Comment assurer la relève ?

Partager

Par Amar Naït Messaoud

Le 33e anniversaire du Printemps amazigh coïncide cette année avec le projet de révision constitutionnelle promise depuis avril 2011. Pour certains animateurs de la mouvance culturelle amazighe, c’est là une occasion de revendiquer l’officialisation de la langue berbère dans ce texte fondamental  du pays. Les conséquences pratiques, sur le terrain, d’une probable officialisation n’ont pas encore fait l’objet d’une étude sérieuse ou d’une évaluation anticipée. En tout cas, le sujet prête à débat. Le moment où était annoncée la révision constitutionnelle était caractérisé par un bouillonnement précipitamment dénommé «Printemps arabe’’. Contrairement à ce dernier, le Printemps berbère d’avril 1980 était animé par une volonté populaire d’inscrire notre pays dans l’orbite de la modernité politique et de la démocratie sur la base d’une philosophie de la reconquête identitaire et culturelle. C’était textuellement dit au moment même des grandes manifestations de rue: la réhabilitation de la culture amazighe et la prise en charge de la problématique question ne peuvent se réaliser que dans un cadre démocratique. C’est pourquoi, cinq ans plus tard, lorsque le pouvoir politique a développé son arsenal répressif contre les animateurs du mouvement berbère, ces derniers se sont investis politiquement dans la question des Droits de l’homme (en fondant une ligue qui avait entrepris de s’exprimer publiquement malgré les interdictions des pouvoirs publics), et dans la réappropriation du capital symbolique de la Révolution de novembre 54 (en créant l’association des fils de chouhadas). On connaît le résultat: répression généralisée et emprisonnement des leaders associatifs et politiques pendant l’été 1985. L’autisme et l’arrogance du pouvoir politique d’alors, greffés à un contexte de baisse de recettes pétrolières, aboutirent à l’inévitable tragédie d’octobre 1988. Le Printemps d’avril 1980 a été l’accumulation historique de luttes et de productions (recherche et création littéraire) qui remontent à l’après deuxième guerre mondiale. Le rôle de l’émigration a été déterminant aussi bien pour la prise de conscience nationaliste que pour la revendication identitaire et culturelle. La génération de Saïd Saâdi, Hachemi Naït Djoudi, Mustapha Bacha, Ali Brahimi,…a travaillé sur un terreau fertile, celui du souvenir de la fracture du mouvement national appelée «Crise berbériste’’, qui avait vu émerger Bennaï Oualin Amar Ould Hamouda, Ali Yahia Rachid, Khelifati Mohand Amokrane, Mebarek Aït Menguellet,..etc.  Ce fut une épopée dans laquelle se sont investies et pour laquelle se sont sacrifiées des générations entières d’hommes et de femmes, militants politiques et producteurs culturels, étudiants et ouvriers, universitaires et simples citoyens. La formation de la conscience revendicative berbère était due à plusieurs facteurs, notamment le déni culturel et identitaire qui a frappé les signes les plus anodins de l’amazighité. Au lendemain de l’Indépendance, le choix de l’arabisme nassérien comme idéologie et comme culture, puis la répression que la Kabylie a eu à subir en 1963, à l’occasion du soulèvement du FFS contre la dictature du pouvoir absolu, avaient poussé les populations kabyles dans leurs derniers retranchements. Au milieu des années 1970, on s’attaqua même à des symboles sportifs en dégommant le mot ‘’Kabylie’’ de la JSK pour lui substituer un obscur ‘’kawkabi». C’est dans une clandestinité dangereuse, mais fièrement assumée, que des animateurs culturels et des producteurs de textes et de recherches, ont pu mener le combat pour la reconnaissance de l’identité et de la culture berbères sous toutes leurs facettes. Pièces de théâtre, revues ronéotypées, chansons parfois interdites d’antenne, conférences, cours de berbère et même…des herbiers, furent le produits par des hommes et des femmes investis dans le travail de bénévolat que l’on aura du mal à revivre un jour. Ce fut une période brillante et glorieuse d’une culture associative organisée, vécue et assumée dans la clandestinité…sans but lucratif. L’on imagine bien qu’un tel label, apposé aujourd’hui sur les statuts des associations culturelles et sociales, nous aurait paru aussi risible qu’indécent, tant la fougue, l’énergie  et la passion mises pour l’animation de la vie culturelle et sociale étaient à mille lieues des considérations mercantiles aujourd’hui en vigueur. Dans le paysage politique actuel, réputé formellement être celui du pluralisme politique, les valeurs du militantisme son apparemment moins déterminées et moins engagées  que pendant la période de la clandestinité. Aujourd’hui, la sincérité du militantisme et de la foi en les idéaux de la lutte sont appelés à subir les épreuves de la tentation opportuniste et de l’entrisme rentier. Sur ce plan, la «trahison des clercs’’, selon la légendaire phrase de Julien Benda, n’a pas été parcimonieuse. Sur un autre plan, la ressource humaine appelée à prendre la relève des luttes, de la réflexion et de la production, semble aujourd’hui malmenée par la baisse générale du niveau scolaire et universitaire, par les déchirements d’étroites chapelles politiques et par la tentation toujours accrue de se rapprocher de la source de la rente. De quoi sera fait demain?

A.N.M.

Partager