Une pratique banalisée en expansion

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Les constructions illicites à travers la wilaya de Bouira sont légion. Pas un quartier, ni aucune ville ne sont épargnés par cette anarchie qui, en plus de défigurer l’aspect esthétique urbain, compromet la vie et la sécurité des riverains ou des passants.

Pourtant, au vu des chiffres fournis par la direction de l’urbanisme et de la construction et de l’habitat de Bouira, il apparait que le nombre d’infractions constatées sont bien en deçà de la réalité. Et pour cause : les PV sont essentiellement dressés en milieu urbain. Rares sont les villages reculés en milieu rural à être ciblés par les brigades de contrôle. De plus, ces brigades de l’urbanisme interviennent uniquement lorsque des plaintes ou des écrits sont adressés aux services de la DUC. Hélas, bien souvent, les agents se déplacent et ne trouvent personne sur les chantiers. Les riverains refusent de donner le nom du propriétaire ayant engagé les travaux. De ce fait, recenser les contrevenants relève d’un véritable parcours du combattant avec d’un côté, l’envoi de lettres anonymes dénonçant des infractions et d’autre part, le refus des riverains de donner des informations sur la personne entamant une construction. Au centre-ville de Bouira, on peut remarquer que certaines de ces constructions anarchiques enlaidissent l’aspect urbain et handicapent sérieusement la circulation, piétonne notamment. C’est le cas d’un espace entre deux immeubles sis à l’ex-gare routière de Bouira, occupé par une sorte de remise appartenant à un commerçant. Un lieu servant d’entrepôt qui, à l’origine, devait recevoir des escaliers pour accéder à la rue supérieure au-dessus des bâtiments. Un exemple parmi tant d’autres.

Des agents habilités à constater les infractions désignés par arrêté du wali

Au niveau de la Direction de l’Urbanisme, de la Construction et de l’Habitat, plus précisément au service de l’urbanisme, on nous affirme que les procédures sont rigoureusement suivies avec la liste des agents habilités à constater les infractions des constructions illicites : «Il y a l’arrêté n°2907 du 16 Juillet 2015 signé par l’ex wali Maskri arrêtant la liste des agents habilités à constater les infractions et à recenser les constructions illicites. Des infractions qui ont pu être constatées par nos agents grâce à des écrits de l’APC ou par des plaintes de citoyens qui dénoncent leurs voisins car la construction en question engendre des désagréments, voire des risques, selon l’ampleur des travaux qui se font sans permis de construire ou ne respectant pas le permis de construire. Ces agents se déplacent ensuite sur le terrain en passant par l’APC concernée, et éventuellement en étant accompagnés par des agents de police pour faire une sortie commune pour vérifier si le permis de construire existe et si les travaux se font conformément à ce document. Les agents de police sont réquisitionnés par le maire car souvent, les personnes construisant au noir, réagissent de manière violente. Ensuite cette commission évalue le degré de la conformité des plans par rapport au bâti en cours et si l’infraction est constatée, ce n’est qu’après que le PV est dressé. Souvent, le propriétaire de la construction ne se trouve pas sur place, et personne n’est là pour renseigner les agents, au moins sur le nom exact du propriétaire, indique M. Zouggah, chef de service au niveau du service urbanisme de la DUC. Ainsi, les agents se contenteront d’établir un simple constat s’il y a un empiétement sur la chaussée ou autre chose de flagrant comme une construction qui ne répondrait pas aux normes urbanistiques. Pour établir un PV d’infraction, il faut soigneusement vérifier les documents graphiques et l’acte de propriété quand ces derniers existent. Une fois l’infraction constatée et le PV dressé, la procédure est immédiatement entamée comme stipulé dans l’arrêté de juillet 2015. Le PV est ensuite envoyé dans un délai ne dépassant pas les 72 heures à l’APC concernée, au wali ou selon la gravité de l’infraction, au procureur de la République territorialement compétent.

140 PV dressés en 2017 et 41 pour 2018

«Des sorties qui s’effectuent selon les requêtes des citoyens ou d’après les rapports émanant de nos brigades avec nos agents», indique notre interlocuteur. Ce dernier affirme que les statistiques démontrent que le nombre d’infractions de constructions illicites est en déclin par rapport aux années précédentes : «Du premier janvier 2016 au 31 décembre de la même année, nous avons recensé l’établissement de 279 PV d’infractions. Pour les 12 mois de l’année 2017, 140 procès verbaux ont été dressés. Pour les premiers mois en cours de l’année 2018, nous avons recensé et dressé 41 PV avec constat d’infractions. Il faut dire qu’avec la régularisation de la loi 08-15 beaucoup de gens ont pu se conformer à la loi, toutefois avant 2008. Depuis, ceux ayant fait l’objet de PV pour constructions illicites ne peuvent prétendre à être régularisés dans le cadre de cette loi», explique M. Zouggah.

Les infractions constatées essentiellement en milieu urbain

Il est vrai que la plupart du temps, les infractions sont constatées en milieu urbain, car en zone rurale, très peu de PV sont dressés, surtout dans les bourgs et les EAC où personne ne dénonce ces exactions. Ce responsable nous apprend qu’il existe deux sortes de PV, un pour constater l’entame de travaux sans permis de construire, c’est-à-dire de manière totalement illicite, et un deuxième dressé suite à un constat de non-conformité aux prescriptions du permis de construire. «Lorsqu’on constate qu’une habitation est en non-conformité avec le permis de construire, on envoie une copie au P/APC, au wali et à la justice. Selon les cas, soit la bâtisse est démolie, avec un arrêté de démolition, soit une amende est exigée à celui qui n’a pas respecté les normes du permis de construire ou des plans d’urbanisme. L’arrêté de démolition est signé par le P/APC et si la décision n’est pas respectée, un autre arrêté est signé par le wali pour détruire la dite construction», détaille M. Zouggah.

Des arrêtés de démolition jamais suivis d’acte

L’application de l’arrêté de démolition est toutefois très rare malheureusement, pour ne pas dire carrément inexistante. Les procédures de constat d’infractions des constructions illicites, les arrêtés de démolition sont autant de temps perdu pourrait-on dire, car sur l’ensemble des cas d’infractions avérées à travers le territoire de la wilaya de Bouira, peut être une à deux bâtisses ont été démolies. On se rappelle en 2015, lors de l’arrêté du wali de l’époque, deux constructions situées aux abords de la RN05 avaient été la cible de démolition sous haute surveillance des gendarmes, mais, après quelques coups de pelleteuse, les habitations avaient été laissées debout et aujourd’hui…elles abritent des locaux commerciaux. Même cas de figure à la périphérie Ouest de la ville de Bouira dans la localité de Nessis où certaines bâtisses avaient été partiellement endommagées par les engins des travaux publics réquisitionnés à cet effet, mais depuis, aucune démolition n’a été faite malgré les constats effarants établis par les services de l’urbanisme de la DUC.

Les APC interpellées

M. Zouggah estime par ailleurs, que les prérogatives du service de l’urbanisme sont limitées «Nous agissons selon le décret 06-55 du 30 janvier 2006 fixant les conditions et les modalités de désignation des agents habilités à rechercher et constater les infractions à la législation et la réglementation en matière d’aménagement et de bâtisse d’urbanisme. Nous veillons également au respect du décret exécutif n° 09-156 du 02 mai 2009 fixant les conditions et les modalités de désignation et de fonctionnement des brigades de suivi et d’enquête sur la création de lotissements de groupes d’habitations et de chantiers de construction. Toutefois, il est aisé de constater que la DUC n’a pas les moyens matériels et humains pour quadriller l’ensemble du territoire de la wilaya de Bouira avec 22 agents et aucun véhicule affecté pour ce genre de mission», dit-il. Ainsi, il est très difficile dans ces conditions de veiller au respect des normes urbanistiques, d’autant plus que la coordination entre les APC et le service de l’urbanisme fait défaut. Normalement, selon les services de la DUC, cette brigade mixte doit être présidée par le P/APC avec les agents habilités par la DUC et ceux de l’APC qui doivent collaborer pour établir un planning de sorties. «On ne doit pas attendre qu’une infraction soit commise pour qu’un citoyen vienne se plaindre d’un de ses voisins pour cause de non-conformité ou d’absence de permis de construire. Même pour le titulaire d’un permis de construire, nous devons nous rendre sur les lieux du chantier pour vérifier si la construction se fait dans le total respect des normes. Pour cela il faut que la construction soit signalée dès l’entame des travaux pour éviter une éventuelle démolition. D’ailleurs dans le décret, il est stipulé que chaque chantier doit être signalé par une plaque en mentionnant le numéro du permis de construire, le nom de son titulaire, l’origine des travaux et les délais impartis pour son achèvement. Pour cela, les P/APC peuvent nous saisir à n’importe quel moment jour et nuit et 7 jours sur 7 pour nous informer des travaux qui sembleraient illicites. C’est une tâche qui nécessite beaucoup de temps et de moyens et nous dépendons essentiellement du bon vouloir des APC lorsqu’elles en expriment le besoin, car le meilleur moyen pour lutter contre les constructions illicites est de se déplacer régulièrement sur le terrain au niveau des 45 communes de la wilaya, avec l’installation des brigades et ce, selon un planning bien précis, pour veiller à ce que les décrets qui régissent l’urbanisme soient scrupuleusement respectés», estime M. Zouggah. Il faut dire qu’ensuite, l’application et l’exécution des arrêtés qui découlent des conséquences des PV établis, demeurent hors du domaine de la DUC. De ce fait, en l’absence de sanctions fortes, les contrevenants sont de plus en plus nombreux à agir dans l’illégalité en défigurant l’aspect urbanistique et l’harmonie architecturale des villes et des cités.

Hafidh Bessaoudi

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