Slimane Amirat, une vie, un combat

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Au lendemain du lâche assassinat de feu Mohamed Boudiaf, l’Algérie, sous le choc, était à la croisée des chemins. Le décès du Président Boudiaf a suscité colère et émoi chez les Algériens.

Parmi eux, un homme dont le cœur n’a pas résisté à cet énième affront que l’on avait fait subir à l’Algérie, la patrie qu’il aimait par-dessus tout et même au delà de sa vie qu’il a sacrifiée pour une Algérie libre, indépendante et démocratique. Cet homme, que tout le monde appréciait à sa juste valeur, est tombé sous le coup de l’émotion suite à l’assassinat, deux jours auparavant, du symbole de l’espoir des Algériens. Slimane Amirat n’aura pas eu le temps de parachever son idéal, à savoir «l’Algérie au-dessus de tout et avant tout».

A 26 ans, Slimane fait trembler l’Ile-de-France

Cet idéal, le jeune Slimane Amirat, natif de Takerboust, commune d’Aghbalou, wilaya de Bouira, se l’était tracé dès son plus jeune âge et c’est Abderrahmane Mira, voyant en lui un homme de terrain remarquable, qui le missionnera afin de sensibiliser l’immigration algérienne en France. L’année 1955 venait de voir la création de la SAS (Section Administrative Spécialisée) par le tristement célèbre Soustelle, et Rabah Bitat venait d’être arrêté lorsqu’au mois de mars de cette année, plusieurs hauts responsables du FLN focaliseront sur Slimane, alors âgé de 26 ans, pour installer et diriger les groupes de choc d’Ile-de-France. Des commandos d’élites dévoués pour combattre les Messalistes du MNA en contrecarrant leurs desseins. Le jeune Slimane, fort de ses convictions, s’attaquera en premier lieu au bastion du MNA dans les 18ème et 19ème arrondissements de Paris, en confortant ainsi la position du FLN. Ensuite, il s’attèlera à la préparation et à l’organisation de la grève des huit jours pour soutenir la cause algérienne devant l’ONU. De 1955 à 1958, pendant trois ans, il s’acquittera de l’ensemble des tâches qui lui auront été confiées avant d’être capturé et emprisonné à Constantine puis à El Djorf, dans la wilaya de M’Sila. Une détention au cours de laquelle son codétenu et ami de longue date, Kab Achour, racontera que Slimane s’est illustré en organisant une désobéissance généralisée dans ce centre pénitencier. Refusant systématiquement de saluer les couleurs du colonisateur lors de la levée du drapeau français, ses geôliers, outrés par ce comportement, le traîneront de force dans un chenil où il sera jeté en pâture aux chiens affamés qui lui déchiquetteront ses vêtements. En voulant de la sorte mater cette rébellion, les tortionnaires se rendront compte que Slimane Amirat était animé d’une volonté de fer car en sortant, il continuera à refuser de saluer le drapeau tricolore. De par cette action, son compagnon affirme que ce fut la fin, dans cette prison, de saluer le drapeau français. Il continuera, toutefois, à être régulièrement battu par ses tortionnaires qui voulaient ainsi laver cet affront. En parallèle à ces souffrances quotidiennes, le jeune Slimane n’aura rien perdu de son activisme durant sa détention à M’Sila. Mieux encore, il organisera les prisonniers en collectant plus de 400 000 francs par mois, sans parler des médicaments qu’il fera passer à l’extérieur du camp au profit de l’ALN. Au cours de cette période, son courage et sa détermination auront naturellement eu le dessus sur la fatigue et les misères infligées. Fin 1959, Slimane sera libéré et rejoindra la France, muni de faux papiers pour reprendre la tête du commandement du groupe armé de la région parisienne. Sans relâche et armé de sa volonté, il ripostera aux harkis ayant pour mission d’anéantir la Fédération de France du FLN. Deux ans plus tard, en 1961, un de ses combattants faisant parti de son groupe, sera capturé. Sous la torture, il dénoncera Slimane Amirat qui sera immédiatement arrêté par les services de la DST avant d’être, une fois de plus, emprisonné et de renouer avec les tortionnaires des geôles françaises. Les nombreux sévices qui lui seront infligés ne l’empêcheront pas de faire un coup d’éclat en déposant plainte contre ses bourreaux. S’ensuivra une instruction de plus de cinq mois, après laquelle il sera transféré dans les camps de Mourmelon-Vadenay dans la Marne et celui de Larzac, commune de La Cavalerie dans l’Aveyron, jusqu’au cessez-le feu. Libéré suite à une manifestation estudiantine d’Algériens et de Français à Paris, il rentrera à Alger pour y être désigné responsable des groupes armés à Bouzaréah et El Biar, où il affrontera l’OAS jusqu’au conflit des wilayas. Slimane Amirat sera enrôlé dans les forces de police à Tlemcen puis à Alger, suite à la prise de pouvoir par le groupe d’Oujda et Ben Bella. Toutefois, il gardera toujours le contact avec Krim Belkacem, Mohand Oulhadj, Mohamed Boudiaf, Ait Ahmed et bien d’autres qui tenteront de créer l’UDRS au cours de cette période.

Des geôles françaises aux prisons algériennes

Après cette période houleuse, Slimane Amirat qui avait adhéré au FFS, sera condamné à mort par contumace dans le procès avec Aït Ahmed et Chaâbani, avant de connaître l’exil jusqu’en juin 1965. Après le coup d’État militaire au lendemain du 19 juin 1965, et alors que Hocine Aït Ahmed croupit toujours en prison, entre Slimane et le nouveau régime le courant ne passait plus. Il refusera systématiquement toutes les propositions qui lui seront faites car, fidèle à ses principes, il n’apprécie pas que le Conseil de la Révolution emprisonne autant de militaires et de nationalistes. En 1967, Slimane dirigera une agence d’assurance et s’alliera avec Krim Belkacem et d’autres militants de la cause nationale en participant à la création d’un nouveau mouvement d’opposition. C’est de là qu’est né, dans la clandestinité, le MDRA qui verra le jour le 18 octobre 1967. Un mouvement qui fera immédiatement réagir de manière violente le pouvoir en place, considérant cela comme un complot contre-révolutionnaire. Arrêté le 2 juillet 1968, Slimane sera détenu au secret pendant plus de neuf mois, avant d’être une fois de plus jugé puis condamné à la peine capitale par la cour révolutionnaire d’Oran. Détenu au quatrième sous-sol de la prison militaire d’Oran, la tristement célèbre «Santa Cruz», quatre ans et demi durant, ses amis et ses proches lui demanderont de rédiger sa demande de grâce à Boumediene. Peine perdue, puisqu’il refusera toujours, tout en réclamant cependant ses droits de prisonnier politique ou bien l’application pure et simple de sa peine, c’est-à-dire son exécution ! Son compagnon, Krim Belkacem, aura moins de chance et sera assassiné dans une chambre d’hôtel en Allemagne. Après plusieurs grèves de la faim qui ont failli lui coûter la vie, Slimane sera évacué dans un état comateux à l’hôpital universitaire d’Oran. De là il sera ensuite transféré à la prison de Berrouaghia où il restera en détention pendant deux ans, avant d’être de nouveau transféré cette fois-ci à El Harrach, un autre pénitencier qu’il quittera au bout de six mois. Finalement, libéré le 23 juin 1975, soit une semaine après le décès de son père, Slimane Amirat sera toujours étroitement surveillé même après sa sortie de prison. Il mènera alors, lui-même, le combat pour la libération de ses propres amis demeurés dans les geôles. Un combat de longue haleine mais il obtiendra leurs libérations tout en s’organisant dans une forme semi-clandestine jusqu’en 1989, année au cours de laquelle sont apparus le multipartisme et le pluralisme politique. Officiellement agréé en janvier 1990, le MDRA est alors découvert par toute une jeunesse ayant soif de militantisme. Ultime étape de la vie politique et publique de Slimane Amirat, l’agrément de son parti permettra à tout le peuple algérien de saisir véritablement la dimension de celui qui fut un jour accusé et traité de contre-révolutionnaire et d’agent à la solde du sionisme international. En 1991, Slimane Amirat demandera à ce que la date du 19 juin soit décrétée fête nationale et jour férié, un vœu pieu pour cet homme qui n’a jamais cherché la gloire ou une quelconque reconnaissance. Un parcours tumultueux jonché de hauts faits d’armes, mais ironie de l’histoire ou du sort de cet homme comme le rappelle ses compagnons : «Slimane Amirat a vécu plus d’années de prison dans son pays libéré du joug colonial que sous l’occupation française. Onze années sous le régime de Boumediene contre quatre ans avant l’indépendance !»

Convaincu et invaincu

Slimane Amirat a lutté corps et âme pour libérer la nation du joug colonial. Et jusqu’à son dernier souffle, il a mené une résistance autant psychique que physique. De cette conscience marquante, il a su se faire une place de choix dans le cœur et dans l’esprit de chaque Algérien. C’était un homme qui, par ses valeurs morales et ses principes, était largement estimé. Aujourd’hui, les Algériens gardent de lui cette fameuse phrase restée gravée à jamais au Panthéon de l’histoire, illustrant le grand Amour qu’il avait pour son pays et qui lui donnera cette dimension du Grand homme qu’il était : «À choisir entre l’Algérie et la démocratie, je choisirais l’Algérie.» Un homme de défi, non pas par goût mais par conviction et par son sens de responsabilités des adultes envers les générations futures. Son legs est de toujours proposer des solutions idoines et inédites dans les problèmes les plus ardus. D’ailleurs, Slimane Amirat a toujours œuvré dans l’intérêt exclusif de l’Algérie et n’a jamais ménagé ses efforts en devenant un acteur politique important et modérateur sur la scène nationale. Les Algériens ont toujours en tête le débat télévisé, où face à lui se trouvait un certain Abassi Madani, numéro un de l’ex-FIS, à qui il avait révélé certaines vérités, sans s’embarrasser outre mesure des conséquences et du danger de ce que l’intégrisme islamiste pouvait engendrer sur sa personne. Son charisme, sa stature, sa droiture, son honnêteté et sa ferveur dans la défense de ses idées pour placer «l’Algérie au-dessus de tout et avant tout» manque toujours autant aux Algériens. Cet illustre patriote s’est éteint à l’âge de 63 ans, emporté par une crise cardiaque un certain 1er juillet 1992, au moment où il venait se recueillir devant le cercueil du défunt président de la République Mohamed Boudiaf, son compagnon de toujours. Aujourd’hui, vingt cinq années après sa tragique disparition, l’évocation du nom de Slimane Amirat inspire toujours autant le respect et suscite l’admiration de tous envers un homme qui a su se dresser et se battre pour la liberté, devant les horreurs de la barbarie coloniale et devant l’offense faite à l’Algérie envahie par la France. Un révolutionnaire de la première heure qui a, à jamais, marqué l’Histoire et aujourd’hui son combat a permis à la nation de s’inscrire dans une Algérie libre et indépendante. Slimane Amirat, homme au parcours exceptionnel, s’est illustré par son héroïsme tout au long de son tumultueux combat lors de la guerre de libération nationale et jusqu’à son dernier souffle, sa patrie, aura fait vibrer son cœur meurtri par des années d’engagements fidèles à son Algérie.

Hafidh Bessaoudi

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