Les adieux au légendaire interprète d’Ourestrou !

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Après avoir lutté courageusement contre le cancer du pancréas, le chanteur Djamel Allam s’est éteint, avant-hier samedi vers 15h, à l’âge de 71 ans.

Compté parmi les maîtres incontestés de la chanson kabyle moderne, l’artiste a rendu son dernier souffle dans un hôpital parisien, après un long et courageux combat contre la maladie. Cette triste nouvelle a été annoncée par le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, via son compte Twiter : «Je viens de recevoir une triste nouvelle de la part de l’artiste Safy Boutella que le grand artiste algérien, l’un des maîtres de la chanson kabyle, Djamel Allam, est décédé, après une longue maladie, dans un hôpital parisien. Nos sincères condoléances à toute la famille», a-t-il twité quelques temps après la disparition de l’un des piliers de la chanson kabyle et algérienne. Djamel, de son vrai nom Mohamed Allam, est né le 27 juillet 1947 à Ilmaten, dans la wilaya de Béjaïa. Il a suivi ses premiers cours de musique au Conservatoire municipal de Béjaïa, sous la direction de l’illustre musicien Cheikh Saddek Bédjaoui. En 1967, il débarque en France où il s’est engagé comme machiniste au théâtre du Gymnase, à Marseille. C’est dans ce haut lieu de culture qu’il côtoiera de grands artistes de la chanson française, à l’instar de Georges Moustaki, Léo Ferré, Brassens et Bernard Lavilliers, lesquels l’ont fortement inspiré. Vers 1972, il revient en Algérie pour travailler comme producteur et animateur à la radio chaîne 3, tout en occupant également le poste de directeur artistique du cabaret «La voûte», à Alger. En 1974, à l’âge de 27 ans, Djamel Allam sort son premier album intitulé «Arjouth» (Laissez-moi raconter) avec des titres mythiques et magnifiques comme «Mara d yughal» (Quand il reviendra), «Ourestrou» (Ne pleure pas) et «Thella». Cet album a connu un succès retentissant et lui a valu une notoriété mondiale. Il part alors en tournée musicale en Europe et aux États-Unis d’Amérique et devient ainsi un porte-voix de la chanson d’expression kabyle à l’étranger. Le talent de l’enfant de Béjaïa explose et lui permet d’enchainer avec d’autres albums : «Argu» (Rêves des vents) en 1978, «Si Slimane» en 1981, «Salimo» en 1985, «Mawlud» en 1991, «Le chant des sources» en 1995, «Gouraya» en 2001 et «Les youyous des anges» en 2008. Djamel Allam a été aussi comédien. En plus d’avoir composé des musiques pour plusieurs films, comme «La plage des enfants perdus», «Prends dix mille balles et casse-toi» ou «La goutte d’or», Djamel Allam a joué le rôle de comédien dans plusieurs films et a réalisé lui-même un court-métrage intitulé «Banc public», pour lequel il a obtenu le prix de l’Olivier d’or, en 2013, à Tizi-Ouzou, lors du Festival du cinéma amazigh.

Béjaïa pleure son enfant

La nouvelle du décès de l’interprète «Mara d yughal» s’est répandue comme une trainée de poudre aux quatre coins de la wilaya de Béjaïa, suscitant une vive émotion de tristesse dans le milieu artistique local et parmi ses milliers d’admirateurs. La radio locale a même changé son programme pour rendre un hommage appuyé au chanteur, en faisant intervenir ses fans et ses amis artistes. Pour le chanteur Boudjemaâ Agraw, l’un de ses intimes, la disparition de Djamel Allam «est une grande perte» pour le monde artistique : «La chanson kabyle vient de perdre l’un de ses meilleurs fils. C’est une grande perte. Djamel savait qu’il luttait contre une grave maladie, mais il était fort moralement, toujours souriant. Personnellement, je garde de bons souvenirs de l’artiste, avec lequel je me suis produit à Alger, en France et à Montréal. Il a su représenter la chanson kabyle à travers le monde», a témoigné Boudjemaâ, qui a participé activement, l’année dernière, au vibrant hommage rendu à Djamel Allam au théâtre régional de Béjaïa. Plusieurs fans de l’auteur de la chanson «Ourestrou» (Ne pleure pas), émus aux larmes, téléphonaient à la radio Soummam pour rendre hommage à celui dont la voix envoutante, les belles chansons et mélodies ont bercé leur enfance. «J’ai grandi avec les chansons de Djamel Allam que j’apprécie beaucoup. Je suis très peiné d’apprendre son décès», a déclaré un quarantenaire, en sanglots.

Une longue et riche carrière

C’était le 25 novembre dernier que Djamel Allam, en lutte avec la maladie, a fêté, à Béjaïa, sa ville natale qu’il a tant chérie et visitait souvent, ses quarante années de carrière. Un gala d’hommage lui a été organisé par l’Office national des droits d’auteur et droits voisins (Onda), au niveau du théâtre régional Malek Bouguermouh, en présence de ses fans, venus des quatre coins du pays, ses amis et du ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi. Un hommage émouvant et de belles retrouvailles avec son public qui resteront certainement gravés dans la mémoire de ses admirateurs. Une pléiade d’artistes, à l’instar de Boudjemaa Agraw, Thagrawla, Yacine Zouaoui, Aziz Zaidi, Mounia Ait Meddour, Brahim Tayeb, a déroulé une partie du riche répertoire du compositeur-auteur et chanteur Djamel Allam, dont le parcours, selon le témoignage du ministre Azzedine Mihoubi, est «exemplaire, authentique et populaire». Même affaibli par la maladie, Djamel Allam est monté sur scène pour interpréter quelques-uns de ses opus, au grand bonheur de ses fans. Bien qu’en proie à une maladie, dont il sait incurable, l’infatigable artiste était sur un projet à la fois littéraire et artistique. En effet, il travaillait sur un livre-album dans lequel il voulait rendre hommage, à travers des poèmes illustrés par des peintures, entre autres, aux célèbres femmes et hommes de lettres algériens à l’instar de son ami Kateb Yacine, Assia Djebbar, Rachid Boudjedra, Tahar Djaout, Saïd Mekbel et Malek Haddad. Pour rappel, un autre hommage a été rendu à l’artiste, au mois de mai dernier, au Cabaret sauvage de Paris en présence de l’ambassadeur d’Algérie en France, Abdelkader Masdoua, qui avait annonçait qu’il était présent à l’évènement sur instruction du président de la République Abdelaziz Bouteflika pour accompagner le chanteur «durant sa dure épreuve qu’il traverse». Une pléiades de chanteurs avait pris part à cet évènement mémorable, dont Idir, Madjid Soula, Amazigh Kateb, Ali Amrane, Akli D. Ces derniers avaient interprété les grands titres du répertoire de Djamel Allam qui fut, faut-il le rappeler, l’élève du cheikh Sadek Bédjaoui.

Titres emblématiques de l’artiste

«Je ne suis ni musicologue, ni même critique spécialisé, je ne peux donc dire ni le pourquoi, ni le comment, je suis donc incapable d’expliquer Djamel Allam (…) Son chant me descend directement de l’oreille dans le cœur, délicieusement, je ferme les yeux et je vois courir des pieds nus sur la rocaille kabyle, et des baskets sur les pavés de Bab el-Oued, je hume la menthe, la coriandre et le nuage blond des Marlboro de contrebande». C’est là le témoignage écrit par l’écrivain-conteur Jean-Pierre Chabrol sur l’artiste Djamel Allam. Ce dernier reste l’un des pionniers ayant révolutionné la chanson moderne kabyle, en y introduisant des sonorités, mélodies et touches musicales universelles. Parmi ses titres mythiques et emblématiques, qui ont donné à l’artiste une renommée internationale, et appris par cœur par ses fans, Ourestrou (ne pleure pas), une des premières ballades de la chanson kabyle. Cette chanson, lamentation ou complainte d’une vielle, évoque des réminiscences de violence et de guerre. Toutefois, Djamel chante aussi l’espoir et la joie des retrouvailles dans «Ghani Llah». D’autres titres ont des airs de fête, comme dans «Mara d’yughal» (quand il reviendra) et «Si Slimane». Cette variété de mélodies et de styles, réunis dans la personne de l’artiste, a poussé Jean-Pierre Chabrol à dire: «Djamel Allam, c’est un cocktail tendre et violent… C’est une voix et un cœur rare (…)».

Boualem S.

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