« C’est en devenant officielle que Tamazight aura tous les moyens »

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Le Secrétaire général du Mouvement Populaire Algérien (MPA), Amara Benyounès, est revenu, dans un entretien accordé hier au magazine Jeune Afrique, sur plusieurs sujets de l’actualité politique nationale. 

Pour le leader de la troisième force politique du pays, et néanmoins ministre du Commerce dans le gouvernement Sellal, le boycott, par certains partis politiques, des dernières consultations menées par le chef de cabinet de la présidence de le République, Ahmed Ouyahia, sur le projet de la révision constitutionnelle, « relève plus du dogmatique que du politique », en réponse à une question du journaliste à propos du boycott de ces consultations d’une partie de l’opposition. « La partie de l’opposition que vous évoquez ne s’est pas déterminée en fonction du contenu de la proposition soumise au débat, mais par rapport à la personne d’Abdelaziz Bouteflika, dont elle conteste la légitimité pour faire avancer l’idée d’une transition. L’argument est irrecevable, car nous sommes au lendemain d’une élection présidentielle qu’Abdelaziz Bouteflika a remportée avec plus de 7 millions de voix de plus que le premier de ses cinq rivaux. Le refus de certains à participer à la concertation relève plus du dogmatique que du politique », estime en effet Amara Benyounès qui a indiqué que le projet de la révision de la Constitution remonte à l’année 2011 lorsque le président Bouteflika avait lancé des consultations avec la classe politique sous l’égide de la commission présidée à l’époque par le président du Conseil de la nation, Abdelkader Bensalah. « Il faut sans doute mieux expliquer la démarche du président de la République. Le processus de révision de la Constitution a été entamé en mai 2011. Il y a eu une première phase durant laquelle des consultations ont été menées par le président du Conseil de la nation (Sénat), Abdelkader Bensalah, et par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. Le fruit de ce processus a été confié à une commission de juristes qui a préparé et soumis au chef de l’État une première mouture. Abdelaziz Bouteflika a estimé que les choses avaient évolué depuis. De nouveaux partis ont vu le jour, les élections législatives et locales de 2012 ont changé la donne politique. Il a estimé nécessaire d’ouvrir une nouvelle concertation » indique Amara Benyounès. 

« Nous n’avons pas réclamé une dissolution de l’APN pour avoir plus d’élus »

Pour le SG du MPA, « un nouveau texte fondamental suppose une Assemblée adaptée à ses nouvelles prérogatives ». Cette revendication du chef du MPA ne remet-elle pas en question la légitimité des institutions, surtout qu’elle émane d’une formation politique qui fait partie du gouvernement ?  « Pas du tout. C’est une question de bon sens. Si la nouvelle Constitution est porteuse d’une nouvelle organisation des pouvoirs, et si le nouveau découpage territorial, qui prévoit la création d’une quinzaine de wilayas et d’une centaine de nouvelles communes, est mis en œuvre, il est tout à fait logique d’organiser des élections générales. Quant aux entités régionales et locales créées, elles ont le droit, au même titre que celles qui existaient préalablement, d’avoir leurs instances élues. Nous n’avons pas réclamé une dissolution de l’Assemblée pour avoir plus d’élus. Même si notre parti disposait de 80 % de la représentation nationale, nous aurions eu la même attitude : mettre en conformité les institutions élues avec la nouvelle Constitution et la nouvelle configuration territoriale », explique le premier responsable du Mouvement Populaire Algérien, en guise d’arguments.  Revenant sur les propositions de son parti dans le cadre du projet de la révision de la Constitution, Amara Benyounès a tenu, d’abord, à préciser que le chef de cabinet de la présidence de la République, Ahmed Ouyahia, « n’a pas de projet constitutionnel à vendre clés en main. Il a donc surtout écouté. Ses interventions se sont limitées à des demandes d’éclaircissement sur des points précis de notre document ».

« Nous sommes pour l’égalité hommes femmes » 

Quid des propositions du MPA ?  « Nous avons insisté sur quelques points essentiels : la préservation du caractère républicain et démocratique de l’État ; la constitutionnalisation des libertés fondamentales, individuelles et collectives ; la nécessité du maintien du Conseil de la nation, chambre haute du Parlement, dont certains exigent la disparition du paysage institutionnel ; l’instauration d’un régime semi-présidentiel, avec un Premier ministre chef du gouvernement, responsable devant le Parlement, et l’officialisation de Tamazight. S’agissant de ce dernier point, je me réjouis qu’il fasse, aujourd’hui, consensus au sein de l’ensemble de la classe politique, y compris de la majorité présidentielle », indique le secrétaire général du MPA, qui a tenu surtout à remettre les pendules à l’heure concernant cette question et répondre à certaines voix qui ne cessent d’affirmer que, faute de moyens, cette langue n’est pas encore en mesure d’être promue comme langue officielle de l’Etat Algérien. « Faut-il attendre qu’une langue dispose de tous les moyens pour qu’elle devienne officielle ? Je suis de ceux qui pensent que c’est en devenant officielle que Tamazight aura tous les moyens. Je partage le point de vue de ce linguiste français qui, répondant à la question « quelle est la différence entre une langue et un dialecte ? », déclare que la langue est un dialecte avec une armée et une police. La différence est donc plus politique que scientifique », explique Amara Benyounès, qui a ajouté que son parti a également insisté sur la nécessité de la constitutionnalisation de l’égalité hommes-femmes.

« Le retour du FIS n’est pas à l’ordredu jour »

« Même si une parfaite parité est aujourd’hui un objectif lointain, nous sommes pour l’inscription, dans le marbre de la loi de cette dynamique égalitaire », ajoute-il. Relancé par le journaliste du magazine Jeune Afrique sur la question de l’ex FIS, Amara Benyounès est resté fidèle à sa position, maintes fois réitérée, à savoir son opposition, mais surtout celle de l’Etat algérien, au retour à l’activité de ce parti, dissous par la justice et disqualifié selon lui, par la Charte pour la réconciliation nationale. « La Charte pour la réconciliation nationale, adoptée par référendum, a valeur de loi. Elle dispose de deux points essentiels qui ne doivent pas être occultés par le débat politique. Le premier est qu’elle reconnaît explicitement le rôle et la responsabilité du FIS dans la tragédie nationale. Le second est l’interdiction faite à tous les dirigeants du FIS d’exercer quelque fonction politique que ce soit. Au nom du président Bouteflika, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et le directeur de cabinet du chef de l’État, Ahmed Ouyahia, l’ont clairement affirmé :», réitère le SG du MPA. Questionné sur la vive polémique qui avait suivie les  propos tenus par le ministre  des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, concernant la réouverture de lieux de culte judaïques et chrétiens fermés pour des raisons sécuritaires , Amara Benyounès , a avoué avoir lui-même été victime de l’hostilité des islamistes salafistes notamment chez le Front de la Sahwa, une formation qui n’a , selon aucune existence légale. « J’ai moi-même été sa cible lors d’un appel à manifester contre la politique de mon département. La manifestation a rassemblé une vingtaine de personnes. Les déclarations de Mohamed Aïssa sont conformes à la Constitution de ce pays. Il est ministre des Affaires religieuses et non des Affaires islamiques. La loi respecte la liberté de conscience et de culte. Nous demandons, à juste titre, que les droits des communautés musulmanes soient respectés dans les pays où elles résident. Pourquoi devrions-nous dénier ces droits aux juifs et aux chrétiens qui vivent parmi nous ? » s’interroge le SG du MPA et ministre du Commerce. 

« L’Algérie est l’un des plus anciens négociateurs avec l’OMC »

Amara Benyounès est revenu également sur l’autre polémique, suscitée chez certains partis et syndicats, par ses déclarations en sa qualité de ministre du Commerce concernant l’adhésion de l’Algérie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Pour le ministre du Commerce  « il n’y a rien de véhément » dans les réactions des uns et des autres. Pour lui  « c’est un débat normal dans une société pluraliste », et d’expliquer que « l’Algérie est l’un des plus anciens négociateurs avec l’OMC. Ce processus a débuté en 1987. L’OMC regroupe 160 pays et sert de cadre à 97 % des échanges mondiaux. Les mises à niveau de notre économie seraient dérisoires si nous demeurions en marge. Certains de nos partenaires, politiques, sociaux ou universitaires, jugent la démarche suicidaire. C’est leur droit », reconnait-t-il. En revanche, ajoute Amara Benyounès, « ils n’ont pas de leçons de patriotisme à nous donner. Nous sommes dans un débat économique et non éthique qui tiendrait pour acquis que le président de la République et son gouvernement s’apprêteraient à brader les intérêts économiques du pays ». 

A. C.

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