“L’entreprise est en difficultés depuis 2015”

Partager

M. Boudiaf Ouamar, directeur général de l’ENIEM depuis juin 2012, revient dans cet entretien sur la situation de cette entreprise publique dans la conjoncture économique actuelle. Il dresse l’état des lieux et évoque les différents problèmes dont souffre l’entreprise ainsi que ses aspirations.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de l’entreprise ?

M. Boudiaf Ouamar : L’entreprise ENIEM est rattachée au groupe «Elec El Djazair». Elle est composée de deux filiales : La première, implantée à Mohammedia, qui est spécialisée dans la production des lampes, est en état de faillite à cause de la concurrence chinoise notamment. La deuxième, implantée à Méliana, dégage des petits bénéfices. Globalement, on peut dire qu’elle est en bonne santé sur tous les plans. Nous comptons au sein de notre entreprise 2000 employés (effectif moyen). L’ENIEM comprend cinq unités : la commerciale qui s’occupe de la commercialisation des produits et définit les besoins par apport au marché. Elle est dotée d’un service après-vente qui compte 160 agents agréés à travers le territoire national. La deuxième unité est celle du marketing commercial. S’ajoutent à ces deux là trois unités de production au niveau du complexe Oued Aïssi qui sont le froid, avec une intégration de 80%. Elle renferme une trentaine de produits. Quant à l’unité de climatisation spécialisée dans le montage, elle tourne à 20% d’intégration. Elle compte quelque 10 produits, climatiseurs, radiateurs à gaz naturel, chauffe-eau, machines à laver, etc. L’unité cuisson (cuisinières) qui compte sept modèles de produits tourne presque à 100% d’intégration. Nous avons aussi une unité de prestations techniques pour soutenir les autres unités de production. Cette unité s’occupe aussi de gérer et d’assurer la sécurité du personnel et l’entretien des équipements. Nous disposons d’un atelier de fabrication de certaines pièces et accessoires pour les produits que nous montons ou fabriquons au sein de cette unité.

Là il s’agit de l’organisation de l’entreprise. Qu’en est-il de votre activité ?

La dévaluation du dinar en 1999 a eu une incidence directe sur l’activité. On a connu un assainissement en 2009 qui a permis l’effacement de la dette. De 2010 à aujourd’hui, on a enregistré une stabilité dans le chiffre d’affaire et la production. En 2011, il y a eu un plan de développement de l’ordre de deux milliards de dinars destiné spécialement à l’entretien des équipements et à l’acquisition de nouveaux équipements aux fins de diversifier la production.

Quels sont les problèmes que rencontre aujourd’hui l’entreprise ?

Depuis 2015, l’entreprise connaît quelques problèmes. Nous avons enregistré un déficit suite au départ à la retraite de plusieurs cadres et ouvriers auxquels il a fallu verser des primes. Rien que pour cette année, on aura atteint 400 départs à la retraite d’ici décembre. On aura besoin de plus de 700 millions de dinars pour régler tout le monde, une somme largement au dessus de nos moyens. La sous-activité lors de la période de rénovation nous a aussi affectés. On a dû arrêter pendant des mois et les charges étaient toujours les mêmes. Les départs à la retraite ont engendré un autre problème aussi, celui du manque de compétences. À cela s’ajoutent les pannes répétitives dues à la vétusté des équipements. La dévaluation du dinar et la concurrence -environ une trentaine de concurrents sur le marché- ont lourdement pesé sur l’activité commerciale. On est en train de se battre sur le marché. On essaye d’innover pour prendre notre part du marché.

Justement, quelle est votre quote-part dans le marché actuellement ?

En ce moment, on tourne pour certains produits jusqu’à 30% pour d’autres moins. Par exemple, pour la machine à laver, la concurrence est rude, donc on est de 8 à 10%. La climatisation 25%, le froid 30%. Donc, chaque activité a ses spécificités sur le marché. Malheureusement pour s’adapter, ce n’est pas facile.

Qu’est-ce qui fait que la quote-part de l’entreprise soit faible bien qu’elle soit la seule entreprise publique locale qui fait dans l’électroménager et côté qualité elle est certifiée Iso ?

C’est la complexité du marché et la concurrence. Nous n’avons pas les mêmes moyens que les autres entreprises pour se battre. Nous devons préserver les biens de l’État. Un privé qui gère sa maison peut prendre tous les risques possibles. Nous, nous ne pouvons pas nous permettre de nous aventurer. Les entreprises privées peuvent même vendre sans factures, ce que nous, nous ne pouvons pas faire. On ne peut contourner la loi. Cependant, il est à noter que certains de nos produits qui sont sur le marché depuis 30 ans marchent toujours.

Vous ne pensez pas que peut-être votre stratégie commerciale est défaillante ? Que comptez-vous faire pour relancer votre production ainsi que la commercialisation de vos produits ?

C’est vrai que certains produits sont, disons-le, un peu démodés. Nos clients, surtout les femmes, se basent trop sur l’esthétique mais on essaie d’allier le look à la solidité mais cela nécessite de grands moyens et beaucoup d’argent. D’ailleurs, on va lancer incessamment deux produits avec un design moderne mais tout en gardant la fiabilité qui a fait la réputation de nos produits. Les consommateurs misent sur le design des fois et font fi de la qualité. Les marchés de l’ENIEM c’est les institutions publiques. Pour la commercialisation, on a un réseau de distribution propre à nous. L’ENIEM commercialise tous nos produits dans le cadre d’une convention commerciale entre les entreprises du groupe «Elec El Djazair». On a 25 points de vente.

Qu’en est-il de votre approche commerciale ?

Notre souci majeur est de satisfaire notre clientèle, qui, disons-le, est très exigeantes. A dessein de déceler nos faiblesses pour améliorer la qualité de nos produits, tout en gardant les mêmes prix pour être compétitif, nous soumettons, à chaque vente, un formulaire au client qui aura l’amabilité de le remplir et de le renvoyer à notre service commercial pour qu’on puisse avoir son avis sur les produits. Un registre de doléances est mis aussi à la disposition de nos clients car leurs remarques judicieuses revêtent une grande importance pour le devenir de notre entreprise. D’ailleurs, je profite cette occasion pour lancer un appel à notre aimable clientèle pour qu’elle nous fasse part de leurs suggestions et remarques qui feront propulser nos produits.

Quelles sont les mesures prises pour améliorer la situation commerciale de l’entreprise ?

On est présents dans des foires commerciales et on procède à des ventes promotionnelles une à deux fois par an. On fait aussi des expoventes, dont la dernière a eu lieu au siège de l’UGTA pendant un mois. On a aussi établi des conventions avec les œuvres sociales relevant de sociétés nationales ou de ministères.

Revenons au problème du manque d’expérience et des départs à la retraite de vos cadres. Que fait l’entreprise pour y remédier?

Oui c’est un problème de taille. Quand un ouvrier expérimenté part à la retraite, il emporte avec lui un savoir-faire qu’un jeune orienté par l’ANEM ne saura acquérir qu’après des années de travail. C’est pour cette raison que nous privilégions les jeunes formés dans l’entreprise. À partir de janvier 2017, avec la suppression de la retraite anticipée, on pourra faire des calculs et préparer des doublures pour ceux qui s’apprêteront à partir.

Vous avez parlé de 2 000 travailleurs, comment qualifierez-vous leurs conditions de travail ?

Leurs conditions se sont nettement améliorées. Avant, on assurait le transport et la restauration, aujourd’hui on le fait toujours mais autrement. Maintenant, on paye les indemnités de restauration et de transport à nos travailleurs. Après concertation avec les syndicats et les différentes parties concernées, on a fixé une indemnité pour la restauration et une autre pour le transport, selon le kilométrage et le lieu de résidence. Le travailleur se débrouille pour les deux. Ils sont contents car ils peuvent même économiser. Il est à noter que la restauration est assurée par un privé et chacun a le choix du repas et du prix à débourser. Revenons au transport. Durant les années 90, on avait une flotte de plus de 200 bus. Les terroristes, rappelons-le, en ont brûlé une bonne partie. Pour l’entretien de cette flotte et le salaire des chauffeurs, l’entreprise consentait des sommes d’argent qui la minaient. Maintenant, tout le monde est content.

Comment comptez-vous régler les différents problèmes de l’entreprise, notamment ceux liés à la prime de retraite ?

Pour régler ce problème, on a eu recours aux pouvoirs publics qui nous ont promis de nous aider. On espère recevoir l’aide pour le mois de septembre. Pour l’exploitation et l’investissement, on fait des crédits bancaires. On est à jour avec la BEA. L’entreprise se bat pour sa survie. Je suis optimiste quant au devenir de l’ENIEM. On a perdu énormément mais je suis persuadé qu’avec l’aide de tous, on continuera de figurer parmi les fleurons des entreprises algériennes.

La privatisation peut-elle être une solution ?

Oui, elle peut être une solution mais à condition qu’elle soit bien étudiée. La privatisation peut être une catastrophe si elle n’est pas abordée d’une manière scientifique. Par exemple, entrer en bourse pour permettre aux citoyens de suivre l’évolution de l’entreprise et acheter des actions peut être d’un grand apport à notre entreprise. Et là on parle de privatisation positive.

On vous laisse conclure…

L’ENIEM a de grandes capacités. Cependant, il est grand temps de réguler l’importation des produits finis et de protéger le produit local. Une surtaxe des produits importés et qui ne sont pas forcément meilleurs que les nôtres serait, à mon sens, une solution. D’ailleurs, on a eu récemment une information qui nous réjouit. Au niveau des différents ministères, on veut installer une TIC (taxe intérieure de consommation) pour tout produit fini introduit en Algérie. Ce qui pourra indubitablement amoindrir la concurrence déloyale que nous imposent ces importateurs.

Entretien réalisé par Kamela Haddoum

Partager