Les heures incertaines du cadre de vie

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L'épidémie de choléra qui sévit en Algérie depuis la mi-août 2018, au-delà des polémiques entretenues sur les responsabilités des uns et des autres dans le domaine de la communication et de l'identification définitive de la source de la maladie, révèle et met à nu indubitablement un aspect majeur du niveau de dégradation du cadre de vie en Algérie.

À eux seuls, les réseaux sociaux constituent un beau morceau d’anthologie de ce à quoi est réduite la notion d’hygiène et de salubrité publique, aussi bien dans la ville que dans la campagne, sans oublier les voies de desserte qui relient ces deux entités. Dans quelques unes de nos contributions sur le sujet publiées dans la presse nationale, nous avions jugé utile d’évoquer le désespérant constat établi par le chanteur Zedek Mouloud, lui qui, il y a quelques années déjà exposait dans une de ses illustres chansons le cas de la Kabylie, région dont une majeure partie est devenue un cloaque à ciel ouvert, où se disputent la place les sachets en plastique, les canettes de bière, les bouteilles de vin, les bouteilles en plastique, les détritus hétéroclites provenant aussi bien des ménages que de certaines fabriques, sans oublier les montagnes de gravats qui arborent la couleur cendrée du ciment et des morceaux de béton et celle, rouge brique, du matériau issu des réaménagements effectués dans les maisons. Zedek parle de «sachets voltigeant tels des corbeaux, au gré des vents» et des rigoles d’eaux usées d’où émanent des exhalaisons pestilentielles. Tout ce décor est planté dans une espèce de « macro-décor »: un territoire dénudé ayant, sur de larges pans, perdu son couvert forestier suite aux incendies et aux coupes illicites de bois. C’est comme si ce créateur de sens (Zedek Mouloud ndlr), nous met sur le dépotoir cyclopéen et fumant d’Aït Sidi Ahmed ou de Boushel, à Aïn El Hammam, nos oreilles subissant les croassements de centaines de corbeaux tournoyant autour des monticules d’ordures, notre nez étouffant sous les miasmes putrides des lieux et nos yeux brûlés par la fumée acide qui s’en dégage depuis plusieurs années, y compris par temps de pluie !

Que des villages aient décidé de prendre leur destin en main, en matière de propreté, d’hygiène et d’embellissement, cela honore grandement les citoyens qui y vivent toute l’année et ceux qui contribuent financièrement de loin. Il en est, ainsi, de Tiferdoud et Ath Ouabane, qui ont organisé leurs « Raconte-arts » de façon éclatante, ou de Zoubga, qui a eu déjà le prix du village le plus propre de la wilaya de Tizi-Ouzou. Cela n’exonère pas, néanmoins, les citoyens de faire plus d’efforts pour maintenir, voire rehausser, ce niveau de civisme et de culture. Comme il y a lieu aussi de relever que ces exemples positifs ne doivent pas faire illusion, car, à quelques dizaines de mètres de ces villages, le décor hideux reprend ses « droits » sur les routes, dans les fossés, dans les buissons et sur les sentiers les plus exotiques. Assurément, la déclaration de la maladie du choléra a ébranlé les structures publiques chargées de la salubrité, de l’hygiène et de la santé. Elle leur a fait perdre leur fausse assurance, voire leur arrogance, qui n’avait de registre d’expression que les chiffres, les bilans et les statistiques, qui, généralement, sont tirés… par les cheveux. Il n’est pas alors étonnant que les gens de l’administration perdent leur aplomb, tâtonnent, titubent et cherchent leurs mots dès qu’il y a mort d’homme. Et le choléra d’août/septembre 2018 en fait trois. Cela étant dit, les défaillances de l’administration (services de santé, communes,…) n’offrent néanmoins aucune espèce de crédibilité ou de bonne foi à tous les canaux et voix qui, ici en Algérie ou à partir de l’étranger, ont cru trouver en la circonstance une brèche d’un « oppositionisme » politique de bas étage. Il s’agit non seulement d’une attitude d’indécence, face à un drame humain, mais également d’un ancrage dans la médiocrité qui n’a rien à envier à celui que l’on croit avoir décelé au sein des structures officielles.

L’environnement «mord la poussière»

Le phénomène de la dégradation de la qualité de l’environnement, dans un pays n’ayant pas le niveau industriel des pays qui sont contraints de gérer les conséquences d’un développement tous azimuts, requiert une analyse sérieuse et approfondie, le développement des synergies à tous les niveaux en matière de proposition de solutions et un travail collectif censé être porté par le sens du civisme et la culture du cadre de vie. Les communes, auxquelles on fait incomber toutes les défaillances dans ce domaine, paraissent dépassées par l’ampleur du phénomène. Les journées de volontariat organisées par les wilayas et les services techniques ne peuvent guère suffire à faire régner hygiène, propreté, tranquillité et détente dans les quartiers des villes ou dans les hameaux des villages, d’autant plus que le cadre de vie ne se limite pas au ramassage des ordures ménagères et autre déchets domestiques et urbains. Qu’il s’agisse des décharges sauvages fumantes au bord des routes nationales, des cloaques d’eaux usées envahissant même certaines plages, voire des dispensaires et des hôpitaux, des moustiques et autres bestioles qui portent atteinte au confort et à la santé des habitants, ou bien encore des incendies de forêts qui dévorent chaque année notre patrimoine végétal et animal, le décor hideux et malsain est malheureusement planté chaque année dans les différentes villes et bourgades d’Algérie. Les gestionnaires ou les instances élues donnent l’impression d’être franchement dépassés, aussi bien à l’ombre de l’aisance financière qui a prévalu jusqu’à la fin de 2014, qu’aujourd’hui, à l’ère de l’austérité avancée comme argument-massue par les structures en question. En inaugurant le troisième millénaire, et avec les progrès technologiques enregistrés dans le domaine de la collecte des ordures, de recyclage des déchets, de planification et gestion urbaines, de traitement des effluents domestiques et industriels, il est pour le moins absurde et inconcevable que de tels décors lugubres et enlaidissant le décor et les paysages continuent à meubler le quotidien des Algériens et à menacer leur santé. De quel tourisme parle-t-on lorsqu’un minimum d’environnement sain n’est pas assuré, lorsque l’esprit civique n’est pas toujours au rendez-vous et lorsque les structures d’accueil pâtissent des mêmes défaillances que l’ensemble des cités et quartiers? Quelles chances se donne-t-on pour installer, favoriser et développer l’activité touristique que les pouvoirs publics présentent comme une des clefs de la diversification économique, dans un contexte d’un cadre de vie voué connaissant ses pires revers ? Pratiquement aucun lieu ayant intrinsèquement cette vocation et cette potentialité touristique, n’échappe aux griffes d’un environnement qui se dégrade et se lézarde un peu plus chaque jour. Outre les classiques ordures ménagères qui jonchent les trottoirs, les fossés de routes et les places publiques, le nouveau phénomène réside dans ces gravats issus de travaux de démolition de bâtisses et que l’on retrouve partout, y compris à l’orée des forêts, dans des talwegs, au bas des bâtiments,…

Suite aux orages de fin d’été, ces gravats peuvent être à l’origine de graves inondations. Et l’on vécu une telle situation à Constantine, quelques mois après la fin de la fameuse manifestation « Constantine, capitale de la culture arabe », à l’occasion de laquelle des entreprises de restauration du patrimoine culturel bâti ont semé sur l’ensemble des boulevards du centre-ville des tas de gravats, bouchant ainsi la circulation des eaux de pluie au niveau des fossés et des caniveaux. L’eau, dans sa furie, emporte les morceaux de plâtre, de carrelage, de faïence, de béton et de briques et elle dépose sur les regards des conduites d’évacuation des eaux de pluies ou d’assainissement. Il se trouve que même les sites montagneux, les forêts récréatives et les abords des grandes routes nationales n’échappent pas à la dégradation de leur milieu physique et biotique. Les bouteilles et canettes de bière qui jonchent les accotements et les abords immédiats de barrages hydrauliques, à l’image des barrages de Taksebt à Tizi-Ouzou et Tilesdit à Bouira, forment le nouveau décor de la campagne algérienne qui rebute aussi bien les familles qui auraient l’intention de passer un week-end de détente au bord de ces nouveaux plans d’eau que d’éventuels touristes étrangers. Les efforts de sensibilisation ne semblent pas être couronnés de succès. Le prêche donné à la mosquée par l’imam, et portant sur la valeur de l’hygiène et de la propreté, voit son effet s’arrêter aux portes de cet édifice. Juste à la sortie de certaines mosquées, des amoncellements de détritus de toutes sortes s’offrent à la vue. Il en est de même des écoles et des universités, voire des hôpitaux ! Une photo insérée dans le quotidien El Khabar du vendredi 7 septembre, montre le spectacle affligeant de déchets hospitaliers incinérés en pleine nature, à l’orée de la ville de Chahbounia, dans la plaine du Sersou de la wilaya de Médéa, à 200 mètres de ce qui est appelé la « Maison de l’Environnement », alors que ce genre d’opération requiert des méthodes et des lieux spécifiques prévus par la loi.

Atonie du monde associatif et retard dans le recyclage

Aux défaillances avérées des services publics chargés de l’hygiène et de la gestion urbaine dans sa globalité, se greffent immanquablement l’indolence et la démission de la société civile. Cette dernière, avec les limites qu’il faut assigner à ce concept de « société civile », se trouve souvent happée par les intérêts immédiats des personnes qui la composent. On préfère apparemment proférer ou écouter des boniments et des promesses oiseuses que de s’impliquer dans la gestion de son environnement immédiat. Très peu de quartiers sont organisés en associations pour défendre les espaces verts et s’associer aux initiatives de l’administration à l’occasion de la Journée de l’arbre, des zones humides, de la lutte contre la désertification, de la protection des zones de montagne,…

En organisant une journée de volontariat pour nettoyer les villes et villages, on accomplit incontestablement un geste noble et citoyen. Mais, cela ne suffit pas. Au vu de la faiblesse du tissu industriel dédié au recyclage des déchets, on ne fait parfois que déplacer le problème, en l’évacuant de devant les maisons et les bâtiments et en le transférant vers des lieux vierges, non aménagés. Il arrive même que l’on aggrave le problème lorsque des sources d’eau ou d’autres éléments vitaux se trouvent en aval des décharges créées. Trier les déchets à la source est une bonne chose. Mais, encore faudra-t-il leur assurer leurs débouchés respectifs en matière de recyclage. Le dispositif de financement de la micro-entreprise gagnerait à encourager l’investissement dans ces créneaux dits de l’économie verte, au lieu de continuer à engorger davantage des créneaux saturés, en poussant les jeunes vers l’insolvabilité bancaire et… les poursuites judiciaires. La diversification de l’économie nationale c’est aussi cela.

Amar Naït Messaoud

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