L’orgie alimentaire bat son plein

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Le mois de Ramadhan n’est malheureusement pas synonyme que de piété et de spiritualité, dans la wilaya de Béjaïa et ailleurs.

Les mauvaises habitudes prises par bon nombre de citoyens font que ce mois sacré vire à la gabegie.

Gaspillage, baisse de productivité et absentéisme dans une totale impunité accompagnent la bigoterie affichée par la majorité des jeûneurs.

Il n’est même plus question d’absentéisme, car on peut être présent dans son entreprise ou son administration sans pour autant travailler.

Même les hommes échangent des recettes de cuisine et des adresses pour dénicher la meilleure boulangerie.

Ceux qui aiment s’attabler pour une partie de domino entre copains, voir un film ou assister à des soirées musicales durant les nuits ramadhanesques préfèrent prendre leur congé durant ces trente jours.

Casanier la journée et noceur la nuit, le jeûneur réadapte son quotidien au gré d’une orgie alimentaire qui ne dit pas son nom.

De l’assiette à la télévision ou aux interminables parties de dominos et autres jeux de cartes, bienvenue dans la ferveur de l’été.

Le Ramadhan bouleverse les comportements sociaux, dope les audiences télévisées et complique la mise en œuvre des tâches régaliennes de l’État : veiller à l’approvisionnement du marché, lutter contre la spéculation et l’inflation, assurer la sécurité face à la menace terroriste…

Les températures caniculaires mettent un frein supplémentaire à toute activité, chacun consacrant son peu d’énergie à acheter, d’abord des victuailles et bientôt des vêtements pour la fête de l’Aïd, de façon presque compulsive.

Pour prendre le pouls et tâter le terrain, nous avons sillonné plusieurs localités de la wilaya de Bgayet.

À la moindre anicroche, les jeûneurs, déjà à bout de nerfs, montrent une certaine «animosité» à l’égard de leurs semblables.

Nous avons assisté, le week-end écoulé, lors de notre reportage à Akbou, à une scène de pugilat entre deux automobilistes qui en sont venus aux mains au motif que l’un d’eux n’avait pas cédé le passage.

Fort heureusement, l’intervention de quelques badauds a mis fin à cette hostilité qui aurait pu mal finir.

«Si l’abstinence, observée du lever au coucher du soleil n’est pas accompagnée d’une attitude morale exemplaire et d’un effort quotidien pour l’amélioration de son comportement vis-à-vis des siens, de ses collègues et de la société dans sa globalité, elle aura été vaine.

Le jeûne perdrait tout son sens et c’est malheureusement le constat qu’on est bien obligé de faire, pas seulement chez nous, en Algérie, mais dans l’ensemble des pays musulmans», nous dira un imam.

De mauvaises habitudes alimentaires

Sur un autre registre, le mois sacré de Ramadhan reste une aubaine pour les spéculateurs de tous bords qui ne reculent devant rien pour «dépouiller» les ménages jusqu’au dernier sou.

Au niveau des marchés hebdomadaires se tenant un peu partout dans la wilaya, la tendance à la hausse des prix des fruits et légumes, au même titre que d’autres denrées, s’est faite d’une manière exponentielle.

Plus personne n’arrive à gérer. Les citoyens, encore moins les gouvernants, ne semblent pas en mesure d’affronter le diktat d’un marché qui s’organise loin de toute légalité, dans une cacophonie sans pareille, au grand dam des consommateurs.

Bien évidemment, le fait n’est pas nouveau, mais le mois de Ramadhan constitue un baromètre, une sorte de repère pour mesurer toute l’étendue de la gestion catastrophique de la vie sociale.

Le Ramadhan est aussi l’occasion d’un formidable gaspillage de nourriture. Les musulmans jettent plus de 40% des plats préparés chaque jour pendant le Ramadhan.

Les gens ont tendance à multiplier par trois la quantité de nourriture qu’ils consomment en dehors du mois de carême. Pire, ils ont fait de celui-ci un mois de «malbouffe».

La consommation atteint son pic durant ce mois censé être celui de la retenue. La nourriture prend une trop grande place.

Émissions culinaires, arrivages de denrées alimentaires très variées, budget alloué à la nourriture à la hausse, sans oublier les longues heures passées par les ménagères dans leur cuisine à préparer d’innombrables plats. Les foyers béjaouis en l’occurrence cuisinent d’énormes quantités de nourriture surestimant les capacités de leurs estomacs.

Et, dans bien des foyers, ce surplus de nourriture finit inexorablement aux ordures. Le citoyen est pris d’une incommensurable frénésie qui le pousse à acheter presque tout ce qui croise son chemin et avec des quantités déraisonnables.

Parmi les plus mauvaises habitudes des fidèles durant le Ramadhan, il y a le gaspillage de la nourriture.

«Les jeuneurs ont les yeux plus gros que le ventre», ironise un sexagénaire que nous avons rencontré au marché hebdomadaire de Sidi-Aïch.

Cette tendance à la surconsommation a pour conséquence directe le gaspillage, car une bonne partie des provisions alimentaires finit à la poubelle.

Cela est inacceptable. Même la crise économique qui secoue le pays n’a pas réussi à faire changer de comportement à ces consommateurs invétérés.

Le comble c’est que tout le monde se plaint du fait que les budgets explosent à la fin du Ramadhan.

Le mois est surtout béni pour les gérants de supérettes, les épiciers et les marchands.

Les poubelles débrordent de surplus de repas

Devant ce constat amer, des questions s’imposent : Les Algériens sont-ils des consommateurs responsables? Quel est le coût de cette orgie alimentaire ? Que devient l’activité économique du pays durant ces trente jours ? Quel est le rendement d’un travailleur, d’un employé, d’un agent de bureau ? Certes, d’aucuns ne peuvent contredire le constat que jeûner est synonyme d’un rendement faible et d’une baisse de la productivité.

Mais, en l’absence de statistiques fiables, certains expliquent que le réaménagement et l’allégement des horaires de travail et autres mesures, qui sont pris en faveur des employés, font que l’économie nationale se trouve ralentie considérablement.

Il faut dire que le mois de Ramadhan, et ce n’est pas une particularité algérienne, cause le ralentissement, le relâchement et l’inaction d’une bonne partie de l’économie dans le monde musulman.

Plusieurs secteurs d’activité sont touchés directement, et d’autres indirectement. Pour de nombreux salariés, le Ramadhan rime avec congé. «Je préfère consommer mon congé durant le mois sacré, afin d’éviter de céder à la colère et aux mauvaises humeurs», nous a confié un employé à Algérie Télécom.

Comme lui, ils sont des centaines, voire des milliers, qui préfèrent se consacrer au «sommeil» durant les longues et éreintantes journées de jeûne.

Pour d’autres, le travail est «moins pénible» et «moins chargé» durant le Ramadhan. Et pour cause, les tâches administratives sont presque «en berne».

Cette situation, constatée dans différentes régions du pays, s’applique aussi bien aux simples employés qu’aux responsables.

Néanmoins, c’est la frénésie dépensière, quitte à grever son budget, qui caractérise l’Algérien durant le Ramadhan.

On va même jusqu’à s’endetter pour se goinfrer, parfois jusqu’à l’indigestion. Tout y passe : la viande quel qu’en soit le prix, les sucreries, les sodas… Les poubelles débordent. Et sans grande surprise, le pain arrive en tête des aliments les plus gaspillés.

Arrivent ensuite les gâteaux et les biscuits secs, puis les fruits, les légumes, les viandes et les produits laitiers. La gabegie atteint son paroxysme.

Des millions de baguettes de pains sont jetés sans vergogne. Des dépenses frénétiques qui donnent l’apparence d’une aisance, pourtant fictive, car la réalité des choses est toute autre.

On devrait songer à consommer ce dont on a besoin et non ce dont on a envie. Se contrôler étant la règle d’or dictée par le mois sacré.

Bachir Djaider.

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