La forge, un artisanat tombé en désuétude

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La région d’Ath-Waghlis, naguère une terre de prédilection pour une kyrielle de forgerons, s’adonnant à cœur joie à manier le fer avec doigté et une dextérité remarquable, est aujourd’hui rongée par l’usure du temps qui a pris le soin de réduire à néant un artisanat séculaire, légué par les aïeux. Une évanescence qui en dit long. La nouvelle génération tourne le dos à cet artisanat, jugé caduc et crasseux. Les marchés hebdomadaires représentaient un lieu de rencontres et d’échanges pour des artisans hors pair. Aujourd’hui, ces forgerons se comptent sur les doigts d’une seule main, en raison d’un désintéressement total de la nouvelle génération vis-à-vis de ce métier ancestral. Une activité presque tombée en désuétude. À Chemini, il n’en reste qu’un qui garde jalousement cette activité au grand bonheur des fellahs. Les outils agricoles : pioches, faux, faucilles, haches, houes, serfouettes,  binettes, couteaux… sont restaurés et affûtés avec amour et grand dévouement par les « médecins du métal « .  Le charbon et la coke métallurgique, autrefois utilisés par les artisans Kabyles n’existent presque plus dans la forge. Ils constituaient pour les forgerons le premier combustible par excellence. Des gestes savamment reproduits, les mains noircies par le charbon, ils redonnent une nouvelle vie aux outils agricoles. En dépit des maigres moyens matériels dont disposent ces artisans, le tintement des coups de marteaux sur l’enclume résonne encore dans la forge. Ces artisans se contentent des moyens de bord, entre autres : l’enclume, les tenailles, le soufflet et le marteau pour rafistoler des objets métalliques abîmés et vétustes. Ils sont forgerons de père en fils, dans ce métier qui se transmet de génération en génération. « Ihaddaden » et Hadad sont des  noms de familles que l’on rencontre dans toutes les régions de la Kabylie. Ces familles qui ont de tout temps œuvré dans les forges, évoque un savoir-faire et renseigne d’une activité agricole très répandue sur nos contrées abruptes dans un passé récent. La relation qu’elles tiennent avec le métal est dure comme fer. C’est vrai qu’on ne se lasse pas de contempler ces artisans hors pair lorsqu’ils manipulent avec tant de précision des outils de tout genre aux formes multiples. Une ribambelle d’objets est façonnée par les mains expertes des maîtres artisans. L’outil à réparer est mis sur la braise jusqu’à rougeoiement. Il est posé ensuite sur l’enclume afin de lui redonner la forme voulue. Tandis que la main gauche se saisit des tenailles qui serrent vigoureusement un objet rougeoyant, la main droite soulève un lourd marteau qui, par une série de coups bien précis, va aplatir le coté tranchant d’une hache ou d’un burin. Qu’il est doux d’entendre le bruissement, tel un clapotis de vagues, de l’outil mis à refroidir dans un bac d’eau. « Il est lamentable de s’apercevoir qu’aujourd’hui, le métier de forgeron est relégué au rang de sous métier. Quant aux pouvoirs publics, il semble que cet artisanat est le cadet de leur souci », s’indigne, Mohand, forgeron. Et d’ajouter, « Le métier de la forge, nous l’avons hérité de nos grands-parents, et le meilleur hommage qu’on puisse leur rendre est de perpétuer ce noble métier ».  Il faut rappeler qu’au début de la conquête de la Kabylie (1840-1850), les rapports militaires signalaient l’existence d’une industrie du fer et des métaux (Carette 1848) dans plusieurs tribus kabyles et quelques-unes étaient même spécialisées dans la fabrication d’épées, par exemples chez les Iflissens. En grosso modo, le travail du fer était une pratique fort répandue dans de nombreux villages, car sa première raison d’être était de répondre aux besoins de la vie quotidienne, dont ceux inhérents à l’activité agricole (instruments aratoires, faucilles, pioches, haches…). A. Hanoteau et A. Letourneux, dans leur œuvre encyclopédique sur la Kabylie parue en 1873 firent état de l’habileté des ouvriers du fer (iḥeddaden), du bois et de la panoplie de produits de forge fabriqués (Hanoteau & Letourneux 2003). Le capitaine Carette avait dénombré plus de 250 ateliers ou forges dont la plus grande partie était concentrée en Kabylie maritime (Azeffoun) et forestière (Akfadou) (Carette 1848).

Bachir Djaider

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