«Oui, l’hôpital de Bouira peut devenir un CHU»

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Dr Samir Hamadi est le président du Conseil médical de l’établissement public hospitalier Mohamed Boudiaf de Bouira. Médecin spécialiste en neurochirurgie, il revient dans cet entretien sur son plan d’action pour l’amélioration des conditions de travail au collège médical et la prise en charge des patients à l’hôpital de Bouira.

La Dépêche de Kabylie : Pouvez-vous expliquer le rôle d’un Conseil médical au sein d’une structure de santé ?

Samir Hamadi : Les conseils médicaux ont été créés en Algérie par décret ministériel paru en 2006, pour les établissements publics hospitaliers (EPH). Au fond, c’est un organe consultatif. Il émet des avis concernant toutes les questions médicales de l’hôpital. Par exemple, la prise en charge des malades, la création ou la suppression des services, le fonctionnement du bloc opératoire, des avis sur la prise en charge de certaines pathologies, l’acquisition de nouveaux matériels nécessaires pour la prise en charge des malades,… En résumé, c’est un organe consultatif et ne peut pas prendre de décisions. Le président est élu en assemblée générale du corps médical, pour un mandat de trois ans renouvelable. Il exerce dans le cadre d’une assemblée qui se tient chaque deux mois en session ordinaire, avec la présence de tous les chefs des services et du directeur de l’établissement. Nous discutons ouvertement des questions de la gestion de l’hôpital et nous transmettons nos doléances et propositions à la direction, qui en est souveraine.

Quel aperçu faites-vous des services existants à l’hôpital de Bouira ?

Organiquement parlant, nous avons uniquement six services. Il s’agit de celui de gynéco-obstétrique (maternité), celui des urgences, le service de chirurgie générale, celui de médecine interne, qui englobe toutes les spécialités de médecine chez une personne adulte. Nous avons aussi les services de pédiatrie, d’orthopédie et enfin le service d’oncologie. Créé récemment, ce dernier est un grand acquis pour la wilaya. Actuellement, pas moins de 400 patients sont pris en charge au niveau de ce service, avec une moyenne de plus de 20 malades par jour. Il faut juste préciser que, dans le cadre du fonctionnement de l’hôpital, il existe d’autres spécialités, comme la cci (chirurgie infantile), la neurochirurgie, la maxillo-faciale, l’ORL et l’ophtalmologie. Généralement, ces services sont assurés par des médecins spécialistes, affectés dans le cadre du service civil, et nous essayons de les installer dans des services déjà existants pour la prise en charge des malades, suivant le rapprochement de la pathologie. Par exemple, et quand les spécialistes de la CCI traitent un cas de traumatisme, ils hospitalisent leurs malades dans le service orthopédie.

Pensez-vous que l’hôpital de Bouira peut être promu CHU ?

Je dirai oui, car il y a une forte demande de la population, en plus des capacités structurelles. Je peux vous dire que la wilaya de Bouira possède suffisamment de structures libres pour l’installation d’un CHU au chef-lieu de wilaya. Prenez l’exemple de l’ancienne cité administrative, située sur les hauteurs de la ville de Bouira, aujourd’hui, presque entièrement abandonnée. Avec un simple projet de réaménagement, elle pourra servir pour abriter certains services. Les effectifs seront automatiquement renforcés en qualité et quantité, car la création d’un CHU passera automatiquement par la création d’une faculté de médecine à l’université. Actuellement, nous avons déjà des services à l’hôpital prêts à devenir des services hospitalo-universitaires. Pour un début, j’ai proposé de rattacher ces services à des CHU proches, comme ceux d’Alger et de Tizi-Ouzou. D’ailleurs, la proximité géographique de ces deux villes est un énorme atout. Maintenant, et pour la proposition effective, c’est aux autorités locales de la faire et de la défendre, à savoir les autorités de la wilaya, la direction de la santé et l’université.

Avez-vous prévu des opérations de jumelage avec d’autres établissements de santé ?

Oui, nous avons déjà entamé un travail pour la mise en route de deux importantes opérations de jumelage pour l’hôpital de Bouira. Nous sommes en contact avec le Professeur Ben-Tayeb de l’hôpital d’Aïn-Taya à Alger, et nous avons prévu d’organiser une rencontre pour le début du mois de septembre, afin de discuter des modalités de jumelage de nos deux services de chirurgie. Nous prévoyons aussi le jumelage du service d’oncologie avec l’hôpital de Rouiba. En principe, ces deux opérations seront mises en application à partir du mois d’octobre. Les opérations de jumelage restent de très bonnes initiatives pour améliorer la qualification de nos médecins, apporter un plus à nos techniques opératoires et, bien sûr, améliorer la qualité de notre prise en charge.

L’hôpital souffre-t-il d’exiguïté ?

Effectivement, le problème d’exiguïté s’est toujours posé à l’hôpital de Bouira, non seulement en matière de capacité d’accueil, qui ne dépasse pas les 240 lits, mais aussi des normes d’hospitalisation. La population est en croissance continue, donc il ne peut pas répondre en termes de structures à une demande de soins de plus en plus grandissante. On souhaite la réalisation de nouvelles structures pour la commune de Bouira. Aussi, nous souffrons d’un manque concernant le facteur humain, je ne pourrai vous le cacher. Il y a effectivement un manque terrible de personnel, tant médical que paramédical. Malheureusement, les écoles n’en forment pas assez. Cette année par exemple, nous n’avons eu droit qu’à onze nouveaux paramédicaux pour un hôpital de chef-lieu de wilaya ! Ce manque se répercute systématiquement sur la qualité de la prise en charge, surtout au niveau de certains services.

Plusieurs projets importants de la santé ont été gelés à Bouira. Comment s’est répercutée cette décision sur le secteur ?

Le gel de certains projets à Bouira s’est répercuté de manière directe sur la qualité de la prise en charge au niveau des structures. On aurait aimé voir certaines structures se réaliser, à l’image de l’établissement spécialisé (EHS mères et enfants) et l’EHS d’orthopédie. Ce sont des projets anciens affectés pour la wilaya de Bouira, mais qui ont malheureusement traîné et ont été gelés en 2015. Même certaines opérations d’acquisition d’équipements ont été gelées. Pire encore, certains projets, qui n’ont pas été gelés, traînent et tardent à être délivrés, comme les nouveaux hôpitaux toujours en cours de construction à M’Chedallah, Aïn-Bessem et Bordj-Okhriss.

La wilaya va bénéficier d’une nouvelle carte sanitaire. Pensez-vous que cette nouvelle démarche éliminera certaines insuffisances dans le secteur ?

Pour l’instant, nous n’avons pas pu consulter cette nouvelle carte qui, comme d’ailleurs le projet de la nouvelle loi de la santé, n’a toujours pas été adoptée à l’assemblée nationale. Mais nous souhaitons d’abord que l’ensemble des acteurs du secteur soient consultés et associés à ce projet, pour y apporter un plus qui va réellement répondre à la demande de soins de notre population. Personnellement, je pense qu’il faudra d’abord améliorer les conditions d’affectation de travail des médecins, particulièrement les spécialistes. Ces mêmes affectations ne sont soumises à aucun ordre ou logique. C’est comme ça qu’on retrouve des médecins radiologues affectés à des hôpitaux qui ne disposent pas de scanners ou de chirurgiens sans matériel de chirurgie.

En plus des problèmes sociaux et d’affectation, les médecins sont confrontés aux problèmes d’insécurité dans les hôpitaux…

Oui, effectivement, l’insécurité est devenue un problème de société en Algérie, tant elle est présente dans l’ensemble des secteurs. Malheureusement, ces dernières années, ce phénomène s’est accentué dans les hôpitaux, surtout en période nocturne. Généralement, ce ne sont pas les malades qui posent problème, ce sont leurs accompagnateurs ! Ce sont eux qui font du tapage et menacent les médecins et les infirmiers, souvent pour rien, car nous sommes obligés d’accomplir notre tâche. En plus, ce problème s’est aggravé dans notre secteur, car la grande majorité de nos effectifs sont des femmes. Certaines de nos collègues ont fait face à des situations très graves au niveau du pavillon des urgences. Les cas d’agressions physiques et morales sont devenus monnaie courante dans notre hôpital, particulièrement aux urgences.

Un dernier mot…

Je lance un appel à la population de Bouira pour s’organiser et sauvegarder les acquis dans le secteur de la santé de notre wilaya. Il faut que la population soutienne le corps médical, car nous faisons face à des situations très difficiles, et il n’y a que les professionnels de la santé qui sont conscients de ces problèmes. Grâce à l’engagement et l’abnégation des médecins de l’hôpital de Bouira, nous avons réussi à réaliser beaucoup de choses, malgré l’absence totale de moyens. Nous accusons beaucoup d’insuffisances et un grave manque d’organisation. J’appelle, donc, nos concitoyens à plus de compréhension et de soutien de leur part. Il faut éviter de se lancer dans des préjugés, comme le font certains médias, qui veulent faire de nous des boucs émissaires pour couvrir la défaillance de tout un système de santé.

Entretien réalisé par Oussama Khitouche

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