Les misérables !

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Le phénomène de la mendicité a atteint, ces dernières années, des proportions inquiétantes.

Il ne cesse, d’ailleurs, de prendre de plus en plus d’ampleur à travers la ville des Genêts. En effet, suite à une virée, le week-end dernier, à travers les différentes artères de la ville, nous avons constaté que ces mendiants squattent différents lieux. De plus, certains d’entre eux sont des invalides ou des malades mentaux, mais il y a, tout de même, d’autres qui sont en bonne santé. Interrogés quant aux raisons qui les ont poussés à squatter les rues, certains mendiants qui ont accepté de nous parler racontent que cela est, principalement, dû à la pauvreté qui ne cesse de gangrener la société algérienne. Mais ils évoquent également un tas d’autres raisons, notamment le chômage, ainsi que la cherté de la vie et les problèmes conjugaux, qui poussent certains à quitter leur demeure et à élire domicile dans la rue.

Scènes et témoignages poignants

D’âges et de sexes différents, chacun de ces mendiants a un coin, propre à lui, qu’il occupe quotidiennement. Chaque soir, à la tombée de la nuit, ils s’éclipsent pour revenir le lendemain matin. Bien sûr pour squatter, toujours, la même place. Généralement, ils occupent les alentours des mosquées, des magasins, des marchés, des banques, des bureaux de poste et des gares routières, entre autres. La plupart viennent des alentours de Tizi-Ouzou, là où l’habitat précaire est dominant. Tout près de la mosquée « Mohamed Cherfaoui El-Azhari » du centre-ville, l’image est affligeante. Elles sont nombreuses ces femmes accompagnées d’enfants en bas âge, y compris des nouveaux-nés, qui y viennent, quotidiennement, tendre la main aux passants et aux automobilistes pour quelques pièces. Même constat pour ce qui est des hommes, jeunes et âgés. Mais les jeunes femmes qui mendient sont, ces dernières années, de plus en plus nombreuses. Les enfants âgés de moins de 10 ans sont également nombreux à faire la manche aux passants. Même décor aux environs du square «1er novembre 1954», sis au centre-ville, ainsi que sur la route menant vers l’ancienne gare routière de la ville de Tizi-Ouzou. À la Nouvelle-ville, c’est également le même tableau. Une source sécuritaire affirmera que la plupart de ces mendiants, essentiellement les femmes, viennent de différentes autres wilayas du pays, notamment de l’Ouest. Une femme assise sur un carton avec ses trois enfants, dont deux filles, rencontrée en face de l’ancien marché de gros de Tizi-Ouzou, racontera qu’elle s’est retrouvée dans la rue suite au décès de son mari en 2009. L’une de ses filles prénommée Malya, âgée de 7 ans, vêtue d’un pantalon déchiré et sale, portant seulement une paire de claquettes en plastique, visiblement triste, dira «je vois tous les enfants s’amuser avec de nouveaux jouets. Tandis que maman nous récupère d’anciens jouets cassés. Elle les répare et nous les donne pour jouer avec». Quant à sa sœur, âgée d’environ 15 ans, elle indiquera que l’école lui manque. «Avant quand baba était encore en vie. Je partais à l’école et j’avais beaucoup d’amies. Je voulais être une enseignante. Mais le destin en a voulu autrement. Nos grands-parents ne voulaient pas de nous. Notre maman était, donc, contrainte de sortir et mendier pour nous ramener de quoi manger le soir», a-t-elle regretté. Interrogée quant aux raisons qui l’ont poussée à faire la manche, une vieille, la soixantaine, croisée au centre-ville, nous réclama de l’argent pour parler. Refusant de lui en donner, elle s’en alla en disant d’un air dépité. «En plus de la misère et de nos soucis quotidiens, même pour mendier, on ne nous laisse pas tranquille. Il n’y a que ça qui nous manque !» Une autre jeune femme que nous appellerons Assia, qui tenait un bébé d’à peine six mois, assise le dos contre le mur d’un immeuble, sis au cœur de la ville des Genêts, a refusé de nous parler au début. Mais par la suite elle précisera qu’elle vient d’une autre wilaya, sans dire laquelle. Les larmes aux yeux, elle ajoutera que «la rue est loin d’être sure pour une jeune femme et elle ne lui fait pas de cadeaux. Cela fait près de 6 ans que je mendie. Avant d’arriver à Tizi-Ouzou, je suis passée par plusieurs autres wilayas». Interrogée quant au lieu de son hébergement actuel, la jeune femme, visiblement affectée, refusa de répondre. Un autre mendiant précisera que « chacun a son secteur et le lieu qu’il squatte. Pour moi, généralement, ce sont les lieux qui fourmillent de monde, notamment la Tour, à la Nouvelle-ville ou bien la grande allée du centre-ville».

«L’école me manque…»

Certes, la pauvreté prend de l’ampleur, au niveau de la société ces dernières années. Mais il est à souligner que certains mendiants exhibent des ordonnances médicales pour demander aux passants de leur donner de l’argent afin d’acheter des médicaments. C’est, d’ailleurs, le cas d’un homme, la quarantaine, qui fait la manche aux passants au niveau de l’avenue Abane Ramdane, en exhibant son pied ulcéré et une ordonnance. Un commerçant indiquera que les gens, au début, avaient pitié de lui. Mais afficher la même ordonnance, tous les jours, est un peu suspect, ce qui fait que les gens ne lui prêtent plus attention. Sauf ceux qui le voient pour la première fois. «C’est vrai que la misère pousse les gens à aller mendier. Mais il faut dire que la mendicité est devenue un commerce fructueux, ces dernières années», a-t-il dit d’un air moqueur. Sinon, ce qui reste le plus déplorable, à Tizi-Ouzou, est sans doute l’exploitation des enfants en bas âge, à l’image de ces mômes croisés au niveau de la mosquée de la nouvelle ville. Ils jouent non loin de leurs mères qui squattent le trottoir de ladite mosquée et, dès que quelqu’un passe, ils font tout pour profiter de la générosité de ce dernier. Parfois, ils vont jusqu’à s’accrocher aux bras et aux manches des passants pour une pièce. Pour ce qui est des citoyens sondés, hier, au niveau de la ville de Tizi-Ouzou, la plupart traitent ces gens-là de «mendiants professionnels». Par ailleurs, un commerçant relatera que, souvent, le soir, des mendiants viennent dans son magasin pour échanger leurs pièces de monnaies contre des billets. Selon ses dires, la recette journalière de ces gens-là varie, parfois, entre 2000 et 4000 DA.

Qui s’en soucie?

Les citoyens ne cessent de se demander où sont les autorités qui doivent mettre de l’ordre concernant cela et quel est leur rôle. «C’est vraiment malheureux. Ces mendiants se retrouvent livrés à eux-mêmes. Je me demande où sont les autorités concernées ? Il est temps de bouger. Car la situation s’aggrave, notamment à cause du mutisme affiché par ces autorités qui restent de marbre», crie un citoyen rencontré au centre ville. Une jeune femme croisée, au niveau du boulevard Amirouche dira : «l’indifférence et le laxisme des autorités encouragent ce fléau à devenir une profession pour certains. Ça me fend le cœur de voir tous ces enfants accompagnés de leurs parents faire la manche à des passants qui, parfois, les maltraitent et les insultent». Par ailleurs, ce qui désole le plus les citoyens de la Kabylie, ce sont ces réfugiés syriens qui ont fui la barbarie de la guerre dans leur pays et qui ont choisi comme destination la wilaya de Tizi-Ouzou. Contraints, ces réfugiés qui n’ont trouvé aucune assistance, squattent les jardins, les mosquées, les rues et autres endroits publics. Ils sont, en effet, un peu partout en Kabylie, notamment au niveau de la nouvelle ville et à Draâ Ben Khedda. «C’est grave, aucun centre d’accueil n’a été aménagé pour les accueillir. Même le mouvement associatif n’a pas joué son rôle comme il se doit. De plus, personne n’a bougé le petit doigt pour venir en aide à ces réfugiés», témoigne un citoyen qui s’interroge quant «au mutisme des autorités locales face à cette situation».

Samira Bouabdellah

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