Une légende tourmentée

Partager

Reportage de Djaffar Chilab

Le mal lui contraste la face mais il fait mine de ne pas lui prêter attention. Il endure une terrible souffrance dès qu’il se remet à parler du passé. Mais il la subit en silence. Son accident, et la disparition tragique de son fils lui ont tout gâché. Lorsqu’il y replonge, il tente de résister à la douleur, à la délicate épreuve mais, il finit souvent par craquer.Le silence l’envahit alors presque instantanément, et lui ôte la voix. Son regard se perd dans le néant. Les yeux se chargent, et cédent alors en larmes. Il se laisse aller puis se reprend d’un coup. Comme s’il se disait : « M… Arrêtes, ce n’est pas le moment… » Il s’exerce alors à corriger sa mine défaite comme s’il prenait soudain l’enregistreur qu’on lui tendait pour un objectif. Il tire un bon coup d’air, écarquille des yeux, resserre ses joues, et s’élance enfin pour raconter son autre vie, sa légende du temps de sa gloire alors que la Kabylie le gratifiait du titre d’Ameqyas l’qvayel. Le voyage dans le temps se fera dans une voiture immobilisée à l’intérieur du stade municipal de Drâa Ben Khedda. L’artiste accompagnait la SS Sidi Aïch qui, jouait, ce jour-là, son match en déplacement. A 58 ans, il en est devenu le coach. Rachid Dali est né le 30 décembre 1947 à l’ex-rue Saint-Michel du quartier Bab Louz à Béjaïa-ville. Il fera ses premières classes à l’école Abdelkader de la ville. « C’était le seul établissement indigène. Il n’y avait pas de Français avec nous. » Il ira jusqu’en 3e année au CNET (collège technique) « C’était en 65 ou 66, j’avais à l’époque 18 ans. J’ai échoué à mon C.A.P, alors j’ai arrêté là. » A cette époque, Rachid faisait déjà partie des juniors de la JSMB. Il avait joué toute la manche aller en tant que… gardien de but, avant d’être promu dans l’équipe première en élément de champs.

Escapade avec…deux Américaines « C’était grâce à un certain Mostpha Labakci qui était à ce moment-là, l’entraîneur des juniors et de l’équipe senior. Il me voyait faire parfois à l’entraînement, alors il a décidé de me tenter devant, dans un match officiel. Voilà, et tout est parti de là. » Dali jouera pour le club de sa ville de 64 jusqu’à I972, l’année du grand départ pour la JSK. Dès son arrivée, il se fera en parallèle embaucher à l’Ecotal, une entreprise de tissus où il exercera dans l’administration, au service des achats. « A l’époque, je touchais, si je me rappelle bien, 150 000, on ne comptait pas encore avec les dinars. Mais, ce que j’ai retenu le plus de cette période, c’était mon départ de Béjaia. Mon père ne voulait pas que je quitte la région. Jusqu’à ces incidents mortels survenus après un match entre la JSMB et El Eulma. Mais cela s’est passé en dehors de la ville, entre les supporters des deux équipes. Un jeune d’El Eulma a trouvé la mort, et un autre s’est retrouvé paralysé. » C’est l’ex-président Abtouche qui est allé par la suite voir Dali à Béjaia pour lui proposer de venir à la JSK. « Après ce qui s’est passé, je n’ai même pas hésité pour dire oui tout de suite… » Et la réaction du paternel ? « Tant pis mais il fallait que je parte ! » Rachid s’installera alors à Alger, « tout près du tunnel des Facultés. J’aimais être près de la mer, et les dirigeants n’étaient pas contre. » De ses compagnons de l’époque, il se souvient bien des Koufi, Tahir, le défunt Amrous, Annane mais son vrai complice c’était Mourad Derridj. « On s’éclatait comme pas possible ensemble. Il m’invitait souvent pour rôder à Boumerdes où il était en stage avec Aouis. Une chose est sûre, je n’allais pas là-bas pour étudier… » (Rires) Des copines qui les faisaient courir ? « On n’était pas différents des autres. A Boumerdes, il y’a aussi la mer, donc je m’y retrouvais bien. C’est un bon coin pour pêcher aussi… » (Encore un éclat de rire.) Des anecdotes de cette période, Rachid en a plein dans la tête. Il tire au pif une, et raconte: « Mais, ne me demandez pas la date. Je me souviens à l’époque on jouait les dimanches. Ce jour-là on était un vendredi, et j’étais à Alger. Le dimanche qui venait, on avait un match à Tizi contre Kouba. J’avais rencontré Djebar Khalef, le frère du président qui descendait de sa voiture à la rue Michelet. Il m’embarque alors vers Moretti. Là-bas, tous les serveurs étaient des Kabyles, et ils connaissaient tous le président. Il était le directeur du tourisme.On s’est attablés avec Djebar. Je voulais bien prendre une bière mais j’ai opté pour une limonade. Sinon, le président l’aurait su de toutes les manières…Djebar m’apprendra par la suite qu’on attendait deux… Américaines. Je ne pouvais pas être contre quand même…Il avait une voiture immatriculée au Maroc, on allait alors se faire passer pour deux frères qui vivent au Maroc. Il m’a fait la proposition, et j’ai dit : ok ! mon frère. On a vraiment tout partagé, comme de vrais frères. On a été en boite, et tout…C’était la totale, quoi! Les soucis c’était pour le lendemain au réveil. J’ai eu quand même un petit remord. Mais j’étais vraiment à plat, et je suis rentré à Tizi-ouzou avec un genou bandé pour ne pas jouer. »

« Je souffre encore de mon accident et de la mort de mon fils. »« J’ai prétendu à Popescu (l’entraîneur de l’époque) une chute dans un escalier. » Ce dernier le retiendra malgré tout pour le match du lendemain. La JSK sans Dali, était une chose qu’on ne pouvait imaginer dans son temps. Mais cette fois, il se retrouvera sur le banc, avec les remplaçants. Dans les gradins, on n’en revenait pas : Dali remplaçant ? La JSK sera menée au score dès le début. Rachid sera de suite à la fois envahi, et galvanisé par le remord. « J’ai alors demandé à l’entraîneur de me faire entrer. J’insistais même en lui disant que c’est de ce côté que je savais le mieux marquer. Mais il me fera poireauter jusqu’à la mi-temps. Par la suite, on a égalisé, et j’ai marqué le but de la victoire à la dernière minute. J’ai accompagné le ballon de la tête dans les filets. Tous les joueurs de Kouba m’avaient pris en sandwich dans les buts. On m’a assommé de plusieurs coups. Même Harb qui était alors le gardien de Kouba m’avait servi mais je m’en foutais pas mal. Le but, je l’avais planté… » Dali venait d’offrir une précieuse, et particulière victoire à son équipe. Il partagera avec elle plusieurs autres encore, et quatre titres. Durant ce temps, il sera aussi le buteur de l’Equipe nationale de 1969 jusqu’en 1975, et occupait un poste fictif au service informatique de l’entreprise des travaux touristiques. Il a marqué des buts, et des buts. Même au mythique Attouga. « J’ai arrêté de jouer en 1977, à 30 ans, avec l’avènement de la réforme. C’était deux ans après mon mariage. »La grandiose fête a été célébrée à Béjaia par Lounis Aït Menguelet, un ami particulier pour lui. En 1985, Dali décide de quitter définitivement Alger, et l’ETT pour rentrer chez lui, et reprendre avec le football en tant qu’entraîneur- joueur à Sidi-Aich. « Je suis resté une année. Au bout, on a eu l’accession. Mais je ne pouvais pas rester plus. Par la suite j’ai rejoint la JSMB pendant deux ans. C’était une année avant l’arrivée de Benzekri, et une autre en sa compagnie. » En somme, une carrière déjà assez pleine qui pouvait faire de Dali un homme comblé n’eut été ces malheurs qui lui sont tombés dessus au moment où il savourait une belle mutation dans sa vie qui l’a conduit outre-mer en 1989, à Paris plus exactement où il est allé s’installer en famille. Le premier choc, il le subira dans sa chair au mois de novembre 1990. Il venait tout juste de boucler ses quatre premiers mois en tant qu’associé dans un établissement de restauration dans une banlieue parisienne.

« Je ne pouvais faire aucun reproche à Matoub… »« J’ai fait un grave accident près de la Porte d’Aubervilliers. Je m’en suis sorti miraculeusement. J’ai trop souffert, j’ai eu le pied fracassé, je ne pouvais même pas mettre des chaussures. Je ne me suis pas rendu compte, je dormais sur le volant. Il était minuit, et j’avais peut-être descendu plus qu’il n’en fallait en petites bouteilles. J’avais tort, j’étais bien allumé à ne rien voir. Il faut dire ce qu’il en est… » Dali passera alors un mois dans un hôpital parisien avant d’être transféré vers un autre établissement pour subir deux autres mois de rééducation fonctionnelle au quotidien. Il aura enduré en tout un séjour de plus d’un trimestre en hôpital marqué de pas moins de cinq interventions chirurgicales, et un handicape qu’il traîne à ce jour.Au sortir, il perd aussi son restaurant qu’il sera contraint de céder à peine une année après l’avoir acquis. Entre temps, il fera la navette entre Paris et Béjaia. En 1993, Matoub Lounes, avec lequel il était très lié, et d’autres amis, des jeunes de Béjaia, lui feront tout pour tenir son jubilé. « La wilaya aussi était partante alors j’ai dit banco, allons-y. Je citerais aussi un ami, Tikheroubine, un ex-joueur du MOB qui m’a beaucoup aidé aussi. Disons que Matoub a provoqué l’idée, et tout le monde a suivi. Et ce fut une réussite à 100%. » Le tout Béjaïa se remémore en effet l’évènement.L’hôtel Les Hammadites était réservé pour la circonstance. « Tous mes amis étaient venus jouer pour moi. C’était grandiose, et émouvant de les voir tous présents. Dommage que je n’ai pas pu participer sur le terrain. Mon défunt fils avait joué à ma place. Et il a même marqué un but à Ouchène. Il y avait beaucoup d’artistes sportifs sur le terrain, comme sur la scène lors de la soirée du gala. » Dali avoue toutefois avoir été particulièrement touché par la présence du défunt Hadefi, « Mon complice en Equipe nationale, Amrous, Aït Tigrine et Khiari que Dieu ait leur âme. Je leur rends hommage. J’ai une pensée pour tous les présents mais pour ceux qui ont disparu depuis, c’est très particulier. » Particulière aura été aussi la soirée artistique qui a vu Matoub quitter bruyamment la scène à la vue des caméras de l’ENTV. La fête tourne alors court. Mais 15 ans après, Rachid préfère ne pas revenir sur cet épisode. « J’ai beaucoup de respect pour Lounès, sa mémoire, et pour les gens de l’ENTV, qui ont couvert le jubilé sans ébruiter la chose. A Lounès, je ne pouvais faire aucun reproche. Il était plus qu’un frère. » Point. Il n’en dira pas plus. Sauf quelques mots encore à la mémoire de Nassim, son défunt fils qui périra dans un accident de voiture, trois ans après, sur la route de Marseille. Il avait tout juste 20 ans. « Il rentrait en vacances mais le destin nous l’a arraché lorsqu’il traversait Valence, à 200 km de Marseille d’où il devait embarquer sur Alger… Depuis tout est noir pour moi, même si j’essaye de voir les choses autrement. » Dali se noie à nouveau dans le chagrin. C’est l’autre choc dont il ne s’est toujours pas remis. Aujourd’hui, il se console d’une petite pension en euros, et de son unique garçon qui lui reste, Kamel âgé de 22 ans. « Il est avec sa maman en France, toujours à Aubervilliers. Il travaille là-bas. Et moi ici avec la SS Sidi Aich. L’été, et pour l’Aïd, on se réunit à Béjaia. Mais sinon dès que ça me manque, je prends un billet et je les rejoints à Paris. D’ailleurs je dois m’y rendre pour ôter les broches que j’ai toujours au pied. »

D. C.

Partager