“Le nombre des handicapés mentaux en hausse”

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Mme Harkat Saliha, directrice de l’action sociale de la wilaya de Bouira, fait part en cette période hivernale des différentes actions entreprises par son secteur. Un secteur appelé en ces temps de restrictions budgétaires à intervenir de plus en plus souvent auprès des handicapés et des personnes dans le besoin.

La Dépêche de Kabylie : En pleine saison hivernale, qu’en est-il des actions initiées envers les SDF à travers la wilaya ?

Mme Harkat Saliha : Pour l’accueil des SDF, il y a une commission de wilaya composée des éléments de la Protection civile, de la Police, de la Gendarmerie, des services de la DAS et de l’APC concernée. Ensuite nous devons respecter un programme tracé par le secrétaire général de la wilaya. Nous programmons des sorties depuis le 1er novembre à ce jour et surtout depuis le début des intempéries en effectuant des sorties quotidiennes à partir de 20h et ce jusqu’aux alentours de minuit en sillonnant l’ensemble des quartiers du chef-lieu de wilaya. Généralement, les sans-abris que l’on rencontre sont des passagers en provenance d’autres wilayas. Nous nous sommes entretenus avec les P/APC pour leur demander d’orienter ces sans-abris vers le Foyer pour Personnes Agées (FPA). À Maâlla et à Zbarbar, nous avons recueilli de vieilles femmes qui avaient des familles pourtant. Je vous cite le cas d’une vieille dame qui habitait chez un de ses cousins et qui a été récemment chassée par sa famille et s’est retrouvée à la rue. J’ai contacté la cellule de proximité de Lakhdaria et nous l’avons accueillie au niveau du Foyer pour Personnes Agées. Depuis le 15 janvier à ce jour, nous avons pu ainsi recueillir 5 personnes qui étaient sans abri et ce à travers toute la wilaya. Nous n’avons pas de SDF à proprement parler dans la wilaya, ceux que nous recueillons sont essentiellement des passagers qui échouent à Bouira, sinon il y a également quelques malades mentaux.

Justement, on aperçoit souvent dans les rues des malades mentaux, parfois agressifs, qui errent à longueur de journée. Que fait la DAS pour ces aliénés ?

Les malades mentaux errant posent problème à Bouira car il est impossible de les accueillir dans les structures de la DAS. Nous en avons fait l’expérience par le passé, et ces personnes font preuve d’agressivité lorsqu’elles sont placées dans nos structures et cela n’est pas sans représenter un danger pour nos pensionnaires qui sont fragiles aussi bien physiquement que psychologiquement. Nous n’avons ni le personnel qualifié pour les recevoir ni les moyens pour garder les malades mentaux. Lorsqu’ils arrivent dans un de nos établissements, ils sont agités. Ils ne veulent pas y rester, ils enlèvent les gonds des portes, ils cassent les vitres des fenêtres. On les évacue dans les ambulances. Lorsqu’on nous envoie un malade mental avec les assurances qu’il est calme et non agressif, nous le prenons en charge. Nous en avons quelques-uns d’ailleurs qui sont suivis par des psychiatres. Mais il serait souhaitable que d’autres secteurs s’impliquent dans la prise en charge de ces pauvres déficients mentaux. Un programme intersectoriel pourrait mettre un terme aux agissements de ces malades agressifs. Leur prise en charge de manière efficace, efficiente et durable est souhaitable.

Que fait la DAS pour les handicapés de la wilaya ?

La direction de l’action sociale de Bouira gère 8 établissements spécialisés dont trois destinés aux enfants attardés mentaux, un centre pour les enfants assistés, un foyer pour les personnes âgées et l’école des jeunes sourds. Au total, pas moins de 750 pensionnaires sont accueillis dans ces établissements. Sur l’ensemble du territoire de la wilaya, la DAS a recensé 21.250 personnes handicapées, tous handicaps confondus, mais ce sont les malades mentaux qui occupent la plus grande place à travers les régions de M’Chedallah et de Lakhdaria et nous ignorons pourquoi. Nous avons des attardés mentaux et beaucoup d’autistes ces derniers temps. Toutefois, nous accompagnons l’ensemble des personnes handicapées et nos missions sont vastes. Nous avons la prise en charge des handicapés et des personnes aux besoins spécifiques, la promotion de la femme, femme rurale, femme en difficulté, la prise en charge des enfants assistés, l’accompagnement des personnes âgées. Tout ce qui est social et solidarité fait partie de notre mission au quotidien. Les femmes divorcées dont les maris ne peuvent pas payer les pensions alimentaires sont aussi à notre charge et nous veillons à leur bien-être surtout lorsqu’elles ont des enfants en bas âge. Aussi à travers la wilaya de Bouira, nous avons recensé 4587 malades chroniques, 967 non-voyants, 5542 personnes âgées dans le besoin, 3510 handicapés âgés de plus de 18 ans et 649 handicapés de moins de 18 ans. Ceux-là perçoivent les 3000 DA par mois en plus de bénéficier d’une couverture sociale et de la carte Chiffa. 1712 femmes divorcées et veuves perçoivent 4000 DA, il s’agit là de statistiques arrêtées au 31 décembre 2016. Nous avons également des personnes atteintes de maladies rares comme c’est le cas pour Xeroderma Pigmotosum, plus connu sous l’appellation «les enfants de la lune» et dont 13 cas sont recensés à travers la wilaya de Bouira, notamment à Haizer, Raouraroua, Lakhdaria et El Esnam. Nous les avons réunis avec leurs parents et ils cherchent une prise en charge médicale car leurs traitements sont très coûteux. À titre d’exemple, un petit flacon de crème solaire, avec laquelle ils sont obligés de s’enduire le visage avant de sortir pour éviter les UV, coûte dans les 1200 à 1400 DA. Ces charges sont très lourdes pour les parents qui ne peuvent prétendre à aucune aide ni de la part du secteur de la santé, ni de la DAS car cette maladie n’est pas considérée comme une maladie chronique et son traitement n’est pas remboursé par la CASORAL.

En évoquant les statistiques de la DAS, peut-on dire qu’elles sont fiables et surtout sont-elles à jour ?

Récemment, nous avons fait un travail où nous avons visité l’ensemble des villages et zones rurales en faisant quasiment du porte-à-porte pour voir les personnes handicapées, les personnes âgées malades, les malades chroniques et je peux vous affirmer que nos statistiques sont à jour et reflètent la réalité du terrain. Nous avons aussi fait ce travail dans les zones montagneuses les plus reculées de la wilaya.

Les attardés mentaux sont donc une frange importante parmi les handicapés à Bouira. Existe-t-il un programme d’action spécial avec des mesures spéciales ?

La wilaya de Bouira compte énormément d’attardés mentaux et d’enfants autistes. Il faudrait une enquête sérieuse et de grande envergure pour découvrir pourquoi ce phénomène se manifeste à Bouira avec autant d’ampleur. Pour les handicapés visuels, nous avions auparavant une école à Sour El Ghozlane qui, actuellement, prend en charge les enfants inadaptés mentaux, mais à l’origine, il s’agissait d’une école pour les jeunes non-voyants. Nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas suffisamment de pensionnaires dans cette école. Actuellement nous avons 23 enfants qui sont scolarisés entre El Achour à Alger et Bordj Ménaïel. La wilaya prend en charge leur transport chaque semaine car ils poursuivent leurs cours en bénéficiant du régime de l’internat. Nous avons voulu les transférer dans l’école de Sour El Ghozlane mais ils n’ont pas voulu, ils préfèrent achever leurs études dans leurs écoles respectives car ils ont certains repères pédagogiques et se sont adaptés à leurs rythmes de scolarité. C’est pour cela que nous avons changé la vocation de l’établissement de Sour El Ghozlane au vu des besoins et de la demande énorme des attardés mentaux sur la liste d’attente. À Bouira, chef-lieu de wilaya, nous avons un centre pour enfants inadaptés mentaux d’une capacité de 80 pensionnaires mais qui accueille 181 enfants. À Ain Bessem, un autre centre d’une capacité de 80 accueille réellement 141 enfants, à Sour El Ghozlane, une école similaire reçoit 97 enfants, la demande est très forte et avec la réalisation des centres de Lakhdaria dont les travaux ont atteint les 95% et l’autre à M’Chedallah qui est estimé à 60 ou 65%, nous pourrons souffler un peu. Nous enregistrons beaucoup d’handicapés dans ces régions. D’ailleurs, nous comptons organiser prochainement un séminaire sur le mariage consanguin. Ce sera là l’occasion pour déterminer si le mariage consanguin est à l’origine du nombre important d’enfants attardés mentaux dès la naissance enregistré à travers les daïras de Lakhdaria et de M’Chedallah. Nous espérons pouvoir réduire la surcharge enregistrée actuellement dans ces centres au cours de cette année. Pour celui de Lakhdaria, nous avons reçu l’enveloppe financière pour l’acquisition des équipements.

Entretien réalisé par Hafidh Bessaoudi

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