«Le montage auto, l’énergie renouvelable et l’artisanat kabyle»

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à travers cet entretien exclusif accordé à La Dépêche de Kabylie, son excellence Masaya Fujiwara, Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Japon en Algérie, fait le point sur son dernier séjour à Tizi-Ouzou et évoque les secteurs qui suscitent l’intérêt de son pays pour asseoir une coopération durable entre les deux pays. «Le Japon est décidé à faire de l’année 2017 l’année de l’essor pour les relations bilatérales» avec l’Algérie.

La Dépêche de Kabylie : C’est normalement votre première visite en Kabylie. Comment l’idée vous est-elle venue ? Masaya Fujiwara : Oui effectivement, c’est ma première visite en Kabylie. J’ai déjà visité l’Est, l’Ouest et le Sud algériens, mais je n’ai pas eu la chance de visiter la Kabylie. Elle n’est pas loin d’Alger, c’est une région riche, avec beaucoup d’histoire, de la culture et une civilisation particulière. C’est ce qui a suscité ma curiosité et mon intérêt. C’est désormais fait, j’ai les deux pieds à Tizi-Ouzou.

Et qu’est-ce que cela vous inspire comme premier sentiment ?

Peut-être quelques similitudes avec le Japon rural ? Oui oui, un peu et je dirais même beaucoup. Ce sont des régions lointaines l’une de l’autre, il y a beaucoup de différences sur le plan culturel et civilisationnel, mais en même temps, je vois pas mal de similitudes. Le Japon est un pays montagneux, une bonne partie de la population vit dans les montagnes. Et dans de pareilles zones, les gens vivent de l’agriculture, ils n’ont pas d’autres choix, ils travaillent les champs et cultivent beaucoup de produits agricoles. C’est un peuple attaché à la terre. En Kabylie, je vois beaucoup de produits agricoles aussi, de l’artisanat… Ici aussi, comme chez nous au Japon, les traditions et la culture sont bien maintenues. C’est surtout à ce niveau-là que les similitudes sont frappantes.

En matière d’investissement, quelles filières vous inspirent des projets à envisager éventuellement en Kabylie ? Cette visite est une première pour moi, c’est plus une visite d’inspection et j’avoue qu’elle me donne des enseignements et je vois pas mal de possibilités pour l’avenir. Petit à petit, je voudrais faire avancer les choses, notamment dans le domaine artisanal où je vois pas mal de possibilités d’échanges. Au Japon aussi on a pas mal d’expérience en la matière, je veux dire dans le domaine de l’artisanat. Chaque région, chaque ville entretient son propre artisanat et sa production et on maintient toujours cette tradition. C’est vraiment un atout.

L’artisanat est lié au tourisme, vous pensez aux échanges dans ce domaine ?

Si l’on remonte dans l’histoire des deux pays, vers les années 70 et 80, il y avait plus de 3 000 Japonais qui habitaient en Algérie. Avant la décennie noire, il y avait aussi beaucoup de Japonais qui visitaient l’Algérie et certains d’entre eux choisissaient la Kabylie. Les atouts touristiques existent toujours dans cette région. C’est une belle région avec beaucoup de sites et beaucoup de potentialités. La seule préoccupation c’est dans le domaine et la situation sécuritaires. C’est un des objectifs de ma visite aussi. J’aimerais m’enquérir de la situation et constater par moi-même son évolution.

Et quelle a été votre conclusion sur le sujet ?

Vous savez, les Japonais se souviennent encore de l’incident de Tiguentourine, il y a quelque quatre ans de ça. Il a eu pas mal d’impact. Le Japon et l’ambassade avaient alors décidé d’élever le niveau des consignes de sécurité. Depuis, on a suivi de près la situation sécuritaire et on a senti une sensible amélioration. Dernièrement, on a d’ailleurs diminué le niveau de l’alerte à l’ambassade.

Vous avez rencontré pas mal de personnalités lors de cette visite. Pourriez vous nous en dire un peu plus ?

Hier (ndlr lundi dernier), j’ai effectivement rencontré le wali et des représentants de la CCID (Chambre de commerce et de l’industrie du Djurdjura ndlr). On a discuté des possibilités de partenariat à l’avenir sur le plan économique entre le Japon et la région de Kabylie. Justement, on a parlé globalement de projets de montage de voitures de marques japonaises, comme Nissan, Suzuki, Toyota, les camions Hino et Mitsubishi ici en Algérie. Si ces marques japonaises s’implantent en Algérie, cela contribuera à la création de l’emploi ainsi qu’au développement de sous-traitances du secteur de l’automobile qui est lié à beaucoup d’autres secteurs. Nous espérons que petit à petit nous développerons cette sorte d’industrie automobile.

Peut-on avoir un aperçu sur votre échange avec monsieur le wali ?

On a évoqué en gros les sujets, c’est une première rencontre, on a convenu qu’il y a beaucoup de possibilités dans le domaine du tourisme, des produits locaux, mais aussi dans l’agroalimentaire. Je vois beaucoup de produits de bonne qualité qui ne sont pas bien connus en dehors de la Kabylie, c’est aussi le cas au Japon. Il faut promouvoir ces produits locaux pour qu’ils soient mieux connus.

Qu’en est-il de vos échanges avec le recteur de l’université ?

On a surtout discuté de partenariat à concrétiser dans le domaine de la coopération entre l’université de Tizi-Ouzou et les nôtres, je veux dire avec les universités du Japon. A ce sujet, il faut savoir que le Japon a déjà des projets de coopération avec d’autres universités d’Algérie, notamment dans le domaine du développement de l’énergie renouvelable avec l’université d’Oran. A Alger, on a aussi quelques projets de coopération sur la technique antisismique. C’est un début et on peut bien identifier à l’avenir d’autres domaines de coopération entre les universités japonaises et algériennes.

On croit savoir que vous avez offert six bourses à l’université de Tizi-Ouzou…

On n’a pas de quota fixe, mais chaque année, on reçoit quatre à cinq étudiants algériens de très bon niveau qui viennent au Japon par le biais de ces bourses que nous offrons. L’université japonaise est ouverte à tous les étudiants algériens. L’université de Tizi-Ouzou est une bonne université, d’un très bon niveau. A l’avenir, les étudiants de l’université de Tizi-Ouzou iront donc étudier au Japon.

Vous vous êtes aussi entretenu avec le président de la chambre du commerce et de l’industrie…

On a discuté d’une idée d’échange. On a discuté des avantages comparatifs du côté du Japon et des besoins du côté de Tizi-Ouzou. On a surtout évoqué la nécessité de la formation professionnelle. A titre d’exemple, si l’industrie de l’automobile s’installe en Algérie, il va falloir beaucoup d’efforts pour la formation du personnel qu’il soit administratif ou ouvrier. Il va falloir aussi une formation de très haut niveau pour les techniciens et chefs d’usines. Pour ça aussi il y a un programme qu’on peut partager et envisager sérieusement au niveau du gouvernement. Nous devons réfléchir à la manière de concrétiser cette éventuelle coopération.

Y a-t-il une communauté algérienne établie au Japon ?

Oui, au jour d’aujourd’hui, on compte quelque 200 Algériens au Japon. Ils ne sont certes pas nombreux, ce sont des étudiants et des stagiaires, mais leur présence en terre japonaise est bien réelle et on est honorés de les avoir chez nous. Ils suivent des formations dans le cadre de la coopération technique dans le domaine de l’environnement, du transport, de l’infrastructure et divers domaines encore.

Quelle estimation faites-vous du marché japonais en Algérie ?

L’Algérie est un grand marché pour le Japon, c’est une porte pour l’Afrique aussi. C’est le quatrième pays comme partenaire du Japon en Afrique. Surtout dans le domaine de l’automobile, c’est le deuxième marché africain après l’Afrique de Sud. Et je dois dire que nous sommes conscients de la nouvelle politique algérienne qui est de diversifier l’économie, diminuer l’importation et développer la production locale et l’exportation, à ce titre, on va essayer de travailler ensemble et voir comment on pourra contribuer à cette diversification projetée de l’économie algérienne.

Mais en Algérie, on constate plus la présence chinoise que japonaise, c’est dû à quoi à votre avis ?

Je pense que chaque pays a sa propre stratégie et ses propres avantages comparatifs. Oui, les Chinois ont pris de l’avance en Algérie, si l’on parle du marché des travaux publics et de la construction. Mais si on parle de produits de pointe de haute qualité et des hautes technologies, ce sont plutôt les Japonais qui disposent d’un meilleur avantage comparatif. Donc, chacun joue son rôle dans le domaine où il a une technique plus développée.

Pour le moment il n’y a pas de liaison aérienne directe entre l’Algérie et le Japon ?

Non, il n’y en a pas. D’abord il faut renforcer nos échanges et développer les liens économiques. Si le nombre d’Algériens au Japon augmente et vice versa, on pourrait alors envisager une ligne aérienne ou autre directe. Justement, on veut faire de cette année 2017, qui coïncide avec le 55ème anniversaire des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Japon, une année d’essor pour l’avenir. Il y a une réelle dynamique qui s’est installée et on veut bien aller de l’avant vers plus de partenariat et d’échanges.

Est-ce que vous confirmez l’existence d’un grand marché d’énergie renouvelable dans le désert algérien où les Japonais compteraient investir ?

On a fait cinq ans de projet de coopération avec l’université de science et technologie d’Oran, on a bien développé la technologie et à partir du sable du Sahara on produit du silicium qui peut être un élément de la photovoltaïque. On a bien travaillé et formé des ingénieurs et on a bien terminé avec le succès de ce premier projet de coopération dans le domaine de l’énergie renouvelable.

On a entendu parler d’un écrivain japonais qui a fait une étude sur les Berbères…

Il y a des chercheurs japonais spécialisés dans la littérature algérienne. Parmi eux, il y a effectivement des spécialistes de la culture berbère. Non seulement sur la littérature mais aussi sur la culture, le mode de vie et la civilisation berbères.

Est-ce que les Japonais connaissent un peu la culture berbère ?

La culture berbère n’est généralement pas connue des Japonais, mais les gens qui s’intéressent à cette culture commencent à chercher dans le domaine de la littérature.

Peut-être un mot en berbère pour clore cet entretien ?

Ah oui !!! Azul !

Entretien réalisé par Djaffar Chilab.

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