, vos habitudes au quotidien ?

Je fais du sport chaque jour, j’ai commencé à l’âge de 13 ans, j’ai fait du judo. Il y a eu une longue interruption, après mon retour en Kabylie, j’ai fait le service militaire et organisé ma vie. Puis j’ai repris, j’ai fait du Karaté cette fois-ci. J’ai une ceinture noire, première dan. Je lis aussi beaucoup.

Votre écrivain préféré ?

Yasmina Khadra.

Une chanson que vous écoutez souvent, que vous passez presque en boucle, sans vous en lasser, dans votre voiture ?

Je mets soit Djaffar, soit Tarik ! (rire) Je plaisante. Mais plus sérieusement, j’adore les écouter, mais ça ne m’empêche pas d’écouter les autres, avec l’âge, la nostalgie grandit, on revient aux anciens, c’est peut-être l’approche de la mort (rire).

Un moment fort dans votre vie d’artiste ?

Le moment fort de ma vie d’artiste, ce sont mes 50 ans de carrière. Chaque gala, que ce soit dans un petit coin perdu ou dans une grande salle, est un moment fort.

Et un moment fort dans votre vie privée ?

Il y a eu la naissance de mes enfants, de mes petits-enfants. La libération de mon fils, c’était un grand moment.

Comment avez-vous vécu cette période d’emprisonnement de votre fils justement ?

(Silence) Je l’ai vécue comme je devais la vivre, dignement, c’est tout.

Quel commentaire faites-vous si je vous dis : l’Algérie ?

Mon pays, ma patrie. C’est la diversité, on est d’une richesse humaine et culturelle extraordinaire.

La Kabylie ?

Mon identité. Une partie de l’Algérie indivisible.

Houari Boumedienne

De son temps, il y avait une chape de plomb sur nous. Mais tout n’est pas noir ou blanc. Et entre les deux, il y a toutes les nuances possibles.

Hocine Aït Ahmed ?

Un grand homme

Idir ?

C’est un ami

Vous avez une tournée cet été ?

Oui, le 1er (Ndlr aujourd’hui), le 2 et le 3 juin à la maison de la culture de Tizi-Ouzou. Les 6 et 7 à l’Atlas, le 12 à Constantine, le 18 à Oran et le 24 à Marseille. J’espère qu’il y aura d’autres dates, à Béjaïa par exemple, j’aimerais tellement la faire, mais ce n’est pas de ma faute, on ne m’y a jamais invité.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum.

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