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Le phénomène des éboulements prend de plus en plus d'ampleur : La gouvernance locale en question

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La dernière décade du mois de février de cette année a vu nombre de sites montagneux et de talus de routes s’effondrer, en faisant débouler rochers et coulées de boue sur les chaussées de routes. Le phénomène, tout en s’étendant sur l’ensemble des wilayas du Nord du pays, enregistre ses plus grandes amplitudes et ses plus tristes drames en Kabylie, en raison du caractère accidenté du relief. Nous verrons que ce facteur n’est pas suffisant pour expliquer, à lui seul, ce qui se passe dans nos villages dès que la pluviosité atteint un certain niveau. Au cours de ces dernières années, tout le monde a pu remarquer l’extrême fragilisation de l’espace algérien, habité ou non habité. Dans les zones de plaines ou de faibles collines, ce sont les inondations qui dévastent les infrastructures, les équipements publics et les maisons. Les exemples dans la wilaya de Tizi Ouzou peuvent être circonscrits dans deux cas très éloquents: la nouvelle ville, au niveau du quartier dit La Tour (Hasnaoua inférieur), et la nouvelle gare routière multimodale de Bouhinoun. Ce sont deux cas d’écoles qui peuvent servir même de démonstration pour les étudiants en aménagement du territoire et en urbanisme. Dès que la durée de la pluie dépasse une demi-journée, la nappe d’eau commence à monter progressivement jusqu’à rendre la circulation impossible. En 2008, la hauteur d’eau, matérialisée par une ligne bien droite sur les murs des bâtiments laissée par la boue après la baisse du niveau de l’eau, dépasse largement un mètre au niveau de La Tour. Les bus de la nouvelle gare trouvent mille difficultés à faire leurs manœuvres dans le vaste lac qui se forme de bout en bout de cette structure stratégique. Ne parlons pas des voyageurs qui traînent leurs effets et bagages dans un indescriptible capharnaüm hydrique. Lorsqu’on parle de cas d’école, c’est pour signifier la « réussite de l’échec » en matière de planification des infrastructures et de choix de terrain. Pour le cas de la gare, n’importe quel citoyen sensé particulièrement les vieux qui ont « roulé leur bosse » dans le monde de la campagne, doit savoir que ce site est une dépression qui reçoit toutes les eaux du bassin versant des Ihasnaouen, sous forme de ce que les topographes appellent un cône de déjection. Le choix du site pose des problèmes énormes. S’il y a un déficit de foncier, les techniques des travaux publics sont censées trouver des solutions pour l’évacuation des eaux de ce réceptacle naturel. Pour le cas de la nouvelle ville, les inondations sont induites essentiellement par l’anarchie urbanistique qui fait défiler des villas sur plusieurs centaines de mètres sans rupture pour organiser l’évacuation naturelle des eaux. Les eaux se déversant depuis le sommet du boulevard des frères Belhadj et celles se déversant du campus Hasnaoua se mélangent et unissent leur force au niveau du pont au bas de l’université et de La Tour. Les exemples de même nature sont nombreux à Béjaïa, à Bouira, à Alger, etc. Les nouveaux réceptacles d’eau sont ces infrastructures qu’on appelle trémies, qui, à défaut d’avoir un système d’évacuation efficace au creux de la dépression, deviennent un piège mortel pour les véhicules. Si, dans les villes, on a affaire à des inondations sous forme de lame d’eau qui prend parfois des proportions dangereuses ; dans les zones de montagne, ce sont les éboulements, comme ceux de ces derniers jours, qui font l’actualité des intempéries. En une semaine, on assisté à l’éboulement de plusieurs sites, dont le plus dramatique est celui de la RN 9, à quelques dizaines de mètres du tunnel d’Aokas, qui a fait 7 morts et plusieurs blessés. Une mort atroce sous des rochers qui pèsent plusieurs tonnes. Les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux ont soulevé tristesse et indignation incommensurables, d’autant plus que, contrairement à ce qui se dit sur l’ « imprévisibilité » de cette catastrophe, le talus montagneux qui a déboulé sur la route est réputé être des plus fragiles. Sa position verticale, sa composition non totalement rocheuse (ce sont des blocs « cimentés » par de la terre) et le volume d’eau absorbé pendant plusieurs jours sont des signes probants du risque d’éboulement; d’autant plus, également, que presque sur le même site, à l’entrée exacte du tunnel, un « accident » similaire a eu lieu il y a quelques années. La masse de terre et les rochers avaient complètement obstrué le tunnel. Quelques jours après Aokas, ce sont des morceaux entiers de route qui sont bloqués par des chutes de pierres et des coulées de boue provenant des talus. La RN 30, près des Ouadhias, la RN 68, à Boufhima, près de Drâa El Mizane, la RN 106, entre Ighil Ali et El Kalâa Nath Abbas, et d’autres tronçons encore ont été fermés à la circulation. En dehors de la Kabylie, c’est la RN 1, allant de Blida à Médéa et continuant sur Djlefa et Ghardaïa, qui a subi le même sort à El Hamdania, dans les gorges de la Chiffa. Certaines localités, comme la Kalâa N’Ath Abbas sur les hauts sommets des Bibans, ont été d’abord bloquées par la neige avant de l’être par les éboulements. 

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L’esprit de la prévention et le génie de l’intervention 

Indubitablement, l’espace naturel algérien est gravement perturbé par l’action de l’homme. S’agissant des espaces montagneux, tous les avertissements donnés par les aménagistes et les écologistes- suite aux incendies de forêts qui ont éliminé le couvert végétal fixateur du sol et régulateur du régime des eaux- sont aujourd’hui, malheureusement, en train d’être vérifiés sur le terrain. En plus des incendies, la stabilité des sols a été aussi malmenée par les constructions anarchiques, par les chantiers de travaux publics mal conduits ou non achevés dans les règles de l’art, par les passages non colmatés des installations de gaz naturel, et, dans certaines zones, par une multitude de carrières d’agrégats qui, par effet de sismicité ont contribué à fragiliser les sols. Rarement, un phénomène d’éboulement échappe à l’action anthropique (causée par l’homme), et est plutôt induit par des phénomènes naturels qui dépassent tout le monde. On peut citer, pour la Kabylie, le récent (janvier 2013) éboulement historique d’Illitène, dans la daïra d’Iferhounène, prenant naissance sur le versant Nord-ouest d’Azrou n’Thor, ainsi que les éboulements généralisés qui ont affecté toute la Kabylie en mars 1974, isolant des dizaines de milliers d’habitants pendant plusieurs semaines. Même à ces événements qui dépassent la volonté des hommes, ces derniers, par le canal des pouvoirs publics, du monde associatif et de l’organisation interne des villages, se donnent les moyens de bien conduire les secours, de rouvrir les routes et de ravitailler les populations. Entre le travail de prévention, dans les premiers cas cités, et le mode d’intervention dans les autres cas jugés exceptionnels, le génie de la gouvernance locale se doit d’intégrer les risques majeurs, y compris les accidents industriels, dans la vie et la gestion quotidiennes. 

Amar Naït Messaoud 

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