Un quiproquo qui dure depuis… 3 ans

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Le bras de fer entre les bénéficiaires de lots de terrains au niveau du littoral de l’Est de Béjaïa et les défenseurs de la bande boisée, ombrageant ce littoral, semble s’éterniser.

D’un côté, des investisseurs qui ont implanté, pour certains, leurs chantiers, et d’un autre, des citoyens déterminés à refuser la réalisation d’hôtels au détriment de la bande boisée qui sera, conséquemment, sacrifiée. La dernière action en date est la fermeture de la RN9, dimanche dernier, par les habitants de Souk El Ténine qui, à l’appel du collectif des associations, ont décidé d’investir, pour la énième fois, la rue. Une action qui intervient suite au refus du wali de recevoir leurs délégués qui voulaient s’enquérir de la suite réservée par les autorités à ce problème. Ce sont ceux de la commune voisine d’Aokas qui ont été les premiers à dénoncer ce qu’ils avaient qualifié, à l’époque, de « projet dévastateur ». De fermeture de route aux marches citoyenne, tout a été fait pour bloquer le projet de réalisation de la zone touristique d’Aokas et par la même occasion celle de la commune voisine de Souk El Ténine. D’actions en actions, les communautés d’Aokas et Souk El Ténine, menant le même combat, se sont constituées en une sorte de collectif qui se concerte en toute occasion après la grandiose marche organisée conjointement à partir des chefs-lieux des deux communes pour se rencontrer à la frontière et au niveau même de cette bande boisée afin de débattre avec toute la population venue massivement soutenir ce genre d’actions dans un intérêt collectif. En effet, les deux zones d’expansion touristique (ZET) retenues pour les communes d’Aokas et Souk El Ténine prévoyaient la réalisation de près d’une vingtaine de structures hôtelières, et les défenseurs de la nature, craignant pour la bande boisée longeant le littoral, ont réagi en multipliant les actions de protestation. Malgré cette opposition, ils sont unanimes à soutenir le fait que personne n’est contre un investissement productif mais à la condition de ne déraciner aucun arbre de cette bande boisée constituée de milliers d’arbres plantés bénévolement, en 1964, dans le cadre de la réalisation du projet populaire de la fameuse DRS (direction de reboisements des sols) de l’époque. C’est le cas de l’édile communal de Souk El Ténine, Omar Amari, qui sera clair à ce sujet. «On n’est pas contre l’investissement qui reste la base de développement de la commune mais à la condition qu’il soit digne, pas quelconque. Et pour le cas de ces investissements touristiques, il faut qu’ils soient faits dans le cadre d’une étude et d’un aménagement global sans abattre les arbres. Il faut que les gens sachent aussi que les fameuses ZET ont été annulées et que les lots attribués par le Calpiref permettront aux bénéficiaires de réaliser n’importe quel projet touristique sans se référer à un quelconque cahier de charges», informer-t-il.

Rester dans la ZET mais… sans projets !

À en croire les déclarations du maire de la station balnéaire de Souk El Ténine, les deux zones d’expansion d’Aokas et Souk El Ténine ont été annulées mais les bénéficiaires de lots de terrains restent, car ils les ont eus via le Calpiref. Il est utile de souligner que ces zones ont été approuvées par l’APW en mars 2012. La présentation des plans d’aménagement des zones d’expansion touristique d’Agrioun (Souk El Ténine) et d’Aokas a été faite à l’époque en session de l’APW, par le directeur général et le chef de projet de l’Agence nationale de développement touristique (ANDT). Nous avions rapportés dans ces mêmes colonnes qu’élaborés simultanément, en cinq phases, entre 2002 et 2006 dans le cadre du schéma directeur d’aménagement touristique pour promouvoir l’option de substitution aux hydrocarbures, les plans de ces deux ZET, à l’instar des vingt autres de la première tranche prévues au niveau des autres wilayas du pays, font partie du premier lot des quatorze zones que comptera la wilaya de Béjaïa à l’horizon 2030, sur les 205 dont 160 côtières prévues à travers le territoire national. Mais, depuis, il y a d’autres aléas et des oppositions citoyennes ayant pris connaissance de l’attribution de terrains sans aucune transparence. Techniquement, les représentants de l’agence de développement touristique avaient présenté des chiffres qui parlent d’une implantation sur 93 hectares dont 43 aménageables. Les zones d’expansion touristique de ces deux communes limitrophes, avec leurs différents hôtels, centres balnéaires, d’hébergement, de loisirs, complexes résidentiels et commerces, une vingtaine de projets au total, offriront plus de 2400 lits avec une densité variant entre 48 et 64 lits par hectare, de loin inférieure à celle de l’Espagne actuellement, et engendrera plus de 4000 emplois directs et indirects, selon l’étude présentée à l’époque. De son côté, la commission du tourisme de l’APW a présenté un rapport englobant quelques réserves. C’est dans ce cadre que les représentants de l’ANDT avaient reconnu qu’effectivement l’oued Agrioun a quitté son lit entrant de plain-pied dans la surface réservée à la zone aménageable créant une zone inondable de deux hectares laquelle a été incluse dans le projet sous forme de forêt récréative dans où il est prévu la plantation d’arbres qui seront déracinés ailleurs et qui servira de zone tampon entre l’oued Agrioun et le reste de la zone touristique.

Les bénéficiaires tentent de convaincre

Depuis l’entame des actions de contestation, il a toujours été souligné que les projets de développement économique et durable respectueux de l’environnement seront accueillis à bras ouverts contrairement à ceux qui seront la cause de la prédation et de la destruction de la nature. Un motif invoqué pour forcer les pouvoirs publics à revoir leur copie en matière d’attribution de lots de terrains sans que la population ne soit consultée. D’ailleurs, c’est la conclusion tirée de la déclaration de Lyes Touati, animateur du collectif de protection de la bande boisée d’Aokas. En accusant l’administration de ne pas avoir travaillé dans la transparence pour le cas de ces projets touristiques, il s’interrogera sur le mutisme du wali qui avait pourtant promis, lors de sa rencontre avec les représentants du collectif, de soumettre ces projets, lesquels seraient présentement gelés, à une enquête publique en plus d’une concertation avec le mouvement associatif. «Mais, plus grave, enchaînera-t-il, c’est que, aujourd’hui, non seulement le wali n’a pas tenu sa promesse mais c’est que certains pseudo-investisseurs font fi des contestations citoyennes en continuant à extraire du sable à Souk El Ténine, pour entamer les travaux». Pour lui, le collectif de protection de la bande boisée compte se réunir aujourd’hui samedi pour décider de la démarche à entreprendre afin de parvenir à la résolution de ce problème de projets d’hôtels qui menace la survie de la bande boisée, considérée comme le poumon de la commune et dont la disparition aura un impact écologique, environnemental et de santé publique sur la population. De leur côté, les bénéficiaires de parcelles de terrain, au niveau du littoral allant d’Aokas à Melbou, ont, via les réseaux sociaux, fait part de leur intention d’investir dans le cadre d’un intérêt général sans déraciner aucun arbre ni porter atteinte à autrui. Une façon de sensibiliser la population et la ramener à la raison pour qu’ils puissent, enfin, entamer les travaux de réalisation de leurs projets. Mais à lire les commentaires, on devine aisément que les citoyens sont majoritairement contre, au motif principal que tout a été fait dans l’opacité la plus totale. C’est ce qu’insinuera Mahmoud, un citoyen de Souk El Ténine, rencontré lors de la dernière manifestation : «Mais qui a décidé des personnes qui doivent être retenues pour ce genre d’investissements et qui les a informés de l’existence de ces projets?» fulminera-t-il. Pour étayer ses propos, il s’expliquera en rappelant qu’à Constantine, Sétif, Alger ou Oran, ce sont les grands groupes hôteliers qui y ont investi en y réalisant de grands hôtels et de renommée alors qu’à Béjaïa, on a attribué en catimini des terrains à des gens dont certains n’ont aucun rapport avec le tourisme. Pourtant, vis-à-vis de la loi, ces bénéficiaires ont présenté des dossiers qui ont été avalisés par le Calpiref dans lequel siège le maire de la commune concernée. Quelle sera la suite que comptent donner les autorités compétentes à ce quiproquo qui dure depuis trois longues années ?

A. Gana

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