Le rebelle toujours vivant

Partager

Cela fait 17 ans, jour pour jour, que Lounès Matoub nous a quittés, comme il l’a souhaité, du reste : « Si je venais à mourir, je voudrais mourir pour mes idées et non de vieillesse dans mon lit ».

Lounès a été un rebelle. En effet, il l’a été jusqu’aux bouts des ongles. Sans concessions, ni détour, ni tergiversation. Droit comme «I», il appelait les choses par leurs prénoms. Il tutoyait la douleur, il ne l’a que trop connue, la mort qui était sa compagne fidèle, il n’y a pas un album où il ne l’a pas évoquée, il se savait victime expiatoire de tout un peuple. Il est parti dans les circonstances tragiques que tout le monde connaît. C’était un jeudi 25 juin que la faucheuse l’attendait au détour d’un virage au lieu-dit Tala-Bouinan. Lounès se savait menacé. Il vivait pratiquement en intimité avec l’idée de la mort -très présente dans ses textes-, toutefois, il n’en voulait pas comme issue fatale d’un mal rongeant ses tripes du dedans qui viendrait le surprendre dans son lit, mais comme ultime chant parachevant son itinéraire singulier d’amant toujours fidèle à ses amours pas toujours enchantées. Le Rebelle n’a-t-il pas dit : «Si je venais à être assassiné qu’on couvre mon corps du drapeau national et que les démocrates m’enterrent dans mon village. Ce jour-là j’entrerai définitivement dans l’éternité». Et il a été exaucé. Est-ce à dire que l’artiste recherchait le martyr pour le Panthéon qu’il présuppose outre vie, ou est-ce la résultante de son combat sur tous les fronts qui lui faisait imaginer, à juste titre, la proximité de la faucheuse ? Matoub a beaucoup souffert et ses tourments ne sont pas seulement d’ordre éthique entre son boulot de poète au service de son peuple et les tentatives de récupérations comme faire-valoir de moult chapelles politiques. Du reste, il le dit clairement six mois avant sa mort : «Je suis artiste et non politicien. Je draine des foules et je ne voudrais, à aucun prix, canaliser ceux qui m’aiment vers des impasses (…)». Il a aussi trop souffert dans sa chair d’où, en fait, la fécondité singulière de sa muse. «Guerre ou cancer du sang, à chacun sa mort (…)», écrivait Kateb Yacine. Matoub était, musicalement parlant, un des chantres majuscules de la musique «chaâbie». Il avait une admiration sans bornes pour El Hadj El Anka et El Hasnaoui ; toutefois, sa particularité à lui était de charger ses «qsaïd» de poudre. Même ses amours ont été une suite de blessures portées comme un étendard au vent brisant a priori et tabou, et déclinant dans toute sa nudité la douleur à fleur de peau qui le poursuivait comme une ombre tenace. Chaque strophe chantée présentait, tel un puzzle, le portrait tourmenté de l’artiste dont le «je» n’a rien de fictionnel, c’est de lui même qu’il s’agit. De sa voix tanguant entre baryton et alto, chevrotante à souhait, il servait son texte d’un surcroît de trouvailles tant musicales que sémantiques, avec un art consommé de l’interprétation. Lounès, tant l’artiste, l’homme que le militant, a marqué le siècle par son engagement et sa popularité et surtout par sa mort. Il n’en demeure pas moins, cependant, que son sacrifice restera dans les annales du martyrologe de l’Algérie comme un repère réservé aux élus de la postérité qui «sont entrés dans la légende et auxquels la légende a ouvert les bras». Aujourd’hui, de là où il est, il nous scrute, il nous soupèse et il nous évalue : qu’ont-ils fait de mon combat ?

S.A.H.

Partager