Mohamed Boudiaf, 23 ans déjà

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Voici vingt-trois ans que le président du Haut Comité d’Etat (HCE), Mohamed Boudiaf, a été assassiné. C’était dans la matinée du 29 juin 1992 à Annaba, où il était en visite, cinq mois et demi après son installation à la tête de l’État algérien dans des conditions de tensions historiques qui n’avaient jamais eu leur équivalent dans l’Algérie indépendante; tensions, angoisses et interrogations qui annonçaient un climat de guerre civile après que le parti islamiste du FIS, agréé en contradiction avec l’esprit de la Constitution de février 1989, eut obtenu la majorité au premier tour des législatives organisées le 26 décembre 1991. Le second tour devait intervenir en l’espace de 15 jours, mais, réellement, le tour est joué. Le FIS avait déjà la majorité et le peu de sièges qui étaient en ballotage, étaient en sa faveur. Ce qui signifiait qu’il était à deux doigts d’obtenir la majorité absolue qui lui aurait permis de changer la Constitution et de prendre d’autres mesures issues de son idéologie moyenâgeuse. De toute façon, il ne s’en cachait pas. On doit lui reconnaître cette franchise outrecuidante d’avoir décliné ses intentions sur le sort qu’il réserverait aux Algériens dès sa prise de pouvoir. Les citoyens étaient appelés à changer leurs habitudes alimentaires et vestimentaires. Ce sont les ténors du parti qui firent cette annonce dès la promulgation des résultats du premier tour. Déjà dans les mairies que ce parti contrôlait depuis les élections communales de 1990, il instaura sa petite république islamique, à commencer par le fronton de la République « par le peuple et par le peuple », qui a été changé en « commune islamique de Bab El Oued ». Il en fit de même pour les autres communes où il était majoritaire. Jamais l’Algérie n’a vécu des moments aussi angoissants, aussi incertains, que pendant la période entre les deux tours des législatives. Face à la menace de la chute de l’État, de la guerre civile et de la partition de l’Algérie, l’ANP prit sur elle, avec le soutien de larges secteurs de la mouvance démocratique et de la société civile, d’arrêter le processus électoral mortel. Devant cette décision, le président Chadli Bendjedid démissionne le 11 janvier. L’ancienne Assemblée nationale est déjà dissoute. Face à cette double vacance, des militants de la cause nationale, dont Ali Haroun, prirent contact avec l’ancien exilé au Maroc, le grand militant de la cause nationale et un des déclencheurs du Premier novembre 54, Mohamed Boudiaf, pour le sensibiliser au danger qui guette la nation et à la nécessité de venir présider aux destinées du pays. C’est ce qu’il fit, en s’installant à la tête du HCE le 16 janvier 1992. Quelques semaines plus tard, les Algériens reprirent espoir. C’est sans doute la première fois que les citoyens ont senti une certaine communion avec un président qui leur parle directement, dans leur langage. Boudiaf promit des réformes profondes. Il voulait s’attaquer à la maffia politico-financière. Il expliquera tout au long de ses discours que seul l’effort et le travail payeront. Les errements de l’Algérie qui la firent tomber dans l’islamisme radical, il les expliquait par le déni des libertés et les privilèges instaurés par le système de l’économie rentière. Visiblement, le président n’avait pas manqué de déranger des lobbies et des intérêts, au-delà même du FIS, dissous par décision de justice. Ce parti n’a pas hésité à recourir à l’action armée. Il s’y est préparé. Déjà quelques semaines avant le premier tour des élections, des islamistes attaquèrent la caserne de l’ANP à Guemar, dans la wilaya d’El Oued. L’espoir de l’Algérie post-octobre 88 que représentait Mohamed Boudiaf était passé comme un éclair qui aura duré dans le ciel angoissé du pays, moins de six mois. Matoub Lounès, qui sera assassiné lui aussi cinq ans plus tard, lui rendit un vibrant hommage dans une chanson qui restera éternelle. Il y exprime tout l’attachement du peuple à cet ancien exilé de Kenitra, un des hommes de Novembre 54; tous les espoirs qu’il avait suscités au sein de larges franges de la société et les horizons de libération qu’il dessinait pour le pays; il dit également la tristesse et la déception dans lesquelles son assassinat ont plongé des millions d’Algériens. Vingt-trois ans plus tard, l’Algérie qui a souffert du terrorisme islamiste et de la dictature rentière se souvient de Boudiaf. Elle se souvient de lui et lui rend un vibrant hommage dans un climat régional des plus exécrables et des plus explosifs, où l’extrémisme religieux mène une guerre sans merci aux peuples de l’aire géographique arabo-musulmane, avec la complicité des meneurs de jeux de la grande géostratégie mondiale.

Amar Naït Messaoud

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