Quelle évolution pour l’état dans l’économie ?

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Par Pr Malika Ahmed Zaïd Directrice du Laboratoire REDYL Réformes Economiques et DYnamiques Locales Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou

La transformation de la forme d’organisation du système administratif définissant les relations entre administrations centrales et services territoriaux de l’État au lendemain des années 1990 a été désignée sous le nom d’«État-stratège». Au centre de ces préoccupations figurera la séparation entre les fonctions stratégiques de pilotage et de contrôle de l’État et les fonctions opérationnelles d’exécution et de mise en œuvre des politiques publiques. Cette transformation sera consécutive au processus de réformes inspiré des idées du New Public Management accompagnant la nouvelle forme d’organisation étatique. Sous l’effet de contraintes externes (FMI, Banque mondiale) et internes (cessation de paiement), l’Algérie s’est vue engagée dans des processus de transformations politiques, institutionnelles et économiques dans les décennies 1990 et 2000. Le processus d’insertion dans l’économie mondiale et les nouvelles formes de rapports entre Etats ont induit d’importantes évolutions dans les modes de régulation de nombreux pays du monde. Les missions classiques de l’action publique consistant dans la gestion des biens publics ainsi que la réglementation des externalités positives et négatives vont se voir confrontées à la nécessité d’adopter une démarche stratégique dans les relations internationales imposées par la mondialisation des échanges. Cette situation les a conduits à reconsidérer la conception, le contenu et la mise en œuvre de leurs politiques publiques. On assiste alors à un mouvement de reconfiguration de l’action publique dans de nombreux pays et à une nouvelle forme d’organisation assez spécifique en Algérie, loin de faire table rase des pratiques anciennes en vigueur pendant la période de l’économie administrée, qui continuent à influer négativement sur son efficacité. Dès lors, la question du renouveau dans l’action publique se pose différemment en Algérie relativement aux pays occidentaux et ceux qui ont choisi la même voie pour s’engager dans l’économie de marché, mais elle y demeure liée, la stratégie de transformation retenue étant foncièrement identique à travers notamment les mesures jugées souhaitables et indispensables par ses concepteurs tandis que la contrainte sociopolitique et le processus d’adaptation sociale diffèrent. Le contexte de réformes entreprises par l’Etat, conjugué avec l’embellie financière due à une montée prodigieuse des prix du pétrole, devait en principe augurer d’un succès de la stratégie et aboutir à une meilleure reconfiguration de l’action publique et une maîtrise soutenue des politiques publiques, l’Etat disposant de plus d’aisance et d’assurance à conduire le processus. En effet, des réserves de change importantes ont été engrangées durant la dernière décennie et des sommes considérables sont injectées annuellement dans les différents secteurs sans pour autant que des améliorations sensibles ne soient obtenues particulièrement dans la fourniture des services publics. Mais, voilà que la nouvelle tendance comportementale de l’Etat a été perturbée par les effets inattendus de l’onde de choc de la crise financière et économique mondiale d’autant plus que la conduite du processus de réformes s’avéra très lente et des résistances se manifestèrent y compris au sein même des institutions. Loin d’être protégée, l’économie algérienne subit les à-coups indirects et les turbulences de l’onde de choc de la crise financière mondiale malgré un système financier peu évolué en totale déconnexion des marchés financiers internationaux. L’accumulation des réserves de change connaît une régression sensible, suite à la récession qui frappe bon nombre de pays industrialisés, à la baisse conséquente de la demande en hydrocarbures notamment ponctuée par une brusque chute du prix du pétrole. Les ressources de l’Etat s’amenuisent, la croissance accuse une baisse relativement aux années précédentes, tandis que les prévisions pour les années suivantes ne semblent pas verser dans l’optimisme. Cette tendance régressive a conduit à plus de prudence quant à la politique budgétaire, tout en observant une série de restrictions visant à épargner au mieux les réserves accumulées et à dépenser utile. Les investissements annoncés à la faveur du plan triennal (2001-2003) et des deux premiers plans quinquennaux (2004-2009) et (2010-2014), dotés respectivement de 50, 150 et 300 milliards de dollars ont largement dépassé les capacités d’absorption de l’économie nationale. Ils eurent à lancer des projets avant que les études d’impacts socioéconomiques sur le pays et la population ne soient ficelées. Cet état de fait engendrera, par la suite, des réévaluations et, notamment le gaspillage de précieuses ressources financières. Même si, dans une première phase, le rythme et le volume des investissements pour l’amélioration des services publics essentiels est partiellement maintenu pour la période quinquennale 2010-2014, les effets de la crise mondiale se manifesteront ultérieurement et remettront en cause les choix initiaux non seulement en termes de volume des investissements, mais aussi en termes de nature et d’envergure des projets. Dès son lancement, il a été annoncé que le plan quinquennal (2015-2019) «capitalisera les enseignements tirés des précédents programmes et s’appuiera sur une stratégie globale et multidimensionnelle cohérente qui fera l’objet d’une large concertation avec les parties prenantes» (Cf. Brochure du plan quinquennal) sous entendant ainsi que les précédents programmes souffraient d’incohérences. Sous les auspices d’une politique distributive, le lancement de nouveaux projets ou la gestion de projets inscrits dans les précédents programmes souffrant de retard dans leur exécution seront annoncés. C’est l’achèvement de ces projets, déjà budgétisés, qui entretiendrait alors l’illusion de l’effort de réalisation. La chute des prix du pétrole contrariant le processus, elle contribuera à installer l’austérité budgétaire. Pour cela, la fonction de régulation de l’action publique (au sens de Musgrave) se trouve au centre des débats non seulement pour répondre aux multiples besoins de la population à travers les biens et services publics produits et afin d’en améliorer la qualité ; mais également à travers l’intervention économique de l’Etat axée sur la création de richesse et le renforcement de l’emploi durable.

La réforme de l’état

La réforme de l’ètat et la managérialisation de la sphère publique s’imposent alors et semble passer par l’importation et l’appropriation des pratiques et de l’esprit du management, avec la promesse à la clef d’une plus grande rationalité et d’une meilleure efficience. Elle permet la mise en évidence de l’action de l’Etat pouvant être détournée ou contournée par les institutions publiques si une vision stratégique n’est pas présente à tous les niveaux de la hiérarchie des autorités publiques. En effet, ces autorités bénéficient de pouvoirs discrétionnaires considérables qui, s’ils ne sont pas canalisés et contrôlés, conduisent à une série d’inefficiences au sens de Leibenstein H. (X-efficiency). La démarche managériale, par opposition à la démarche bureaucratique qui est bâtie sur la logique des ressources, privilégie la logique des objectifs dans toute action organisée (Cf. Belmihoub Md Chérif, Le management des politiques publiques : Une approche institutionnaliste. Le cas de l’Algérie. Les cahiers du CREAD, n° 45, oct. 2005). Par ailleurs, les réformes devaient être accompagnées de mutations dans les relations Etat/Entreprises publiques et d’évolutions radicales dans son rôle et son comportement à l’égard de ces entreprises et ses principales fonctions. A l’Etat-providence, pourvoyeur, entrepreneur et employeur devait se substituer un Etat régulateur et redistributeur. Ainsi, son rôle et ses formes d’intervention dans les entreprises publiques devait être reconfigurés et réduits à la lumière de ces nouvelles fonctions. Autrement dit, il devait se désengager progressivement de sa main mise totale sur ces entreprises, pour les voir se consacrer à des impératifs de production dans un environnement ouvert à la concurrence, excepté éventuellement pour celles fournissant des services publics (Cf. Ahmed Zaïd-Chertouk M., 2015, Fluctuation de la relation Etat-entreprises publiques dans les pays en transition. Cas de l’Algérie, Colloque international «La théorie de la régulation à l’épreuve des crises», Paris). Sujettes à des processus de restructuration et de privatisation, les entreprises publiques se trouvent à chaque fois confrontées à des difficultés financières et manquent d’atteindre leurs objectifs majeurs si bien qu’après quatre décennies de réformes, l’Etat algérien garde sa suprématie sur la majeure partie de celles qui y ont survécu. Dans un contexte empreint d’hésitations, les entreprises publiques font figure d’interfaces singulières aux mains d’un Etat qui n’arrive pas à opérer sa propre mue. Ballottées entre la logique des industrialistes et celle des financiers, puis entre la dynamique des réformateurs et le statisme des conservateurs, et loin d’intégrer une stratégie de développement clairement définie, elles demeurent toujours dépendantes de l’Etat qui conserve de larges pouvoirs de décision, de financement et d’intervention. Les réformes multidimensionnelles entreprises sont caractérisées par de nombreuses hésitations où les décideurs prônent la démarche du wait and see par moments et du stop and go par d’autres. Les logiques induites par les réformes sur les entreprises publiques seront inhérentes aux processus qu’a intégrés l’économie algérienne dans le contexte de mondialisation (Cf. Ahmed Zaïd-Chertouk M., 2011, «Le renouveau de l’action publique en Algérie dans le contexte de crise économique mondiale», in Bance Ph. and Bernier L. (Eds), Contamporary crisis and renewal of public action, Peter Lang). Elles reposent sur des logiques institutionnelles, tant le dirigisme étatique est omniprésent ; mais aussi sur des logiques économiques et financières, tant ce levier contribuera à entretenir les principales dynamiques enclenchées par les pouvoirs publics Ahmed Zaïd M. & Bance Ph., 2015, What public governance with respect to public enterprises in rent economy, Annals of Public and Cooperative Economics, Vol. 86, Issue 4, pp. 657-681, Wiley Blackwell).

De nombreuses hésitations

Les politiques publiques bien conçues participent de cette démarche objectivée, car s’agissant de l’action dans le domaine administratif, donc hors marché, les actions séparées des différents acteurs ne conduisent pas à l’optimum. Le problème de la faible performance du secteur public industriel n`est pas forcément dans sa nature, mais dans ses modes de gestion. La privatisation n’est pas non plus la forme de gestion devant conduire au développement durable et global dans toutes les situations. Pour l’un comme pour l’autre, des conditions objectives sont nécessaires pour leurs succès. Ces conditions relèvent de la capacité managériale de l’Etat à définir et à conduire des politiques publiques reposant sur un savoir et une autorité légitime. Le management des politiques publiques constituerait une de ces nouvelles approches. Mais doit-on gérer un pays comme on gère une entreprise ? (Cf. Belmihoub Md Chérif, op. cit.). Le concept d’État stratège est ainsi devenu une référence, très largement mobilisée dans des discours d’horizons divers, pour initier la réforme de l’État, le mettre en capacité d’agir de manière efficace et même efficiente, pour déployer une démarche porteuse d’avenir. Il préconise de croiser les réflexions sur la situation d’aujourd’hui et préciser ce que pourrait être une nouvelle conception de l’État stratège. Il s’agit ainsi de tirer les leçons des expériences reconnues, sur la base d’un diagnostic partagé et sans complaisance, en mobilisant les connaissances d’experts, praticiens et scientifiques, relevant de domaines de compétences variés, pour déboucher sur des préconisations. Le séminaire international organisé par le laboratoire REDYL-UMMTO le 27 novembre 2016 auquel ont pris part des chercheurs universitaires et des praticiens nationaux et étrangers se proposait de prendre la mesure du niveau et de la qualité des choix et politiques publiques à travers leur analyse minutieuse. A l’instar des études comparées et notamment de l’ouvrage (Cf. Bance Ph. (ss direct.), 2016, «Quel modèle d’État stratège en France?», CIRIEC-France ), il se proposait de partir des objectifs qui sont assignés à l’État stratège, de s’intéresser au mode d’organisation, puis aux modalités de mise en œuvre de l’action d’un État national en même temps inséré dans un contexte régional et international contraignant, et, amené à décliner son action de manière particulière dans différents secteurs d’activité. Il se proposait d’analyser les prérogatives et la portée de l’action de l’État à travers une démarche rétrospective afin de poser les jalons de la démarche prospective d’un Etat qui se veut stratège. S’y trouvent notamment précisées les orientations à donner dans le champ des politiques de mutation du système productif, d’investissement, de cohésion sociale et territoriale, enfin d’emploi et de chômage. Pour cela, «l’Etat stratège doit combiner intelligemment la régulation des activités économiques et sociales, la production des services collectifs et la planification du développement» (Cf. Bance Ph. et Fournier J., in Bance Ph. (ss direct.), 2016, op. cit. p. 419) en fonction de la démarche prospective envisagée, des réalités du pays et de l’environnement international dans lequel il baigne.

M. A. Z.

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