«Nadia doit savoir que je ne ferme pas la porte»

Partager

à travers cet entretien, Malika Matoub aborde tous les sujets en référence à la cause Matoub, les festivités en préparation pour le 25 juin, mais aussi sa relation tumultueuse avec sa belle-sœur Nadia et répond à ceux qui l’accusent de s’enrichir sur le dos de son défunt frère…

La Dépêche de Kabylie : Vous venez d’introduire une requête auprès du procureur de la République. Peut-on connaître les motivations ?

Malika Matoub : Via cette requête, nous avons demandé la réouverture du dossier Matoub, après qu’il y a eu de nouveaux éléments inhérents à la déclaration du chanteur Zedek Mouloud. C’est une déclaration gravissime, 20 ans après, et nous considérons que, venant d’une personnalité artistique comme lui, nous ne pouvons pas la prendre à la légère. Nous la considérons gravissime, en raison de la teneur des propos, puisqu’il déclare être arrivé sur les lieux moins de dix minutes après l’assassinat de Lounès et qu’il y avait déjà la gendarmerie sur les lieux, le corps gisait par terre… Vous savez, s’il confirme cette déclaration, ça sous-entend beaucoup de choses. Beaucoup de questionnements nous viennent à l’esprit, car mathématiquement, il est impossible aux services de sécurité d’être sur les lieux dix minutes après l’assassinat, qu’ils soient venus de Béni Douala ou de Tizi-Ouzou, il est logiquement impossible d’arriver sur les lieux dans ces délais-là. Donc, pour nous, c’est un nouvel élément qui mérite d’être ajouté au dossier. Zedek doit expliquer sa déclaration devant le tribunal, car il est question d’une affaire criminelle et non d’un simple délit. Ce n’est absolument pas une petite affaire judiciaire, il s’agit de mort d’homme et on ne joue pas avec ce genre d’affaires.

Que cherchez-vous exactement auprès de Zedek Mouloud ? Avez-vous parlé avec lui avant de déposer la requête ?

Ce n’est pas à moi de chercher quoi que ce soit auprès de Zedek Mouloud, c’est aux juges de le faire. Zedek Mouloud lui-même a déclaré dans l’interview accordée à Berbère Télévision qu’«il y a des choses qu’on verra après». Donc, moi je veux qu’il soit entendu dans ce dossier. C’est un élément de plus pour éclairer l’opinion et éclairer la justice sur cette affaire. En ce qui nous concerne, nous avons déjà cité 50 personnes à témoigner et Zedek Mouloud vient donc de se rajouter dès lors qu’il a fait des déclarations qui sont, pour nous, des propos qui doivent être pris en compte, donc entendus par la justice. Moi je pose la question dans son sens inverse : Est-ce que Zedek Mouloud a parlé avec moi depuis 20 ans en arrière, avant de dire ce qu’il a dit publiquement ?

Qu’attendez-vous d’un procès déclaré officiellement clos par les autorités judiciaires après la condamnation de Chenoui et Medjnoun ?

Effectivement, ils ont annoncé que le dossier était clos, mais le procès de 2011 fut le procès de Chenoui et Medjnoun et non pas le procès Matoub Lounès. Je vous rappelle que le président du tribunal de l’époque était assez clair à ce sujet, d’autant qu’à aucun moment de ce procès de 2011 le nom de Matoub Lounès n’a été prononcé. Donc, à mon sens, on ne peut pas parler d’un dossier clos puisqu’il n’a jamais été traité comme tel. Lors de l’audition de Chenoui et Medjnoun, le nom de Matoub Lounès n’a pas été prononcé ne serait-ce qu’une seule fois. C’est pour cela d’ailleurs qu’en notre qualité de partie civile, nous nous sommes retirés du tribunal. C’est tout cela qui renforce en nous la conviction qu’un jour ou l’autre, le crime commis contre mon frère sera jugé. Sachez en tout cas que nous ne lâcherons pas cette affaire. Nous sommes par contre convaincus que tant qu’il n’y a pas de volonté politique pour rouvrir le dossier Matoub, il connaîtra le même sort que les autres dossiers similaires. Néanmoins, nous, en tant que famille, nous continuerons à réclamer un véritable procès pour l’assassinat de mon frère. Maintenant, tout ce qui se dit à propos de la clôture du dossier n’est que littérature. Pour la famille Matoub, le procès de mon frère n’a pas encore eu lieu. Je ne le dirai jamais assez : tant qu’il n’y a pas de volonté politique, ce procès ne verra pas le jour. Ce que nous cherchons, ce n’est pas la couleur politique qui serait derrière cet assassinat, nous voulons savoir qui l’a assassiné, comment et pourquoi on l’a assassiné. Nous voulons que cette affaire soit traitée dans le chapitre de la criminalité et non pas celui de la politique. Mais tant qu’on ne connaît pas le mobile de l’assassinat, cette affaire restera floue.

Qu’en est-il du sort de l’expertise effectuée par des étrangers ?

Le groupe d’experts étrangers que nous avons sollicité a rendu ses conclusions. Il y a un rapport qui nous a été remis et nous comptons le verser dans le dossier à sa réouverture par le tribunal. Les experts ont effectué leur expertise suivant les normes internationales exigées dans pareilles affaires. Maintenant, quant à sa légalité ou pas sur le plan judiciaire algérien, nous le saurons une fois que nous l’aurons versée au dossier. Et dans le cas où elle est refusée, les autorités judiciaires de mon pays seront dans l’obligation d’effectuer leur expertise, et ça sera notre condition à nous. D’aucuns savent que cette expertise fut axée sur la reconstitution des faits et sur l’étude balistique que les autorités judiciaires de mon pays n’ont jamais accepté d’effectuer, en dépit de nos moult demandes. Ce que nous demandons est légitime, que ce soit pour nous, en tant que famille victime, ou pour l’opinion publique qui est en droit de savoir. En plus de cette expertise et du nouvel élément produit par les déclarations de Zedek Mouloud, nous avons d’autres éléments à verser au dossier, mais que nous tenons à garder secrets pour les besoins du procès. Une chose est certaine, nous n’allons pas abdiquer et nous continuerons à réclamer la tenue du procès Matoub Lounès. Même s’il ne devait jamais y avoir de procès, nous, nous continuerons à réclamer la vérité ne serait-ce que pour l’Histoire. Il ne faut pas, non plus, perdre de vue qu’il y a eu quelques surenchères politiques à ce sujet, parmi lesquelles ceux qui disent qu’ils vont déposer ce dossier auprès des instances internationales et d’autres informations non-assumées… Tout cela n’est que du vent. Ils utilisent l’affaire Matoub Lounès comme marchepied et veulent récupérer ce public auquel Lounès appartient. Concrètement, qui est-ce qui réclame la vérité sur l’assassinat de Matoub Lounès hormis sa famille ? Mais concrètement, depuis 20 ans, qui est-ce qui se bat pour cette vérité ? C’est la famille de Lounès. Point ! Personne d’autre. Je n’ai jamais été approchée par un parti politique ou un groupe structuré me disant par exemple «Tenez, on met à votre disposition un collectif d’avocats ou d’experts». Personne n’est venu nous voir ! Tout ce que nous faisons, nous le menons seules. Pour que nous puissions faire notre deuil, pour que les fans de Lounès aient enfin l’esprit apaisé, il faut que l’appareil juridique fasse son travail convenablement. Le crime commis contre Lounès doit être pris en charge par des compétents, et non pas par des éclats médiatiques. Lounès a une aura internationale. Et le monde nous observe et cette affaire est suivie même en dehors de nos frontières. Il y a eu d’ailleurs des ONG qui ont fait des rapports et d’autres qui ont écrit aux hautes instances du pays, je citerai Amnesty International et d’autres ONG, mais cela ne devrait pas sortir du cadre de la recherche de la vérité. Je ne voudrais pas être un instrument de qui que ce soit. Il ne faut pas perdre de vue que sur le plan international, il y a des enjeux qui nous dépassent, c’est pour cela que nous restons sur nos gardes pour que l’affaire Matoub ne soit pas instrumentalisée par un groupe ou un autre. Certains groupes, pour ne pas dire des ONG, ont tenté d’inclure l’affaire Matoub Lounès dans un cadre global, celui inhérent à la décennie noire, d’autres ne veulent pas que ce dossier soit traité par l’Etat algérien… Si ces ONG manifestent réellement leur sincérité dans cette affaire, nous devons, nous en tant que famille de Lounès, être soutenues par nos ONG, à l’instar des ONG des droits de l’Homme ou des personnalités politiques. Hélas, au jour d’aujourd’hui, tout ce qui se fait, nous le faisons seules, bien que nous les ayons sollicités.

Et Nadia dans toute cette affaire, quelle est sa position, que fait-elle, qu’est-ce qu’elle en pense ? êtes-vous en contact ?

Il faut lui poser ces questions à elle… Que voulez-vous que je vous dise sur elle ? Si Nadia veut venir, qu’elle vienne, si elle ne le veut pas, c’est son choix. De toute façon, elle a déclaré sur Berbère TV qu’elle est une personne libre. Elle a dit ceci : «Moi, je suis une femme libre, je ne veux pas qu’on m’impose une démarche», et je ne peux que respecter son choix. Quant à sa démarche, je ne peux rien deviner, puisqu’elle ne m’en a jamais parlé.

Qu’en est-il des personnalités du monde de l’art et de la culture qui devaient initialement s’associer à la création de la Fondation Matoub Lounès ?

Ça, c’était la déclaration préliminaire faite à l’hôtel Lalla Khedidja par ma belle-sœur. Au final, nous avons constaté que ce sont des noms qui ont été avancés sans qu’il y ait suite ou sans que ces personnes ne se manifestent. En ce qui nous concerne, à la tenue de notre première assemblée dans la maison familiale à Taourirt Moussa, nous avons bien expliqué que la Fondation Matoub Lounès n’est pas une Fondation d’élites, mais une Fondation populaire. Maintenant, l’aura internationale de ses œuvres et de ses idéaux est un fait, quant au travail de mémoire, d’archive, etc. il doit être mené ici à Taourirt Moussa, lieu de naissance et lieu d’où est parti le combat de Lounès. La Fondation s’est et s’adapte toujours à l’environnement de la Kabylie, cela veut dire que quand une personne ou une personnalité veut revisiter ce que Lounès a légué sur le plan artistique, elle doit se déplacer au village. Je dois vous signaler que nous recevons au quotidien une moyenne de 80 personnes. La Fondation n’est pas confinée à Taourirt Moussa, comme le laissent entendre certains, mais elle y est protégée. Si la fondation avait son siège à Tizi-Ouzou ou ailleurs, elle serait dépersonnalisée dans la mesure où elle serait beaucoup plus vulnérable devant ceux qui chercheraient à lui nuire. Ici au village, tout le monde s’érige en garde-fou de la mémoire de Lounès. Si je commets un impair, je sais que le village me mettra en quarantaine et cela voudra dire que j’aurai failli à la mémoire de mon frère.

Pensez-vous qu’il existe réellement des menaces sur la Fondation ?

Bien sûr ! C’est une Fondation qui dérange, car elle est basée sur la défense de la mémoire de Lounès Matoub et seulement ça. Elle dérange, car elle n’a pas d’autres prétentions, ni partisanes ni claniques, encore moins pour plaire. Si vous voulez, l’existence de la Fondation est une revanche sur la mort de Lounès. Déjà par le fait qu’elle soit abritée dans sa maison, cette dernière n’est pas et ne sera jamais fermée. L’existence de la Fondation Matoub nous a beaucoup aidés, ma mère et moi, à surmonter la disparition de Lounès, car on continue à travailler pour cette mémoire. Cela nous aide, parfois, à oublier qu’il est mort.

Beaucoup disent que Malika s’est fait un nom et s’est fait beaucoup d’argent sur le dos de son frère…

J’ai conscience de ces rumeurs, je les ai entendues maintes fois. En ce qui concerne mon nom, je l’ai de mon père, je suis la fille d’Omar Ath Lounis. Ceux qui me connaissent peuvent témoigner que j’étais militante dans les comités universitaires. Le 25 juin 1998, quand mon frère fut assassiné, cela m’est tombé dessus, je n’ai pas choisi d’être à la place dans laquelle je suis depuis cette date. Je suis sa sœur unique. Il est de mon devoir de m’occuper de la mémoire de mon frère sans chercher aucune gratification. Ceux qui disent que je me suis enrichie sur la mémoire de mon frère, n’ont qu’à venir vérifier par eux-mêmes. Je les défie. Mon garçon, qui a l’âge de la disparition de Lounès, m’a dit dernièrement ceci : «Tu sais maman, on n’a jamais eu de mère, on a toujours eu la sœur de Matoub», c’est vous dire à quel point j’ai délaissé tout, y compris ma petite famille, pour me consacrer à la préservation de la mémoire de mon frère, à m’occuper de la quête de la vérité sur son assassinat. J’ai un magister en droit, et avec le nom que je porte, j’aurais ouvert un cabinet d’avocate et me serais fait beaucoup d’argent. Mais je suis riche d’être la sœur de Lounès, je suis très riche parce que j’ai acquis des valeurs. Ceux qui étaient derrière ces rumeurs ont fini par être souillés publiquement par de scandaleuses affaires de détournement d’argent et de corruption qui ont touché y compris leurs enfants. Ceux qui ont effectivement voulu utiliser la mémoire de mon frère comme tremplin politique, le temps les a dévoyés. Ce sont leurs noms qui sont étalés sur la place publique, ce sont leurs enfants qui sont impliqués dans des cartels. Je défie quiconque qui m’accuse à venir vérifier mes comptes. J’ai voué ma vie et celle de ma petite famille à mon frère, non pas seulement pour la recherche de la vérité, mais aussi pour la pérennité de sa mémoire. Même si la vérité ne verra jamais le jour, il y aura la pérennité de sa mémoire.

Où en êtes-vous avec les démarches en vue de classer la maison de Lounès ?

Notre démarche vise surtout à faire de cette maison un bien au droit inaliénable. Ainsi, aucun des ayants-droit n’a le droit de changer quoi que ce soit à l’intérieur. Il est vrai qu’en Kabylie, il est très dur d’accepter de convertir son propre bien en patrimoine appartenant à l’Etat, mais là c’est le choix de ma mère et le mien. Quant au musée, c’est une autre étape dans les démarches que nous entreprenons auprès des autorités locales pour qu’on nous attribue les salles de classes qui jouxtent la maison pour une extension de celle-ci, en vue d’ériger un musée. Les démarches sont en cours. Je suis gardienne de la mémoire et des biens de mon frère que je vais restituer à son idéal. C’est là ma manière de voir les choses.

Qu’en-est-il de l’opposition de Nadia ?

J’espère que Nadia reviendra à de meilleurs sentiments. Elle doit savoir que je ne ferme pas la porte. Je me dis qu’il y a peut-être une incompréhension vis-à-vis de notre démarche, j’en suis même sûre, car toutes ces démarches sont des démarches nobles de la part de la famille. Certes, il y a eu des gens qui ont tenté d’interférer de part et d’autre, mais je crois que 20 ans après, que ça soit Nadia ou moi, on a acquis une certaine maturité et expérience, mais du recul surtout. D’ailleurs, à présent, on sait qui est qui. De par le monde, des pays se sont fait la guerre, mais ils ont fini par se mettre autour d’une table et discuter. La souffrance que nous portons toutes les trois n’est pas exclusive à l’une de nous, elle est partagée et portée par chacune à sa manière. Moi et Nadia, il y a plus de choses qui nous lient que celles qui nous divisent. Celui qui nous lie principalement c’est Lounès Matoub qui repose six pieds sous terre, alors nous n’avons pas le droit de lâcher. Il y a certaines choses sur lesquelles nous nous entendons tacitement. Nous devons continuer à travailler à préserver sa mémoire, à faire éclater la vérité. L’un des sujets que je compte d’ailleurs discuter avec Nadia, si on arrive à se rencontrer, c’est le sort de l’œuvre artistique de Lounès pour qu’elle devienne un bien de la Fondation. Je dois dire que nous sommes dans une société de machos, et nous, nous sommes des femmes. Moi, en tout cas, je suis prête à tout, y compris à m’incliner en supportant toute seule le fardeau. Je ne vois aucun inconvénient à m’afficher avec ma belle-sœur. Quant à ce qui empêche notre rencontre, croyez-moi, je l’ignore. Pour ce 25 juin, j’invite tous ceux qui ont partagé un moment avec mon frère à venir et je serai là à les recevoir, même ceux que je n’aime pas aujourd’hui. Loin de moi de faire allusion à Nadia.

Entretien réalisé par M. A. Temmar

Partager