Comment sortir du purgatoire ?

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Les incendies de forêt enregistrés en Kabylie, depuis le début du mois de juillet, rappellent, confirment et amplifient cette sonnette d’alarme tirée, depuis le début des années 2000, par les spécialistes en environnement, les élus locaux et les associations écologiques, quant au danger réel qui guette cet ancien îlot de « bonheur écologique ».

Ce dernier, si la situation continue au rythme infernal, sans jeu de mots, qu’on est en train de vivre depuis quelques années, risque fort bien d’être relégué au rang de souvenir d’une niche ou d’un biotope qui nourrirait la curiosité de scientifiques à venir. Le symbole même de la beauté de la verdure et de la majesté de la montagne du Djurdjura est aujourd’hui frappé dans son cœur même. Après le déboisement de certains piémonts et collines, dû aussi bien aux incendies qu’à l’avancée incompressible du béton, ne voilà-t-il pas que les flancs les plus exubérants, les plus scientifiquement recherchés, les plus écologiquement significatifs et les plus touristiquement convoités, sont en train de se réduire en peau de chagrin? Quatorze ans après le gigantesque incendie qui a réduit en cendres la plus belle cédraie de l’Afrique du Nord, à Tikjda, les lambeaux qui en restaient ont été effacés de la carte de notre montagne à partir du 14 juillet dernier, lorsque le feu a ravagé la chênaie de Aïn Alouane pour venir, le lendemain, faire table rase de la cédraie entourant la site de Tikjda. Une semaine plus tard, c’est par le côté Est que le même territoire du Parc du Djurdjura subira l’action destructrice du feu, lorsque l’incendie part des piémonts de Saharidj. Après les effets dévastateurs de la décennie rouge, qui ont oblitéré des massifs entiers sur le territoire de la Kabylie (la Kabylie maritime, les Bibans) et sur le reste de la forêt algérienne, les autres formes de dégradation du système forestiers n’ont pas été en reste: coupes illicites dans un but lucratif (vente d’étais et de bois de construction) ou dans un but de chauffage pour les ménages ruraux frappés par des hivers rigoureux, comme celui de 2012; défrichement pour initier des activités agricoles ou, pire, pour réaliser des constructions; incendies criminels ou accidentels; en tout cas, le couvert végétal de la Kabylie n’a jamais été menacé dans son existence comme il l’est en ce début du 21e siècle où la conscience environnementale est supposée atteindre son sommet d’édification. Un grand nombre de communes de Haute Kabylie sont en train d’être raccordées au réseau de gaz de ville. Un projet qui a marqué beaucoup de retard en raison des diverses oppositions qui ont grevé l’itinéraire de ces conduites. Mais les choses semblent, petit à petit, renter dans l’ordre. Théoriquement, l’accès à un moyen aussi moderne, en termes d’équipements domestiques, est supposé engendrer une  »pause » ou même un abandon des actions destructrices de la forêt et des maquis de la région. Malheureusement, ce n’est pas là une réalité qui s’est vérifiée dans d’autres régions d’Algérie. Pire, l’accès au gaz de ville a même accéléré le processus de déforestation, du fait que le bois ne représente plus, aux yeux des habitants, une matière immédiatement utile. Dans un milieu analphabète et ne bénéficiant pas de l’éclairage et de la sensibilisation venant de l’action associative, la réactivité face à des enjeux écologiques, dépassant de loin les simples besoins et nécessités domestiques, tarde à se former et à jouer son rôle.

Amère réalité porteuse de danger

Là on touche du doigt un problème de fond qui est, sans doute, à l’origine de tout le processus de dégradation de l’environnement en Kabylie: celui de la sensibilisation par l’école et les associations de défense de l’environnement. Une telle action, la sensibilisation, non seulement peut entraîner d’autres réflexes de préservation de l’environnement dans sa globalité mais est censée également mettre la pression sur les élus et l’administration pour le respect des impératifs du développement durable. De même, la synergie entre les associations, les comités de village et les élus est à même de trouver des solutions aux problèmes apparemment les plus complexes. Il en est ainsi des décharges sauvages qui essaiment à un rythme dangereux sur l’ensemble du territoire de la Kabylie. Pratiquement, aucune commune n’échappe au spectacle de montagnes d’ordures jonchant les abords de routes, les entrées de villages, les ruelles des villes et même les lieux supposés de villégiature où le couvert forestier a déjà été…éliminé. Après les espoirs nés du projet de résorption de la décharge de l’Oued Falli à Tizi Ouzou, l’on se réveille sur une réalité sans doute plus amère: la multiplication de mini-décharges aux alentours, et particulièrement sur la rocade-Sud. Pas très loin de ces lieux, ce sont des eucalyptus centenaires entourant la retenue collinaire qui sont partis en fumée la semaine passée. Le spectacle lunaire er rébarbatif qui en a résulté ne laisse voir que cendres et canettes de bières autour d’un lac enchanteur qui mérite incontestablement un meilleur sort. Nous disions que la réactivité face aux enjeux écologiques est lente à obtenir dans un environnement de sous-développement culturel. Parce que les effets eux-mêmes sont lents et insidieux, même s’ils sont porteurs de terribles conséquences. Si l’on ne peut pas tout de suite quantifier les changements climatiques affectant notre région ou notre pays- c’est, d’ailleurs, là l’actualité scientifique la plus prisée à travers le monde-, les effets de la dégradation de l’environnement, tels qu’ils s’annoncent pour la Kabylie si aucune action d’envergure n’est menée pour les juguler, se déclinent en plusieurs volets dont les plus importants sont: une érosion accrue des sols; envasement des ouvrages hydrauliques (réduction de leur durée de vie), à commencer par le barrage de Taksebt; éboulements fréquents en hiver (coupure de route par des coulées de boue et menaces sur les constructions); disharmonie paysagère pour la zone de montagne, réduisant son attractivité touristique; réduction de l’offre fourragère; régression des potentialités de l’agriculture de montagne; environnement malsain produisant maladies respiratoires, dermiques,… Avec le déficit d’investissement productif, la pression démographique, la fuite des cerveaux, la fin annoncée des rentes (anciens moudjahidine et euro), la Kabylie supportera très mal ce handicap de plus qui risque de faire d’une région naturellement exubérante et généreuse un piton immonde, sec et rocailleux. Se rend-on compte que l’activisme politique ordinairement connu en Kabylie est, pour le malheur de ses habitants, inversement proportionnel à la préoccupation environnementale censée être développée pour cette région? Il s’agit, en fait, de retrouver une morale perdue, et un bon sens malmené par la fausse modernité qui puissent réconcilier l’homme avec le milieu dans lequel il vit.

Amar Naït Messaoud

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