Comment absorber le choc pétrolier ?

Partager

À travers la réunion d'hier qui a regroupé les 56 walis (48 walis en titre 8 walis délégués) avec le Premier ministre, accompagnés des membres du gouvernement, les autorités du pays semblent vouloir faire partager les préoccupations, les pressions et les recherches de solution à la crise financière que traverse le pays, à l'ensemble des maillons et des articulations de la pyramide institutionnelle.

Si elle s’inscrit sous le sceau et l’intitulé du « développement local », ce dernier concept recouvre, en effet, l’ensemble des facteurs qui concourent à un mieux-être collectif, où se retrouvent juxtaposés ou imbriqués, le cadre de vie, le développement économique et l’expression de la citoyenneté. C’est là la grande thématique examinée aussi par le Conseil national économique et social (CNES) au cours des assises régionales et nationales qui ont eu lieu entre septembre et décembre 2011, et dont nous avions rendu compte dans ces mêmes colonnes. À l’époque, le facteur qui avait pesé dans l’organisation des assises sur le développement local, était principalement la hantise du « Printemps arabe », lequel rampait sur plusieurs pays de la région et a about aux résultats que l’on voit aujourd’hui. Cette hantise et le souci d’épargner à l’Algérie de nouvelles épreuves dont elle pouvait faire l’économie, avaient d’ailleurs amené le président de le République à annoncer, le 15 avril 2011, un certain nombre de réformes politiques, dont la plus importante, la révision constitutionnelle, est encore à l’état d’esquisse ou d’un texte nébuleux qui n’a pas encore vu le jour. Le développement local, tel qu’il a été abordé par le CNES en 2011, était appréhendé dans sa globalité depuis le processus de prise de décision (wilaya-daïra, commune), jusqu’à l’organisation des collectivités locales, la fiscalité le foncier, le cadre de vie, la vie associative, etc. À l’époque, pratiquement tous les sujets ont été abordés, sauf celui qui, quatre ans après, se révèlera la clef de voûte de toute construction du développement local, à savoir la santé financière du pays. En 2011, cette donnée n’a même pas été intégrée dans les débats et les discussions, tant elle imposait une évidence- une fausse évidence bien sûr- que l’argent du pétrole est là et qu’il suffit de bien s’organiser localement pour bien répartir cette richesse. En fait, la répartir pour qu’il y ait le moins de mécontentement et de protestation possible. Mais, quel développement local peut-il y avoir lorsque l’on sait que la majorité des 1 541 communes du pays sont déficitaires, vivant de la « solidarité » du Fonds commun des collectivités locales (FCCL) et des subventions de l’Etat? La vision développée à un certain moment par l’ancien ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, voulant faire de la commune, outre la cellule de base de la République, un moteur du développement local- en attirant les investissements productifs, en optimisant les recouvrements fiscaux et en initiant des projets collectifs-, cette vision n’a pas eu son prolongement dans la réalité du terrain. Même le nouveau code communal demeure, à quelques détails près, la copie conforme du premier code. La marge de manœuvre des représentants élus est réduite à la portion congrue; elle est complètement happée par l’administration, à la tête de laquelle se trouvent le chef de daïra et le wali. Toutes les propositions des partis républicains et démocrates, allant dans le sens d’octroi de prérogatives plus élargies aux élus, sont demeurées lettre morte. L’un des meilleurs exemples de graves malentendus qui se sont mis au travers du développement local en Kabylie, est le long épisode de tension et de bras de fer entre les élus de la wilaya de Béjaïa et l’ancien wali qui a été muté en juillet dernier. Ils se regardaient, pendant plusieurs années, en « chiens de faïence », s’accusant mutuellement de tous les maux que subissait la région et ayant abouti à faire solidariser les P/APC dans une « association des maires de la wilaya de Béjaïa ».

Amortir le choc de la crise

En planchant sur ces problèmes qui pénalisent lourdement les citoyens, le CNES avait proposé une décentralisation plus audacieuse de la gestion des affaires locales, sans pour autant aller jusqu’à parler des réformes politiques devant servir de soubassement à une telle proposition. Aujourd’hui, le gouvernement de Abdelmalek Sellal n’est pas poussé par une quelconque « coquetterie intellectuelle » ou une impulsion primesautière pour réanimer le dossier du développement local. C’est contraint par la crise financière, qui s’aggrave chaque semaine davantage, que le gouvernement a convoqué les walis. Il les a convoqués pour faire passer le message de la nouvelle politique économique que compte adopter le gouvernement, pour solliciter l’adhésion des fonctionnaires de l’Etat à la rigueur budgétaire déclinée sous le nom de « rationalisation des dépenses », et pour, enfin, que les grands serviteurs de l’Etat que sont les walis agissent pour « amortir », autant que faire se peut, les effets de la crise. À ce niveau d’intervention, l’Etat compte maintenir certains programmes qu’il juge essentiels, parce que ce sont des « stabilisateurs » sociaux, à l’image du logement social. Pour les programmes que le gouvernement compte geler ou annuler, comme s’y est engagé déjà le ministère des Finances à travers le dernier courrier adressé le 4 août dernier aux contrôleurs financiers et aux directeurs de la programmation et du suivi budgétaire (DPSB), les walis et leurs proches collaborateurs (secrétaires généraux et chefs de daïra) seront amenés à intervenir dans une mission de persuasion en direction des populations. Une mission qui relève de la gageure vu la sensibilité de la conjoncture. Abdelmalek Sellal avertit, dans son allocution à l’ouverture de la réunion gouvernement-walis: « Toutes ces décisions pour relancer notre économie et absorber le choc pétrolier toucheront des habitudes, des vieux réflexes et des intérêts. Elles recevront, donc, des résistances plus au moins fortes. Mais notre principal allié dans ce combat futur sera la population si nous lui disons la vérité lui expliquons notre démarche et si nous arrivons à gagner sa confiance ». Un travail de sensibilisation et de persuasion ne peut se réaliser que dans une atmosphère d’exemplaire équité vertu qui, malheureusement, n’est pas la plus partagée en Algérie. Les passe-droits, l’injustice sociale, les mandarins locaux, les lobbies et les habituels rentiers, ont tellement perverti la relation gouvernants/gouvernés et l’ont plongée dans une espèce de profonde défiance, qu’il est malaisé d’instaurer aujourd’hui l’égalité devant les mesures d’austérité.

Responsabilité historique

Dans ce contexte particulier de crise des finances extérieures du pays, le gouvernement sollicite, voire instruit les walis de jouer le rôle d’agents de développement de leurs wilayas respectives. En effet, la stratégie de diversification économique, supposée faire sortir le pays de la dépendance aux hydrocarbures, ne peut pas donner des résultats si la bureaucratie- à commencer par l’accès au foncier- qui se met au travers de l’investissement n’est pas neutralisée. Les anciens comités qui encadraient les investissements au niveau local (Calpiref), présidés par les walis, ont montré leurs limites depuis longtemps. Des centaines de projets ont été validés, mais qui, après plusieurs années, n’ont pas encore lancé leurs activités. Des terrains ont été dégagés dans des zones d’activité ou des zones industrielles pour des projets fictifs. Et c’est pour ces raisons et pour d’autres motifs encore que le Premier ministre a décidé la dissolution des Calpiref et la création d’un guichet unique pour les demandes d’investissement. Sera-ce suffisant? Comment une zone d’activité ou industrielle non viabilisée (ni eau, ni gaz, ni électricité ni accès) peut-elle recevoir un investissement? Si les walis ont une grande part de responsabilité dans la nouvelle étape qu’aborde l’Algérie à l’ombre du recul des recettes pétrolières, les autres structures et institutions de l’Etat n’en portent pas moins le poids des nouveaux engagements en matière de relance économique.

Amar Naït Messaoud

Partager