Les regrets de Kamel Hamadi

Partager

Entouré d’un grand monde, dans un café à Barbès, ce septuagénaire aux cheveux grisonnants semble être le patron. Mais non! c’est Kamel Hamadi ou Larbi Zegane, de son vrai nom, l’auteur-compositeur, musicien, chanteur et homme de théâtre algérien d’origine kabyle. Cet artiste, fils de Ain El Hammam, ex-Michelet, a écrit des textes et des musiques pour d’innombrables interprètes illustres, dans le genre kabyle, chaâbi, raï, dans le style moderne et classique. L’époux de la grande dame de la chanson algérienne, Noura, nous reçoit ici, « dans cette atmosphère familiale », nous dit-t-il, en ce vendredi 17 décembre de l’année 2006, pour nous parler du label de la chanson maghrébine en France, « Le Club du disque arabe ». Ce dernier, nous annonce Hamadi avec beaucoup de peine, a totalement disparu. La mémoire patrimoniale franco-maghrébine de référence, créée en 1972 par Mohamed Hachlef, le frère du grand poète Habib Hachlef, dont le label appartenait à Pathé Marconi, se meurt aujourd’hui dans l’indifférence totale. « Il est clair que c’est triste de voir une entreprise de grande envergure qui a fait le succès d’illustres artistes de la chanson du Grand Maghreb et du monde arabe également disparaître. Le club du disque arabe est mort suite au décès de Mohamed Hachlef. C’est la seule personne qui savait huiler les rouages de l’entreprise », dira Kamel Hamadi.

Il nous fait savoir à l’occasion qu’en dépit de toute tentative pour sauver le club, celui-ci n’a pas été bien entretenu après la mort du  » Big boss « . Amine, le fils d’Ahmed Hachlef, a essayé de sauvegarder l’héritage que son père a laissé, mais cela était pour lui plus une aventure qu’une gérance professionnelle. « Le fils de Hachlef était bien motivé à prendre en charge l’entreprise, mais il ne pouvait pas assumer la tâche que son père assurait. Amine Hachlef n’a pas les mêmes capacités intellectuelles, les mêmes fréquentations, les mêmes visions des choses dont son père jouissaient. Ahmed connaissait son terrain : il maîtrisait les langues des artistes avec lesquels il travaillait. Il parlait très bien le kabyle, l’arabe classique et le français”. Il comprenait, si vous voulez, leur langage. Amine pourrait réussir seulement si les amis des Hachlef, les artistes qui ont fréquenté le club, formaient une équipe soudée pour la relance du label, mais la plupart sont décédés, rajoute Hamadi.

Après la mort de Mohamed Hachlef, le fils a essayé tout de même d’assumer cette immense responsabilité pour préserver la maison. Amine commence par l’achat du label Pathé Marconi, en 2005, mais il ne prévoit malheureusement pas les mauvaises surprises imposées par l’actuel marché. Un marché cerclé par le côté négatif de la technologie. Hamadi rajoute que le nouveau propriétaire était trop jeune pour occuper cette place. L’héritier du Club du disque arabe se retrouve, dans ce terrain inconnu, face à des problèmes encore plus compliqués : ceux des piratages des produits enregistrés dans le club. “Cette gêne, nous dira Kamel Hamadi, handicapait ses motivations”. « Il ne reste plus rien. On ne sait pas, jusqu’à ce jour, où sont passés les innombrables œuvres de Slimane Azem, Abdel Ouahab Doukali, Saâdaoui Salah, Noura, Farid El Atrache, les Abranis, El Anka, El Ankis et tant d’autres artistes dont les chansons étaient enregistrées dans ce club. Ahmed Hachlef n’est plus, son œuvre aussi », énonce-t-il avec un grand regret. A la fin de cette rencontre nostalgique, Kamel Hamadi nous dira en dernier que ce n’est pas uniquement le club du disque arabe qui a fait disparaître la mémoire franco-maghrébine mais tout Barbès. Il informe que dans les années précédentes, toutes les ruelles de la ville étaient animées de musiques annoncées par les disquaires. De nombreuses boîtes de production, qui faisaient concurrence dans les années 70 et 80, ont également annoncé la fermeture après avoir fait faillite. On ne voit aujourd’hui presque pas de point de vente des produits audio. Barbès présente, à première vue, des bureaux tabac et des fast food.

Fazila Boulahbal

Partager