Les desseins énigmatiques d’un «rapprochement»

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Par Amar Naït Messaoud

Les voies de la politique, comme celles du seigneur, seraient, à ce point, impénétrables? Les alliances ‘’contre-nature’’ que l’on se plaisait à relever et à stigmatiser chez les adversaires politiques seraient-elles aujourd’hui ‘’homologuées’’, licites et politiquement porteuses? Ce sont là les quelques interrogations qui ne manquent pas d’assaillir légitimement certains observateurs, une grande partie de l’opinion et même des partisans des formations politiques en question, à savoir le RCD et les islamistes du MSP et Ennahda. Il n’est pas loin le temps où l’on décochait de virulentes flèches au FFS pour ses positions ‘’réconciliatrices’’, positions exprimées dans les moments les plus dramatiques et les plus complexes de la vie de la nation. Aujourd’hui, le parti le plus ‘’malmené’’ (par une frange de la fausse élite arabo-islamiste) pour ses positions sur la laïcité qu’il fait valoir depuis sa fondation en février 2009, se retrouve en concertation politique avec les ennemis jurés de cette option, mieux, de ce déterminisme historique. Certes le président du parti, Mohcin  Belabbas, a tenu à apporter la précision suivante à l’issue de la réunion que le parti avait tenue, le 3 juillet dernier, avec Abderrazak Makri, président du MSP: « Nous appartenons à deux partis avec des identités et des programmes politiques distincts », mais, c’est juste pour ajouter plus loin : « le dialogue et l’échange entre les acteurs de la classe politique permettront de libérer la scène politique des contraintes et obstructions actuelles pour parvenir à un accord minimal à même de garantir les conditions du compétition démocratique sur la base de projets et de programmes politiques ». Le parti de Abderrazak Makri a proposé à l’occasion de ce dialogue lancé avec le RCD, « l’idée d’une concertation autour d’une phase de transition pour laquelle il conviendrait d’assurer une direction issue d’un consensus politique ». Le mot le plus suspect, le moins rassurant auprès de l’opinion au cours de ces derniers mois, est bien celui de «consensus’’ qui a, jusqu’à présent, signifié chez nous ‘’calculs, combine, coup forcé», dans une atmosphère d’opacité. Ce n’est certainement pas parce que le RCD a répercuté le résumé des réunions qu’il a tenues avec les partis islamistes (MSP et Ennahdha de Fateh Rebii) sur son site web, qu’il fait nécessairement dans la transparence. La preuve, le même Makri, en tenant à justifier ses nouvelles «accointances’’ auprès de ses partisans, s’est permis des ‘’révélations’’ dans la presse arabophone. Il dira, par exemple, que la nouvelle direction du RCD a reconnu son ‘’erreur’’ d’avoir servi d’alibi démocratique au pouvoir en s’opposant eux islamistes radicaux. Le communiqué du RCD, sanctionnant la réunion avec le MSP, a conclu que les ‘’deux parties conviennent de donner une suite à ces entretiens et souhaitent les élargir à toute formation s’engageant dans la voie pacifique et respectant les valeurs et principes démocratiques‘’. De quels valeurs et principes démocratiques pourraient se prévaloir les partis islamistes? Qu’est-ce qu’il y a de changé depuis que l’ancien patron du MSP, feu Mahfoudh Nahnah, a enrobé sa stratégie de l’entrisme dans les institutions de l’État de son fameux néologisme fantaisiste de ‘’chouracratia»?  En tout cas, l’évolution de la scène politique dans notre pays connaît des rebondissements et des ahans qui en disent long sur les difficultés de la transition. Si cette situation ne date pas d’aujourd’hui, elle est néanmoins nourrie par l’actualité la plus immédiate, à savoir l’échéance présidentielle d’avril 2014 et surtout la maladie du président Bouteflika, laquelle ne donne pas une grande lisibilité sur la faisabilité du 4e mandat. La scène algérienne n’a pas, non plus, été épargnée par ce qui se passe dans le proche voisinage et dans le autres pays touchés par ce qui était appelé le ’’Printemps arabe’’.  Depuis que, en 2012, l’Alliance présidentielle a spectaculairement volé en éclats, Amara Benyounès, SG du Mouvement populaire algérien, a toujours stigmatisé ce conglomérat d’alliance en disant que ses membres se sont servis du nom du président et de son programme, rien de plus, une certaine radicalité dans l’appareil du MSP a fini par congédier Boudjerra Soltani eu profit d’une autre tête, A.Makri, jugée moins conciliante, et sans doute aussi, plus ‘’intellectuelle’’.  Dans le même espace de temps, l’espace géoculturel arabo-musulman a été balayé par ce qui a été appelé le Printemps arabe. Les rebondissements et entortillements de ce ‘’printemps’’ ont fait de lui plus qu’un hiver, un labyrinthe, voire une tombe de tous les espoirs démocratiques. On le voit aussi bien en Égypte et en Tunisie, qu’en Syrie. Détourné par un islamisme radical tapi dans les institutions, les écoles et les mosquées, le mouvement primesautier des jeunes devient prisonnier d’une espèce de contre-révolution. Le redressement auquel s’est livrée l’armée égyptienne, avec le soutien d’une grande partie de la population, a donné à réfléchir aux autres mouvements islamistes parvenus aux commandes de l’État (comme en Tunisie) qui guettent la prise de pouvoir (comme en Algérie). La conviction à laquelle ils sont parvenus, une donnée qu’ils subodoraient réellement depuis longtemps, est que la société dans son ensemble, dans ce qu’elle a de forces vives (intellectuels laïcs, capitaines d’industrie, syndicats, élite militaire éclairée) est farouchement opposée à la «solution» islamique, si tant est qu’elle en soit une. Pénétrés de cette vérité qui commence à gagner en envergure dans les régions même où l’islamisme a pris solidement ses quartiers, les partis islamistes commencent à revenir à d’autres ‘’sentiments’’, en montrant hypocritement patte blanche, en brassant large et en se donnant d’autres appuis, y compris dans les milieux réputés démocrates et républicains.  Pour toucher du bois par rapport à ce qui s’est passé en Égypte, Rached Ghanouchi, leader d’Ennahdha en Tunisie, a déclaré dernièrement que son parti a été moins hégémonique dans son système de gouvernement que celui des Frères musulmans en Égypte, il aurait fait de ‘’larges concessions’’. Donc, d’après lui, il s’est ‘’barricadé’’ contre un éventuel renversement. Et pourtant, avec la multiplication des assassinats politiques et des actes terroristes contre les militaires (comme celui de la semaine passée à la frontière algérienne où 9 soldats ont été tués), la situation commence à échapper au contrôle du gouvernement. L’avenir demeure flou et fort incertain.  Si le rapprochement des partis islamistes algériens du parti du RCD peut être expliqué par la volonté des premiers de s’assurer de nouvelles ‘’alliances’’, non celles du pouvoir qui se sont avérées trompeuses et…clientélistes, mais celles des franges dites éclairées et modernistes de la société le bénéfice à tirer par le RCD d’une telle aventure demeure des plus aléatoires. Si ce comportement ne compromet pas la formation politique dans sa cohésion organique, il ne manquera pas, cependant, de lui valoir des regards peu amènes de la part de larges franges de la société et des militants mêmes du parti. La notion d’alliance contre-nature, en vigueur au milieu des années 1990, trouve sans doute là en 2013, toute son expression, pour des desseins politiques peu avouables.

A. N. M.

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