Des investisseurs dans la tourmente

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La zone industrielle de Sidi Khaled d’Oued El Berdi, qualifiée de méga-zone et de nombreux chantiers d’investisseurs nouveaux qui s’allongent avec le temps, indiquent que l’investissement au niveau de Bouira semble boiter.

À Chorfa, la zone d’activité qui devait être créée, bute sur des embûches administratives et aurait été récemment refusée par les services de l’hydraulique. Rares sont les industriels à pouvoir lancer leurs activités en toute quiétude. L’exemple le plus édifiant et non moins désolant, est sans nul doute la laiterie de Toughza qui, depuis 2015, attend de pouvoir se lancer dans la production de lait en sachet pasteurisé, crème fraîche, beurre et autres dérivés de produits laitiers. Son propriétaire, Akil Moussa, avoue avoir, en vain, frappé à toutes les portes afin de rendre sa laiterie opérationnelle.

Une laiterie neuve… vétuste

À Toughza, paisible bourgade de la commune de Chorfa, à 60 kilomètres à l’est de la ville de Bouira, la laiterie de M. Akil était un espoir pour les chômeurs et l’ensemble des ménages de cette région limitrophe à Tazmalt, wilaya de Béjaïa pour qui, la crise du lait en sachet est devenue coutumière, presque chronique. C’est dans cette optique justement que M. Akil a décidé de se lancer dans l’industrie laitière. «Comme vous pouvez le constater, cette usine d’une capacité de production de 5.000 litres/heure, soit 40.000 litres par jour, est neuve. L’idée m’est venue du fait que les crises de lait en sachet devenaient de plus en plus récurrentes et surtout que la qualité du lait était assez médiocre à l’époque. J’ai donc demandé audience au wali de l’époque, M. Maskri qui s’est montré favorable à cet investissement. Une commission s’est déplacée sur les lieux et a visité l’endroit destiné à recevoir la laiterie. J’ai rencontré, comme tous les industriels, des difficultés pour concrétiser le projet. Mais à force de persévérance, j’en suis venu à bout. En 2014, j’ai importé l’ensemble de ce matériel d’Italie avec uniquement l’aide de l’ANDI. Le reste étant mon apport financier personnel. Cela m’a coûté plus de 10 milliards de centimes. J’ai du m’endetter pour réaliser cette usine», indique M. Akil en nous faisant visiter les lieux. «Dans cette chaîne de production, nous pouvons faire du lait avec de la poudre et traiter le lait cru de vache. Pour le lait de vache justement, nous avons l’écrémeuse pour la production de lait et crème fraîche à différents pourcentages de matière grasse et même faire du 0% de matière grasse. De même pour le beurre complet ou allégé par cette machine qui transforme le lait en beurre, le découpe et l’emballe. Nous pouvons également produire du lait à base de poudre comme celui présent dans les commerces. Des sachets de 25 dinars, subventionnés par les aides de l’Etat», détaille M, Akil en nous faisant découvrir des cuves en inox destinée à recevoir le lait.

Adieu veau, vache, couvée !

Comme dans le compte de Jean de la Fontaine «Perette et le pot au lait», M. Akil doit faire une croix sur son rêve de redynamiser l’économie de la région et d’alimenter en lait en sachet toute une région. Depuis l’installation complète des machines en 2015, cette unité n’est jamais entrée en production à cause de l’indisponibilité de la poudre de lait. «Depuis 2015, j’ai fait de multiples demandes auprès de tous les responsables, mais en vain. Je me suis adressé à l’Office National Interprofessionnel du Lait et des produits laitiers et j’attends toujours que l’on daigne m’accorder un quota pour que je puisse travailler. Pendant ce temps, vous pouvez le constater, le matériel se dégrade, car il n’est pas utilisé. Si nous avions depuis 2015, reçu notre quota de poudre de lait, nous aurions recruté au lancement, plus d’une quarantaine de chômeurs et atteindre allègrement les 100 postes d’emploi. Nous aurions aussi amélioré le quotidien des ménages en leur épargnant les tensions régulières sur le lait en sachet. Les agriculteurs possédant des vaches laitières auraient pu signer des conventions avec notre laiterie et écouler quotidiennement leurs collectes avec des garanties à long terme. D’autres chômeurs auraient également bénéficié de vaches laitières pour créer un large circuit employant plusieurs dizaines de personnes. Les capacités de la laiterie sont de 40 000 litres par jour. Actuellement, les agriculteurs sont dans l’incapacité de me fournir ce quota, même en sillonnant l’ensemble de la wilaya. Les éleveurs de la wilaya de Bouira et de Béjaïa, fournissent leurs collectes à certaines laiteries et les autres ne peuvent atteindre la capacité de cette laiterie. Il est inconcevable de faire fonctionner l’usine une heure et s’arrêter plusieurs jours. Les charges, les employés et les impôts auraient raison du maigre bénéfice engendré. Ainsi, en l’absence de lait cru et de poudre de lait, je vois mon investissement dépérir chaque jour, chaque mois et chaque année», soupire l’investisseur.

Comment devient-on un chômeur endetté ?

«Je me lève le matin en souhaitant qu’on m’appelle du ministère de l’Agriculture pour me dire que le quota de poudre de lait de la wilaya de Bouira est augmenté ou que l’ONIL m’accorde un minimum pour pouvoir travailler au moins à mi-temps», se désole notre interlocuteur. Toutes ses démarches auprès des autorités de wilaya, ou au niveau du ministère de l’Agriculture, ou encore auprès des responsables de l’ONIL, sont restées lettres mortes. «En plus de priver la population de lait et la région de postes d’emploi, on pénalise aussi le Trésor Public des impositions de cette usine. Dans mes demandes je n’ai pas exigé que l’on m’accorde un quota pour faire fonctionner la laiterie à 100% et la faire tourner à plein régime. J’ai juste exprimé le besoin d’un quota de 50%. Pour le reste, j’aurais essayé de travailler avec les quelques éleveurs prédisposés à vendre leur production de lait ou acheter des vaches laitières à des chômeurs en contrepartie de me vendre leur collecte. Je suis devenu un chômeur endetté à cause de l’absence de planification des pouvoirs publics et de leur nonchalance. A 43 ans, les espoirs de voir un jour cette usine fonctionner s’amenuisent, et j’ai perdu tout espoir. Je suis devenu chômeur, endetté auprès d’amis et de connaissances qui attendent que je les rembourse. Je ne peux même pas vendre l’usine étant donné que j’ai bénéficié des facilitations de l’ANDI pour l’exonération de la TVA. Sinon, j’aurais radié mon registre que je me suis fait délivré en 2012 pour venir renforcer la liste des chômeurs. J’aurais beaucoup fait pour la région si on m’avait permis de travailler toutes ces années», déplore l’infortuné investisseur

Un manque de 144 000 sachets de lait recensé à travers la wilaya

M. Akil avait pourtant reçu à l’époque, avant de démarrer son projet, toutes les garanties et assurances que la wilaya de Bouira était une wilaya agricole qui avait besoin d’unités de transformation de différents produits. En fin de compte, il se retrouve sur le carreau, à contempler un investissement de plusieurs milliards de centimes, afficher des taches de rouille, et de l’huile qui fuit sur des machines flambant neuves. Cet état de fait n’est pas pour rassurer les investisseurs pour s’implanter à Bouira. Un constat pourtant établi par les autorités de wilaya qui ne semblent pas pouvoir dénouer la situation, malgré les avantages qu’une telle unité peut offrir à la wilaya de Bouira, en plus du fait de ne plus dépendre de la production de lait des wilayas limitrophes. «La wilaya de Bouira dispose de deux unités de production de lait pasteurisé au niveau de Kadiria et Ain Lahdjar. Ces deux unités permettent la production de 36.000 litres de lait par jour. Il existe une troisième à Toghza, commune de Chorfa, spécialisée uniquement dans le lait de vache et son quota pour bénéficier de la poudre de lait auprès de l’ONIL n’a pas encore été défini. Elle attend la commission ad-hoc du ministère du Commerce et celui de l’Agriculture pour trancher sur le quota à lui attribuer», affirmait récemment dans nos colonnes M. Ahmed Gamri, directeur du commerce de la wilaya de Bouira. Selon une source proche de la Direction du Commerce de la wilaya, la consommation journalière de Bouira est estimée à plus de 180 000 sachets pour une population de plus de 700 000 habitants. Un simple calcul permet d’établir qu’il manque 144 000 sachets de lait à satisfaire pour la wilaya de Bouira, et ce ne sont pas les quelques 50 000 sachets provenant des autres laiteries limitrophes qui pourront mettre un terme à la tension du lait en sachet.

Malgré une production de 70 000 000 litres de lait cru, la collecte est mal assurée

Auprès des services de la DSA de Bouira, les chiffres font état d’une production annuelle de lait de 70 000 000 de litres, mais la collecte s’avère en deçà des attentes et ne dépasserait guère les 34% selon les statistiques. «Le lait qui n’est pas collecté est utilisée par les crèmeries ou pour la consommation familiale. Il y a même du lait qui est vendu hors de la wilaya et qui se retrouve hors circuit de collecte. C’est pour cela que notre politique est d’encourager la création de laiteries de transformation pour pouvoir ramasser le maximum de lait. L’Etat a fait des efforts dans le soutien de la production laitière, la collecte et la transformation. Pour cela nous encourageons l’investissement dans le créneau transformation, car la wilaya ne dispose d’aucune fromagerie et c’est vraiment dommage», déplorait récemment M. Ganoun, le DSA de Bouira lors d’un entretien qu’il nous avait accordé. M. Akil pour sa part vient d’effectuer un entretien sur son usine en la faisant tourner et il a dépensé 130 000 dinars en frais de réparation affirme-t-il : «Je viens de débourser 130 000 dinars pour un essai en faisant tourner les machines avec l’achat d’une bonbonne de gaz réfrigérant Les lignes du circuit en inox ont dû être ressoudées, et j’ai du faire appel à un ouvrier qualifié pour intervenir sur cette chaîne dans laquelle de l’eau stagnait. En plus, j’ai dû recourir à des employés professionnels pour vérifier les indications de pression des différents mécanismes de l’usine. Ceci uniquement dans le but d’entretenir les circuits d’alimentation de la chaîne de cette laiterie», se plaint notre interlocuteur.

Hafidh Bessaoudi

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